jeudi 31 mai 2012

Cinéma : Les petits pas du Cameroun à Cannes

Après une montée des marches, la ministre camerounaise des Arts et de la Culture a organisé une rencontre de professionnels au Pavillon des cinémas du monde le 25 mai 2012, pour présenter le projet « shoot in Cameroon » qui vise à inciter les producteurs étrangers à venir tourner leurs films dans un pays où il n’existe aucune salle de cinéma et où la censure durcit le ton.  

Cannes 2011. Ama Tutu Muna au lancement de "Shoot in Cameroon".

Le séjour cannois de la délégation camerounaise a commencé par un couac. Initialement prévue le 23 mai à 18 heures, la rencontre des professionnels organisée par le ministère des Arts et de la Culture (Minac) du Cameroun a été annulée à la dernière minute sans explication, alors même que la ministre des Arts et de la Culture, Ama Tutu Muna, était arrivée à Cannes quelques heures plus tôt. La rencontre s’est finalement tenue sans bruit le 25 mai dans la salle de conférence du Pavillon des cinémas du monde. De plus, plusieurs membres de la délégation camerounaise sont arrivés à Cannes après cette rencontre, pourtant objet de leur déplacement.

Pour la seconde année consécutive, le Cameroun est allé à Cannes présenter le projet « Shoot in Cameroon ». Initié l’année dernière dans la précipitation, ce projet a pour but de vendre la destination Cameroun comme étant un plateau de tournage, en mettant en avant ses paysages, ses sites touristiques et la diversité de sa culture, des arguments qui lui ont donné la réputation d’Afrique en miniature. D’après Ama Tutu Muna, le fait que des cinéastes étrangers viennent tourner au Cameroun aura des retombées pour tout le pays. Cela permettra aux jeunes d’avoir de l’emploi, d’apprendre les métiers du cinéma et aux hôtels d’être occupés. Dans son discours, la ministre a réaffirmé la volonté du gouvernement et du chef de l’Etat camerounais d’œuvrer pour la relance du cinéma.

Relance du cinéma

Depuis quelques années en effet, le discours officiel est celui de la relance du cinéma. Un vaste chantier qui comprend le projet « shoot in Cameroon », l’ouverture d’au moins une salle de cinéma et l’appui aux projets cinématographiques. Pour cela, le ministère des Arts et de la Culture entend créer un fonds pour le développement du cinéma camerounais. L’on se souvient qu’en 1973, le Cameroun avait déjà créé le Fonds de développement de l’industrie cinématographique (Fodic) pour soutenir les productions par un financement direct. Moribond et déficitaire, le Fodic a finalement fermé ses portes à la fin des années 80. C’est fort de cette expérience malheureuse que le secrétaire général du Minac, Manaouda Malachie, et le cinéaste Bassek ba Kobhio, délégué général du festival Ecrans noirs qui est partenaire du projet, se sont rendus au Cambodge, au Maroc, en Grande Bretagne et en Belgique du 16 au 30 mai 2012, pour des études préalables qui serviront à proposer au gouvernement la création d’une structure para-étatique qui devra remettre le cinéma camerounais sur les rails.

Bassek ba Kobhio explique que cette structure technique, qui pourra être un fonds ou une commission rattaché au Minac, devra accompagner l'appel à tournages et les tournages. Il devra aussi gérer et apprécier les projets de Camerounais pour voir comment les accompagner. Car le projet "Shoot in Cameroon" est aussi destiné aux cinéastes camerounais. Bassel ba Kobhio assure que des mesures incitatives vont suivre dans les mois à venir avec l'implication des départements ministériels concernés comme le ministère des Finances et celui du Tourisme, avec l'accord du premier ministre, Philemon Yang.

Financement des projets

Face à la pression d’un groupe de cinéastes, l’appui aux projets a été inclus dans cette volonté de réforme. Ces projets devront bénéficier du financement du volet culture du Contrat de désendettement et développement (C2D) qui s’élève à 524 millions Fcfa (800 000 euros). Mis en œuvre par l’Agence française de développement, le C2D constitue le principal volet bilatéral français d’allègement de la dette.

Destiné initialement à financer une étude sur l’économie de la culture au Cameroun, ce fonds est bloqué depuis plus d’un an à la Banque des Etats de l’Afrique centrale (Béac), le Cameroun et la France ayant eu des difficultés à s’entendre sur son affectation. En février dernier, l’Organisation camerounaise des professionnels du cinéma (Ocapac) que préside Jean-Pierre Dikongué-Pipa, a saisi cette occasion pour demander que cet argent soit destiné à financer des productions cinématographiques. L’association a pris l’initiative de créer une commission qui a sélectionné des projets de films à financer. Les projets qui ont été déposés au Minac, avec ampliation à l’ambassade de France du Cameroun.

Dikongué-Pipa explique qu’aucune relance du cinéma ne peut être envisagée sans le financement des projets pour encourager la création. Le Cameroun dispose pourtant d’un Compte d’affectation spécial dont le budget annuel s’élève à 1 milliard de Fcfa, destiné à financer des projets culturels. Depuis 2008 que la liste de ses bénéficiaires n’est plus publiée, c’est le flou absolu. En 2012, le Cameroun a contribué, à hauteur de 1 milliard de Fcfa, à l’organisation du Festival mondial des arts nègres (Fesman) au Sénégal pour une participation jugée médiocre. L'information de cette contribution avait été révélée par le ministre sénégalais de la Culture de l'époque, Mamadou Bousso Leye.

Accueil mitigé

« C’est très intéressant d’inciter les étrangers à tourner au Cameroun. Mais il faudrait qu’avant de venir à Cannes, on pense à encourager déjà les cinéastes camerounais qui ont un mal fou à tourner dans leur pays, en faisant cesser les lenteurs administratives et la censure », affirme le documentariste Jean-Marie Teno. Depuis l’interdiction du festival des films des droits de l’homme le 11 avril 2011 à Yaoundé, la censure a durcit le ton au Cameroun et plusieurs films ont été interdits de projection. En février 2012, le ministère des Arts et de la Culture a demandé aux centres culturels étrangers (Institut français, Institut Goethe, Centre culturel espagnol, Centre culturel italien) de soumettre désormais les films qu’ils diffusent à la Commission nationale de contrôle des films cinématographiques, prises de vues et enregistrements sonores, dite commission de censure, en vue de l'obtention d'un visa d'exploitation. Car, au Cameroun, l'activité cinématographique demeure soumise à un régime d'autorisation préalable.

Un véritable scandale, d’après Jean-Pierre Bekolo : « Alors que l’Etat camerounais laisse aux pays étrangers la charge de s’occuper de la culture des Camerounais, il a le culot de les soumettre à la censure alors que ni la télévision, ni les bouquets proposés par les câblo-opérateurs, ni les vidéos vendus dans la rue ne le sont ». Depuis 2008, le Cameroun ne compte aucune salle de cinéma et le Centre culturel camerounais de Yaoundé a fermé ses portes. Et depuis plusieurs années, le pays n’a produit aucun grand film de fiction. Les centres culturels étrangers sont donc devenus des lieux incontournables de diffusion du cinéma. Rappelons que jusque depuis « Muna Moto » de Dikongué-Pipa en 1976, aucun film camerounais n’a plus été distingué de l’Etalon d’or de Yennenga au festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (Fespaco). De plus, depuis le lancement du projet « Shoot in Cameroon » l’année dernière, aucune production étrangère ne s’est intéressée à notre pays.

Stéphanie Dongmo à Cannes

mercredi 30 mai 2012

Critique : Pain, liberté, dignité…

C’est sous ce slogan que les manifestants de la place Tahrir au Caire impulsent la révolution, dans le film « Après la bataille » de l’Egyptien Yousri Nasrallah, seul film africain en compétition officielle pour la palme d’or à Cannes. Un sujet intéressant desservi par un scénario balbutiant. Descendu par la critique, le film est passé très loin de la Palme d’or, décernée le 17 mai 2012.

Une scène du film avec Mahmoud et Rim.

Les 23 et 24 mai derniers, près de 50 millions d’Egyptiens ont été appelés aux urnes pour le premier tour de l’élection présidentielle. 15 mois après la révolution qui a renversé Hosni Moubarak, le pays reste en crise, le peuple est désenchanté et divisé. C’est ce désenchantement et ces divisions post-révolution que Yousry Nasrallah a essayé de mettre en lumière dans son dernier film baptisé à juste titre « Baad el mawkeaa », en français « Après la bataille ».

Le film d’actualité prend pour prétexte une histoire d’amour improbable pour traiter d’un sujet politique. Mahmoud (Bassem Samra) est un cavalier illettré et pauvre. Il fait partie des personnes qui, le 2 février 2011, ont chargé les manifestants sur la place Tahrir au Caire. Manipulé par les hommes du régime Moubarak qui sont pour l’immobilisme qui protègera leurs intérêts, Mahmoud pense que c’est la solution pour ne pas ôter le pain de la bouche de ses enfants. Il ne peut plus vivre du tourisme car les étrangers ont déserté l’Egypte. Pire, 22 ans après la chute du mur de Berlin, un autre mur de la honte a été construit à Nazlat, son quartier, pour barrer l’accès des pyramides aux populations afin de les contraindre à s’en aller.

La rencontre de Mahmoud avec Rim (Mena Shalaby), journaliste et militante pour la révolution, et surtout le baiser qu’elle va lui donner un soir, va changer sa vie et ses perspectives. Mais après la bataille, les plaies tardent à cicatriser. Ce d’autant plus que grâce à Facebook, personne n’a oublié « les cavaliers de la place Tahrir » dans un pays où se prononcer contre la révolution est un crime. L’amour (ou l’amitié ?) de Rim sera pour lui une commission vérité, justice et réconciliation qui va lui permettre de se débarrasser de ses démons pour faire face. Pour Yousri Nasrallah, les victimes ne sont pas toujours du côté qu’on croit : « j’avais vu 150 fois la charge des chameaux à la télé, et j’étais à 100% convaincu que ceux qui les montaient étaient armés. Au moment d’utiliser ces séquences dans mon court métrage (Collectif 18 jours, 2011), je découvre stupéfait qu’ils n’ont pas d’armes, et que ceux qui se sont le plus fait rosser, ce sont les cavaliers », raconte le réalisateur sur la plaquette de présentation de son film.
Pain, liberté, dignité

« Après la bataille » est fort de signification politique, au moment où le peuple égyptien, qui a perdu ses illusions, vote pour un avenir incertain. D’après le réalisateur, « la véritable révolution n'a pas encore commencée, ce qui a commencé c’est le sentiment révolutionnaire ». Ce film exprime sa peur de constater que la révolution n’a servi à rien, entre les candidats islamistes et les hommes du régime Moubarak qui se disputent le pouvoir. « Je percevais ce qui me semblait un leurre: la croyance en la jonction du peuple et de l’armée. C’est l’armée qui possède ce pays, c’est elle qui le gère, et qui le gère mal depuis Nasser. Je voyais aussi se dessiner le piège du projet constitutionnel, tel qu’il s’est concrétisé avec le référendum du 19 mars, avec un rafistolage qui ne règle rien et qui fonctionne comme un chantage imposé par les islamistes ».  Comme pour conjurer le mauvais sort, le slogan de la révolution est plusieurs fois répété dans le film : pain, liberté, dignité. Mais pas seulement en Egypte. Au cours d’une conférence de presse, l’auteur de « La porte du soleil » (2004), un film qui dénonce le problème palestinien, a annoncé qu’il ne diffuserait pas ses films en Israël « tant que ce pays occupera les territoires de la Palestine ».

Le seul film africain en compétition officielle pour la Palme d’or à Cannes a une dimension documentaire, en restant cependant une fiction. Mais tourné sans véritable scénario, à la va-vite pendant que les évènements réels se déroulaient, le film manque d’épaisseur sur un sujet dont on attendait beaucoup. Mais en Egypte, l’espoir est permis. Sur un pan du mur de Nazlat sur lequel joue un enfant, l’on voit des pyramides et des chameliers. Allégorie d’une future Egypte prospère, celle des Pyramides.

Stéphanie Dongmo à Cannes



Fiche technique

Titre : Après la bataille

Réalisateur : Yousry Nasrallah

Scénario et dialogues : Omar Shama, Yousry Nasrallah

Montage : Mona Rabi

Son : Ibrahim dessouky

Durée : 2h05

VO : arabe

jeudi 24 mai 2012

Le Cinéma numérique ambulant à Cannes

Le réseau d’associations de cinémas mobiles a projeté hier soir en plein air à Cannes, le film « Tilaï » d’Idrissa Ouédraogo.

23 mai 2012. Le Cna projette Tilaï au festival de Cannes.

Le Cinéma numérique ambulant est à Cannes. Mercredi, 23 mai 2012, le Cna a organisé, au pavillon des cinémas du monde, la restitution d’une table ronde organisée l’année dernière dans le cadre du Fespaco, sur le thème « La place des cinémas itinérants dans l’économie cinématographique africaine ». La rencontre, à laquelle ont participé les responsables de tous les Cna/pays, avait pour but de réfléchir sur le modèle économique du Cna et sur les modalités de rémunération des ayants-droits.

A cette occasion, le Cna a publié son budget, ses recettes et sa charte. Il est question de créer, dans un avenir proche, une commission composée de professionnels (réalisateurs, producteurs, distributeurs, bureaux de droits d’auteur) qui devra se réunir chaque année pour réfléchir à l’amélioration de la gestion des droits et amener le Cna à travailler davantage avec l’ensemble de la profession.

A la tombée de la nuit, à 22h, le Cna a organisé une projection en plein air sur la grande place baptisée Les allées de la liberté Charles de Gaulles à Cannes, à quelques mètres du village du festival. Dans des conditions de projection africaines, il a diffusé le film « Tilaï » du burkinabé Idrissa Ouédraogo (Grand prix du jury à Cannes 1990), devant un public étonné.

Le Cinéma numérique ambulant est un réseau d’associations de cinémas mobiles installés dans huit pays : France, Bénin, Mali, Niger, Burkina Faso, Sénégal, Togo et Cameroun. Depuis 2001, il sillonne les villages où le cinéma n’existe pas pour des projections non payantes de films africains de fiction et de sensibilisation.

Stéphanie Dongmo à Cannes

mardi 22 mai 2012

Critique : L’Europe à tout prix

« La Pirogue », un film du Sénégalais Moussa Touré, est en compétition dans la catégorie « Un certain regard » au festival de Cannes 2012. Il raconte la difficile traversée d’immigrants clandestins africains.


Une scène du film. Les candidats à l'immigration clandestine sur la pirogue.

Elle est vieille et usée. Elle tangue dangereusement sur une mer déchaînée, au cœur d’une nuit noire. Construite en bois, elle transporte habituellement du poisson. Mais pour la circonstance, elle va transporter des hommes. 30 personnes prêtes à tout pour atteindre les côtes espagnoles, d’où elles comptent suivre les sirènes de l’Europe. Son nom de baptême est « Goor fitt », c’est-à-dire « qui n’a peur de rien ». Mais face à la rudesse des vagues, la pirogue, la star du film éponyme, aura des sueurs froides. Ses jeunes et moins jeunes occupants aussi. Survivre devient pour eux une gageure.

Si ces aventuriers qui, pour la plupart, n’avaient jamais vu la mer avant de monter dans la fragile embarcation ne savent pas où ils vont, en revanche, ils savent très bien où ils ne veulent plus être. Dans des pays dirigés par des personnes aussi vieilles que la pirogue, et entre les mains desquels la société va à vau-l’eau et l’avenir est incertain. Ils connaissent les risques d’une telle aventure. Ils connaissent des gens qui sont morts en mer. Mais ils connaissent aussi des gens qui ont réussi et sont revenus construire des « maisons à étages », comble de la richesse dans le village de pécheurs. Alors, ils tentent leur chance, convaincus que Dieu les aime tellement que rien ne peut leur arriver. D’ailleurs, comme le dit Lansana, l’un des aventuriers, avec un cynisme déconcertant, « tu reste au pays, tu as une chance sur dix de rater ta vie ; tu pars, tu as une chance sur dix de mourir ». Entre deux maux, ils ont choisi ce qui leur semblait être le moindre.

La caméra de Moussa Touré se fait intimiste pour raconter la traversée. Un voyage qu’en son temps, la Camerounaise Joséphine Ndagnou avait seulement effleuré dans « Paris à tout prix » (2007), son long métrage sur l’immigration clandestine. Parmi les occupants de la pirogue, Baye Laye est le seul qui ne voulait pas partir. Le pêcheur se fait passeur pour sauver un frère et un ami. Il ne reviendra qu’avec le frère. Car ni les prières, ni les fétiches, ne sauveront pas certains d’une mort certaine. Avant cela, il y a eu les fous-rires, le conflit, la violence, l’étouffement, la peur et les regrets. Que le réalisateur exprime à travers la voix intérieure de chacun des personnages principaux, qui les amène à faire leur mea culpa. Cette manière d’exprimer la conscience avait déjà été utilisé par son compatriote Sembène Ousmane dans « La noire de » (1966).

Engagement

Le film a choisi le dialogue sans verbiage et des regards intenses pour parler des sentiments qui se passent des mots et accentuer la progression vers le danger. Il a de fréquentes références au rituel, avec des rêves de baobabs centenaires et de troupeaux de bœufs. Un symbolisme qui met en opposition l’immobilisme et l’usure d’un système à la fougue de jeunes prêts à foncer, même si c’est tête baissée.

Parce que sur un sujet aussi grave, qui a fait périr près de 5000 Africains en haute mer entre 2005 et 2012, on ne peut rester neutre, Moussa Touré prend position et tire la sonnette d’alarme. Mais la sortie du film peut prêter à confusion : Rapatrié, Baye Laye rentre chez lui pour retrouver sa famille. Mais avant, il achète pour son fils un maillot du club de football Barcelone (en Espagne). Va-t-il contribuer à perpétuer le rêve d’un ailleurs doré? Fausse alerte. Moussa Touré fait une plaisanterie au spectateur : "Il y a un autre jeu de mots : "Barsak" signifie l'au-delà. Alors, on plaisante en se demandant si les embarqués des pirogues se dirigent vers le « Barsak » ou le Barça, explique-t-il.

Tourné en haute mer, « La Pirogue » est plein de métaphores liées à la politique. Et ce n’est pas un hasard si Moussa Toure a choisi les principales couleurs des pays africains, vert, bleu, rouge et jaune pour décor de la pirogue. Des allusions sont aussi faite à la politique française de l’Afrique : « La Chine est le nouvel horizon de l‘Afrique avec l’Europe en crise », lance un des comédiens qui n’hésite pas à se moquer des politiciens. Le réalisateur veut se persuader que ce film ambitieux s’est imposé à lui : « je n’ai pas choisi ce drame, c’est ce drame qui m’a choisi. Vous ouvrez votre fenêtre et vous voyez des jeunes prendre la mer. Vous allez à l’aéroport et vous les voyez revenir », expliquait-il sur France 3 dimanche dernier. Il sait qu’il n’a pas inventé la poudre, mais il veut contribuer à la sensibilisation sur les dangers qui guettent l’immigrant clandestin.

Stéphanie Dongmo à Cannes

                                                                                       

Fiche technique

Titre : La pirogue

Réalisateur : Moussa Touré

Pays : Sénégal

Année de sortie : 2012

Durée : 1h27

Histoire originale : Abasse Ndione

Scénario et dialogue : Eric Neye, David Bouchet

Casting :
Avec : Souleymane Seye Ndiaye (Baye Laye), Laïty Fall (Lansana), Malamine Damen(Abou), Balla Diarra (Samba)…

Montage : Josie Miljevic

Production : Les Chauves-souris (France), Astou films (Sénégal)

VO : Ouolof


Cinéma : Dans la fabrique des kamikazes

« Les Chevaux de Dieu » du Marocain Nabil Ayouch, en compétition officielle dans la catégorie « Un certain regard » à la 65e édition de Cannes, a le courage d’aborder un sujet aussi sensible que l’extrémisme musulman.

Une scène du film Les chevaux de Dieu. Les jeunes prêts au sacrifice suprême.


Le 16 mai 2003, Casablanca est la cible d’une série d’attentats-suicides. Bilan de ce qui est devenu le plus grand acte terroriste au Maroc : 45 morts, dont 12 kamikazes. Des jeunes issus du bidonville de Sidi Moumen à Casablanca et membres de Salafia, un groupe terroriste affilié à Al-Qaïda. Le réalisateur Nabil Ayouch s’est emparé de ce fait d’actualité pour construire une fiction poignante de réalisme. Il raconte de l’intérieur comment on devient un kamikaze, et met en scène les facteurs qui ont contribué à faire de musulmans non pratiquants des extrémistes capables du pire.

Le long métrage est construit en trois parties : l’enrôlement, l’adolescence et l’enfance. Une enfance qu’une bande de copains vit dans la rue, ou presque. Leur quotidien est fait de pauvreté, de privation, de violence et de dépravation. Mais aussi de crime, de racket, de viol et de prostitution. Ainsi, Nabil Ayouch prend le spectateur par les sentiments, une recette qui a déjà fait le succès de son précédent film « Ali Zaoua, prince de la rue » (Etalon de Yennenga au Fespaco 2000). Le réalisateur a d’ailleurs tourné quelques séquences de ce film dans le même bidonville de Sidi Moumen.

Dans le récit, deux personnages se dégagent. Hamid et Yachine sont frères. Ils vivent excluent, à quelques kilomètres de la grande ville dont ils ne découvriront la splendeur et les richesses qu’au moment de la faire sauter. La caméra les suit pour raconter les mille et une déceptions de leur vie dans un pays où le riche exploite impunément le pauvre. Ici, chacun essaie de fuir sa réalité comme il peut : une mère laisse sa vie s’écouler devant les séries télévisées dont elle se saoule à longueur de journée ; une autre vend ses charmes et abandonne son fils pour survivre ; tandis que d’autres se tournent vers la religion (politisée) pour trouver un certain réconfort.

Le film de Nabil Ayouch, né d’une mère française juive et d’un père marocain musulman, ne prend pas partie mais essaie d’expliquer comment et pourquoi. Se faisant, il met chaque acteur devant ses responsabilités : de l’Etat indifférent à la misère du peuple aux parents irresponsables, en passant par les groupes religieux qui en profitent pour enrôler de jeunes éclopés de la vie. « Mon envie, c'était de raconter dans ce film, la complexité des raisons qui font qu'à un moment, un gamin de 10 ans, au fur et à mesure que son histoire se déroule, peut en arriver à devenir kamikaze et à se faire sauter au milieu de victimes innocentes », a expliqué Nabil Ayouch au cours d’une conférence de presse lundi à Cannes. Car pour lui, ces jeunes kamikazes sont surtout des victimes. Victimes du bidonville (où l’on se réjouit des attentats du 11 septembre aux Etats-Unis), un terreau fertile pour l’extrémisme religieux, victimes d’un lavage de cerveau qui leur fait croire qu’Allah ouvre les portes du paradis aux martyrs et que c’est un honneur d’avoir été choisi.

Ces jeunes, qui ne sont pas des monstres, ne rêvent pourtant que d’être heureux. Sur terre comme au paradis. Il n’y a qu’à voir le regard joyeux de Yachine lorsque, sur la moto, il court vers la femme dont il est amoureux. Le plan est gros pour filmer ce bonheur furtif. Et large pour balayer la misère du quartier, perceptible à travers les cailloux posés sur les toitures pour les soutenir. Même les antennes paraboliques qui essaiment sur ces mêmes toitures semblent contribuer à isoler davantage de bidonville. Le frère autiste de Hamid et Yachine le dit avec une lucidité déconcertante : « on capte de centaine de chaînes sans en comprendre une ».

« Les Chevaux de Dieu » est un film à forts relents politiques d’une actualité brûlante. Il arrive au moment où les révolutions arabes ont laissé la place à des partis islamistes, et où des mouvements islamistes intégristes accentuent la répression au Nord du Mali. Le film est bien documenté et frôle souvent le réel. Le jeu des acteurs non professionnels, qui font une entrée remarquable au cinéma, lui donne beaucoup d’humanisme. Pour en ajouter, le réalisateur a choisi deux véritables frères issus du bidonville pour tenir les rôles principaux de Hamid et Yachine. « Je ne voulais pas d’acteurs professionnels pour faire ce film, car je voulais cette part de réalisme, de naturalisme et de vérité chez chacun de ces comédiens ». Mais Dieu n’a pas besoin de ces montures humaines pour aller à la conquête du monde. Comme la balle qui, jetée par des enfants dans la dernière scène roule, vers un lieu inconnu, ainsi roule le destin des jeunes des bidonvilles, et il appartient à l’Etat et aux adultes de les orienter vers un destin fait de modération et de tolérance.

Stéphanie Dongmo à Cannes


Fiche technique :

Titre : Les Chevaux de Dieu

Réalisateur : Nabil Ayouch

VO : arabe

Scénario et dialogue : Jamal Belmahi

Photo : Hichame Alaouie

Montage : Damien Keyeux

Son : Zacharie Naciri

Casting : Abdelhakim Rachid (Yachine), Abdelilah Rachid (Hamid), Hamza Souidek (Nabil), Ahmed El Idrissi el Amrani (Fouad).

Production : Les films du nouveau monde (France), Ali N’ production (Maroc), YC Aligator (Belgique)…

samedi 19 mai 2012

Réflexion sur le livre en Afrique francophone

La Bibliothèque nationale de France a organisé un atelier sur ce thème le 15 mai dernier. Occasion de revenir sur les nombreux problèmes qui minent le secteur et de proposer quelques solutions.

Des conférenciers autour de la table.

« 60 ans après les indépendances, l’édition en Afrique n’arrive pas à prendre son essor. Le nombre de titres édités ne cesse de diminuer depuis les années 60. Le livre y est trop souvent encore un objet de luxe ». C’est en ces termes que Luc Pinhas, maître de conférences à l’université de Paris 3 et vice-président de l’Alliance internationale des éditeurs indépendants, a brossé le portrait de l’édition en Afrique francophone. Il ouvrait ainsi une série d’exposés sur le thème « Le livre en Afrique francophone », à l’occasion d’un atelier au petit auditorium de la Bibliothèque nationale de France (BnF), le 15 mai 2012 à Paris.

Car avec 1,4% de la production éditoriale mondiale, le secteur du livre peine à prendre son essor en Afrique francophone. Les problèmes sont énormes, que les conférenciers ont énumérés volontiers : le prix élevé du livre, l’absence de politique publique active en faveur du livre, l’exigüité du marché, la faiblesse du taux d’alphabétisation, le multilinguisme, la pauvreté et la vétusté des collections, l’amateurisme des professionnels du secteur, l’absence de circuit de distribution, la cherté des entrants, le manque de communication autour des ouvrages publiés, l’absence des éditeurs locaux à l’étranger et la concurrence des éditeurs étrangers. Luc Pinhas l’affirme, la grande masse de livres vendus en Afrique francophone viennent de l’étranger. Et même des maisons d’édition historiques comme Clé à Yaoundé « se sont enfoncées dans une longue crise à partir des années 80 ». Mais l’on peut se réjouir : de nombreuses jeunes structures sont nées entre les années 90 et 2000. Un bémol cependant : malgré l’engagement de leurs promoteurs, elles restent très fragiles.

La qualité ou la quantité ?

Parmi ces maisons nées il y a moins de 15 ans, on peut citer Les Nouvelles éditions ivoiriennes (NEI), Ifrikiya et Presses universitaires d’Afrique au Cameroun, Le ruisseau d’Afrique au Niger, Le Figuier au Mali… « Ces nouveaux éditeurs portent l’espoir de l’édition en Afrique », soutient Luc Pinhas. Un espoir qui risque d’être vain si elles ne sont pas soutenues bientôt. Aussi propose-t-il la co-édition comme une solution idéale pour contourner les problèmes du livre dans cette partie du monde. Et justement, depuis 2007,  l’Alliance internationale des éditeurs indépendants dont il est le vice-président, a entreprise des coéditions solidaires à travers la collection « Terres solidaires » (huit titres jusqu’ici). Ces coéditions reposent sur un principe de restitution au Sud de textes littéraires des auteurs africains publiés initialement au Nord, pour un coût réduit au final.

Mais tous les éditeurs ne traversent pas les mêmes difficultés. Méliane Kouakou Yao a ainsi présenté le succès de la collection Adoras (trois livres par trimestre) qu’elle dirige au sein des éditions NEI. Un succès qu’elle explique par le fait que « cette collection épouse les évolutions de la société africaine ». Alors, Adoras, un modèle à copier ? Bernard Magnier, le directeur de la collection « Terre africaine » aux éditions Actes sud, tempère cet enthousiasme. Parlant des publications de Adoras, présenté par Méliane Kouakou Yao comme un moyen de susciter le goût de la lecture chez le public africain, il prévient : « on va vers un populisme dommageable pour l’art » avec ces romans aux histoires populaires et à l’écriture peu élaborée.

L’enfant, l’espoir de l’homme

Pour Viviana Quinones, bibliothécaire spécialiste de la littérature de jeunesse d’Afrique et des Caraïbes à la BnF, promouvoir le livre de jeunesse est une solution pour l’édition en Afrique francophone. Malheureusement, assène Mamadou Aliou Sow, le directeur général du Soprodiff spécialisé dans l’édition et la distribution en Guinée, « l’école ne prépare pas les gens à la lecture. Il manque à l’Afrique francophone cette perspective de former des lecteurs de demain ». Pour lui, l’avenir du livre, même en Afrique, passe par l’édition électronique qui pourrait combler le vide du papier et régler du coup le problème des stocks d’invendus. Autres solutions proposées : que les auteurs nationaux figurent dans les programmes scolaires, qu’ils occupent enfin la première place dans les librairies africaines.

Les ateliers du livre de la BnF, qui se déclinent sous forme de journée d’études, sont un rendez-vous régulier sur le livre et son univers contemporain. L’atelier du 15 mai est le premier qui, depuis 2002, s’intéresse à l’Afrique. S’il a le mérite d’avoir mis le sujet sur la table, il est malheureusement resté sur des sentiers battus. Ce d’autant plus que les intervenants, qui vivent en France pour la plupart, ont restitué beaucoup de lieux communs et de clichés du fait de leur méconnaissance du terrain. A leur décharge, l’inexistence des statistiques fiables et la rareté de l’information, en l’absence de catalogues sur les publications. Et c’est de justesse que l’atelier a évité de s’enliser dans le débat « qu’est-ce que la littérature africaine ? »

Stéphanie Dongmo à Paris                     

vendredi 18 mai 2012

Cinéma : A Cannes 2012, il y a…

La 65ème édition du festival de Cannes s’est ouverte mercredi dernier sur « Moonrise Kingdom » de Wes Anderson. L’Afrique est représentée par cinq films et le Cameroun attendu.
Le jury de la 65 ème édition.


Mercredi, il est 19h en temps universel et le soleil se profile à l’horizon, derrière la mer bleue cannoise où souffle le vent. Vêtus de leurs plus beaux costumes, comme pour concurrencer les stars qu’ils « traquent » sur le tapis rouge changé plusieurs fois dans la journée, photographes et journalistes habitués de la croisette sont massés à l’entrée du Palais des festivals. Pour les plus chanceux sélectionnés par l’organisation méticuleuse. Car tous les 4000 professionnels environ n’y ont pas accès. Les autres, les plus nombreux, se contentent de vivre la cérémonie d’ouverture de plus loin.  

L’équipe du film d’ouverture, « Moonrise kingdom » de l’Américain Wes Anderson, avec Bruce Willis, est là au grand complet. Elle va, quelques minutes plus tard, déclarer officiellement ouverte la 65ème édition du festival de Cannes. Sur le tapis rouge, elle est suivie des membres du jury présidé par le réalisateur italien Nanni Moretti, avec à ses côtés le Haïtien Raoul Peck et le couturier Jean-Paul Gaultier. Les stars hollywoodiens montent les marches sous le crépitement des appareils photo, et la célébrité leur va si bien : Eva Longoria, Nicole Kidman, Robert de Niro, Robert Pattinson ou encore Alec Baldwin. Au nom du festival, la maîtresse des cérémonies, une Bérénice Béjo (César 2012 de la meilleure actrice pour son rôle dans « The Artist » de Michel Hazanavicius) toute de rouge vêtue, rend hommage à une icône disparue : Marilyn Monroe.

L’autre Cannes

Mais Cannes, ce n’est pas seulement les stars, le strass et les paillettes. C’est aussi les festivaliers (près de 80 000) composés de cinéphiles curieux, de cinéastes ambitieux, de jeunes rêveurs et de chasseurs d’autographes déterminés. A Cannes 2012, il y a aussi la plage où des films seront projetés en plein air tous les soirs, il y a des gens qui dorment dans leur voiture face à la cherté et à la difficulté de trouver un logement en cette haute saison.

Cette année, 22 films sont en compétition officielle pour la Palme d’or, parmi lesquels « Baad el Mawkeaa » (La Bataille) de l’Egyptien Yousri Nassrallah qui évoque le printemps arabe. Quatre autres films de réalisateurs africains sont présents : dans la catégorie Un certain regard, « La Pirogue » du Sénégalais Moussa Touré et « Les chevaux de Dieu » du Marocain Nabil Ayouch ; à la Quinzaine des réalisateurs, « Le Repenti » de l’Algérien Merzak Allouache et le court métrage du Marocain Fyzal Boulifa.

Annoncée à Cannes, la délégation camerounaise n’est pas encore arrivée. Conduite par la ministre des Art et de la Culture, Ama Tutu Muna qu’accompagne Bassek ba Kobhio, elle devra poursuivre le projet « Shoot in Cameroon » lancé l’année dernière, pour inciter les producteurs étrangers à venir tourner leurs films dans un pays où il n’existe aucune salle de cinéma et où aucun grand film de fiction n’a été produit depuis plusieurs années.

Stéphanie Dongmo

lundi 14 mai 2012

La mode de Imane Ayissi

Imane Ayissi présente sa collection hiver 2012-2013 intitulée Okiri qui signifie « demain » en ewondo. Cette collection est un véritable clin d'œil au future Tout en en s'enracinant dans le passée, elle offre un aperçu sur la mode de demain en s'inspirant à la fois d'un titre du groupe de rock anglais The Kills, « Future starts slow » et de l'œuvre de l'artiste congolais Bodys Isek Kingelez, qui imagine dans son travail les villes du futur.





mardi 8 mai 2012

Cameroun : Diffuseurs contre producteurs ?

Parmi les temps forts annoncés de cette troisième édition des RADO, qui s’est tenue du 24 au 29 avril, figurait un « face à face producteurs-diffuseurs » tout à fait prometteur. Le match a bien eu lieu mais il n’a pas tenu toutes ses promesses, faute de combattants du côté des diffuseurs. Un seul participant, issu d’une chaîne privée, a en effet, accepté de faire face à des dizaines de producteurs souvent amers ou vindicatifs. La télévision nationale (CRTV), n’était représentée que par l’un de ses réalisateurs.

Cette absence quasi-totale des chaînes camerounaises n’a pas empêché les producteurs et réalisateurs présents d’étaler leurs griefs : indifférence de la télévision nationale à leur égard, non respect d’une législation qui exige pourtant 70 % de programmes locaux à l’antenne et qui prévoit explicitement que la CRTV ait recours au secteur de la production indépendante ; absence de politique de coproduction et même d’achat de programmes locaux ; opacité des critères sur lesquels se fondent les quelques achats constatés malgré tout.

Les choix, selon plusieurs participants, seraient faits « à la tête du client » à la CRTV et sur des critères encore moins avouables (ethniques) dans telle chaîne privée. Quand un responsable des programmes se montre, néanmoins, intéressé par un projet, le refrain, selon les producteurs présents au RADO, serait toujours le même : pas d’argent ! Et Lorsque la télévision nationale propose d’apporter du matériel et des techniciens, cette offre est jugée sans intérêt par la plupart des producteurs qui possèdent souvent leur propre matériel et craignent de travailler avec des techniciens qui n’auront aucun compte à leur rendre.

Du dialogue de sourds surgissent pourtant, parfois, des embryons de solution. Un producteur de série est parvenu à s’entendre avec la CRTV sur la mise à disposition d’un studio inemployé. La palme de l’astuce et du pragmatisme revient à un réalisateur de la CRTV. Face à l’impossibilité d’obtenir tout le budget nécessaire au tournage d’une série et d’un téléfilm, il a pris le parti de financer lui-même les cachets des comédiens. Il est parvenu à rentrer dans ses frais en organisant une projection unique du film qui a rassemblé 800 personnes, grâce aux spots de promotion diffusés par la CRTV.

Si encourageant soit-il, à certains égards, cet exemple montre à quel point il est difficile de se faire une place sur l’antenne d’une télévision publique africaine, même pour un réalisateur « maison » ayant l’avantage d’être déjà « dans la place ».

Dans ce contexte, le directeur de la télévision nationale tchadienne avait fait figure de messie lorsque, venu participer à l’édition 2011 des RADO, il avait conclu plusieurs contrats d’achat de programmes camerounais, à des prix tout à fait encourageants.

Hélas, sa nomination, peu de temps après, au poste de ministre de la culture, s’est soldée par un « manque de suivi » par la télévision tchadienne desdits contrats, dont aucun n’avait été honoré un an plus tard.

On comprend à quel point les producteurs indépendants peuvent se sentir désarmés, d’autant qu’aucun d’entre eux ne « fait le poids » face à la concurrence des programmes étrangers. Aucune fiction camerounaise ne parvient à cumuler tous les atouts qui assurent le succès des séries les plus prisées par les chaînes publiques africaines, à savoir les feuilletons latino-américains ou indiens (qualité technique impeccable, prix de vente très bas, grand nombre d’épisodes).

Dans ce contexte, la Banque d’Images de l’Afrique centrale (BIMAC), créée par Rémi Atangana, l’organisateur des RADO, prend tout son sens. Cette entreprise de collecte et de diffusion de programmes a d’abord été soutenue par l’UNESCO (Fonds international pour la diversité culturelle) avant de recevoir l’appui de la Francophonie pour la diffusion de ses programmes.

La BIMAC a obtenu des mandats de distribution de plusieurs producteurs, ce qui lui a permis de constituer un catalogue plus facile à proposer aux diffuseurs que des œuvres dispersées, d’autant que la Banque d’images se réserve le droit de « calibrer » certains programmes pour les adapter aux normes techniques ou aux formats (durée) exigés par les diffuseurs. Reste à savoir si les programmes en question sont adaptés (ou adaptables) à une diffusion télévisée. On a pu voir, lors des RADO 2012, quelques œuvres qui semblent difficilement normalisables ou formatables.

L’influence des vidéos nigérianes se fait sentir, avec ses avantages et ses inconvénients : effets percutants, audace parfois sans limites mais un niveau technique plus proche de la « qualité VCD » (le format de diffusion – infra-DVD – propre au marché vidéo africain) que des normes « broadcast » des télévisions.

Certains des auteurs qui se tournent spontanément vers la BIMAC sont des semi-professionnels ; d’autres proposent des œuvres parfois créatives mais difficiles à placer (sexe, violence, scènes blasphématoires, comme dans les œuvres d’Alphonse Ongolo, qui a sillonné les océans sur des navires de commerce avant de se reconvertir dans la production de films d’horreur – un genre pratiquement inexistant jusqu’ici en Afrique francophone et totalement absent des télévisions).

En l’absence de marché vidéo réellement organisé au Cameroun et, faute d’un réseau de salles de projection, la production indépendante a peu de chances d’être diffusée hors des télévisions. Or, sur le petit écran, le formatage est le corollaire inévitable de la consommation passive d’images par toutes les catégories de public.

Les indépendants rêvent de la liberté du cinéaste sans en avoir les moyens techniques, artistiques ou financiers mais, pour atteindre un public, beaucoup devront se plier aux exigences des télévisions. Encore faut-il que ces exigences soient formulées clairement. Plusieurs producteurs présents aux RADO ont appelé de leurs vœux une plus grande transparence dans les critères de choix des programmes par les télévisions. Certains se disent prêts à obéir à des cahiers des charges. Encore faut-il que ceux-ci soient formulés clairement par les diffuseurs.

Les RADO 2012 ont également donné lieu à des échanges sur la disparition du cinéma camerounais. Noureddine Saïl, directeur du Centre Cinématographique Marocain (CCM) a fait une intervention remarquée, plaidant pour une renaissance du cinéma, malgré la fermeture des dernières salles camerounaises en 2009. Pour lui, c’est la production de films locaux qui doit être la première préoccupation. Sans ce préalable, toute tentative de relance d’un réseau de salles est illusoire. Il a cité l’exemple de son pays qui, avec 25 longs-métrages par an, peut enfin envisager une relance de la fréquentation et voit le nombre d’écrans repartir à la hausse après des années de déclin (plusieurs nouveaux multiplexes sont en construction ou en projet à et Rabat, Tanger, Fès et Agadir).

Le patron du CCM a insisté sur la nécessité d’une production abondante, d’où pourront émerger quelques œuvres d’envergure internationale. Contre ceux qui préfèrent le choix de l’élitisme, prétendant qu’il vaut mieux se contenter de quelques chefs d’œuvres, il a cité l’écrivain Rabindranath Tagore : « Si vous fermez la porte à toutes les erreurs, la vérité restera dehors ». Noureddine Saïl a réaffirmé l’engagement du Maroc en faveur du cinéma d’Afrique subsaharienne, rappelant que, sous son impulsion, 35 films ont été coproduits par le Centre Cinématographique Marocain depuis « Moolaadé » en 2004. Mais le Cameroun n’est plus au programme depuis 2007, année de sortie des « Saignantes » de Jean-Pierre Bekolo et de « Mah Saah-Sah » de Daniel Kamwa. « Un pays qui ne produit pas au moins un long-métrage par an n’existe pas », a martelé Noureddine Saïl.

 Puisse le Cameroun renouer avec l’existence…

Pierre Barrot
Source: AICP

Pierre Barrot, diplômé de l'École Supérieure de Journalisme de Lille, a été journaliste professionnel pendant 17 ans, travaillant en particulier pour l'agence de presse SYFIA et pour les magazines télévisés "Intertropiques", puis "Baobab", diffusés par Canal France International et TV5. Il a ensuite été l'initiateur et le producteur exécutif de la série télévisée africaine "Taxi Brousse" (Prix des Droits Humains au festival "Vues d'Afrique" de Montréal en 2001 et prix de la meilleure série au festival "Cinéma Tout-Ecran" de Genève en 2003). Il a publié en 1993 (avec Seydou Drame) le roman "Bill l'espiègle" (Ed. Lieu commun) et a coordonné "L'Afrique côté cuisine" (Syros), paru en 1994. Il a également collaboré au manuel "Le métier de journaliste en 30 questions-réponses" (Gérard Ponthieu, GRET, 1998). Pierre Barrot a vécu en Afrique de l'Ouest durant dix ans et fut attaché audiovisuel régional de l'Ambassade de France au Nigeria puis attaché culturel à Alger. (Africultures)

samedi 5 mai 2012

Musique : Pa2nem fait son bonhomme de chemin

Le groupe a donné deux spectacles les 28 et 29 avril derniers au Centre culturel Francis Bebey à Yaoundé.

Pa2nem sur scène au Ccfb. De g à d. Etienne, Priscelia, Le Shegall et Otis.

Vendredi 30 avril 2012 au Centre culturel Francis Bebey à la Montée du parc à Yaoundé, il est 19h. L’heure annoncée pour le début du spectacle du groupe de musique Pa2nem. A l’entrée du centre, une volontaire fait office de guichetier et tamponne le bras de tous ceux qui ont le droit d’entrer. A l’affiche ce soir, le jeune groupe Pa2nem. Justement, ses quatre membres viennent de terminer la balance son (répétition technique du spectacle) et sortent prendre l’air et se détendre un moment, avant de monter sur scène.

21 heures, le show peut commencer. Heureusement pour les spectateurs fatigués par la longue attente, Davy Steven Kagoume, qui assure la première partie avec son groupe, est décidé à mettre de l’ambiance dans la salle à moitié pleine. Ce qu’il réussi sans mal grâce à sa voix veloutée qui porte le titre « I’m afraid », sur la protection de la nature. La soirée aurait continué aussi plaisamment n’eut été la gestion anarchique et peu professionnelle de la lumière et du son, les discours trop long de l’impresario du soir ou encore la petite colère de Frédérique Ottou, qui s’est permis de décrocher son téléphone portable sur scène, entre deux prestations de Pa2nem.

Des incidents qui ont vite été oubliés face à la prestation du groupe. Etienne, Priscelia, Otis et Le Shegall ont su se frayer un chemin dans le cœur du spectateur en enchaînant, en deux parties, une quinzaine de titres avec beaucoup d’ardeur et de foi. Des chansons tirées, pour la plupart, de leur premier album sorti en mai 2011 et intitulé « Enyin » (la vie en bulu). Rap, raggae, slow, afro pop… tout y est passé. Face au son cristallin des guitares flambant neuves, le groupe s’est rattrapé sur la voix de ses quatre chanteurs et sur la qualité certaine des textes, empreints de beaucoup de poésie et d’une grande sagesse. Morceau choisi : « Au commencement était l’artiste et l’artiste était avec Dieu. Au recommencement sera l’artiste et l’artiste sera Dieu ». Vivement ce jour-là.

Stéphanie Dongmo  

Camac : rencontre avec Mal Njam

La Cameroon art critics (Camac), l’association des journalistes culturels camerounais, a organisé, le vendredi 4 mai à Yaoundé, une rencontre professionnelle avec Malet ma Njami Mal Njam. Journaliste, critique d’art, enseignant et organisateur d’évènements culturels d’envergure, Mal Njam les a reçus au siège du centre d’art contemporain Africréa dont il est le fondateur, à Bastos à Yaoundé. Les discussions ont porté sur la carrière de Mal Njam, sur les activités d’Africréa et sur la pratique du journalisme. 2h30 d’un échange riche d’enseignements.

Littérature : Un atelier sur le livre en Afrique francophone

Il est organisé par la Bibliothèque nationale de France le mardi 15 mai prochain à Paris. Entrée libre.


« Le livre en Afrique francophone », c’est le thème de l’atelier qui se décline sous forme de journée d’études. Organisé par la Bibliothèque nationale de France (BnF), en partenariat avec l’Agence universitaire de la francophonie, il se tient le 15 mai 2012, de 9h30 à 18 heures au Petit auditorium François Mitterrand, Quai François-Mauriac, dans le 13ème à Paris. Cette édition a pour but de présenter la situation complexe du marché du livre en Afrique subsaharienne, mais aussi de réfléchir sur son avenir, ses enjeux et ses succès. La journée du 15 mai sera aussi consacrée à l’étude de l’histoire, des spécificités, de la diversité du monde du livre et de l’écrit dans cette partie du monde.

Le marché de l’édition, le livre de jeunesse, la diffusion du livre, autant de thème qui seront abordé par des éditeurs et des écrivains africains au cours de cet atelier, dont la question centrale est : « quelle place occupe le livre dans la vie culturelle et économique en Afrique subsaharienne ? » Car, si le continent compte de nombreux écrivains majeurs, ceux-ci sont souvent édités à l’étranger. « Avec 1,4% de la production éditoriale mondiale, pour 14% de la population, le secteur du livre peine à y prendre son essor. Pourtant, la demande est énorme. Faiblesse du taux d’alphabétisation, prix du livre, carence de politique du livre au niveau étatique, multilinguisme et concurrence des éditeurs étrangers expliquent peut-être cette relative faiblesse. Dans les années 1990, toutefois, de nouvelles librairies et maisons d’éditions ont commencé à renouveler la production et à professionnaliser le secteur, dans le domaine de la littérature de jeunesse, notamment », explique l’organisation de l’évènement.

Les ateliers du livre de la BnF sont un rendez-vous régulier pour revenir sur le livre hier et aujourd’hui. La Bibliothèque nationale de France est la plus importante bibliothèque française doté du statut d’établissement public. Elle est chargée de la collecte du dépôt légal. Elle est aussi connue pour sa bibliothèque numérique en libre accès baptisée Gallica.

Stéphanie Dongmo

 Programme de l’atelier « Le livre francophone »
9h30/ 12h30 matin

Président de séance : Marc CHEYMOL, directeur de la langue et de la communication scientifique en français, Agence Universitaire de la Francophonie

Ouverture Par Gérald GRUNBERG, délégué aux relations internationales, Bibliothèque nationale de France

Introduction
Par Marc CHEYMOL

L'édition en Afrique francophone: un essor contrarié
Par Luc PINHAS, maître de conférence à l'université Paris 13 et Vice-président de l'Alliance internationale des éditeurs indépendants

Le livre de jeunesse : un art africain
Par Viviana QUIÑONES, Bibliothèque nationale de France

Culture de la voix et chaîne du sens
Par Alain RICARD, directeur de recherches émérite au CNRS, laboratoire « les Afrique dans le monde », UMR 5115, président de l'association pour l'étude des littératures d'Afrique (APELA)

Les lieux du livre en Afrique francophone : bibliothèques et librairies
Par Marie-France BLANQUET, maître de conférences en sciences de l'information, Institut universitaire de technologie Michel de Montaigne métiers du livre, Bordeaux

14h15/17h30 après midi
Président de séance : Franck HURINVILLE, chargé de mission pour les relations internationales et la francophonie à la BnF

Sony Labou Tansi: l'Afrique à Limoges
Par Chantal STOÏCHITA DE GRANDPRÉ, chargée de mission pour la francophonie, responsable du pôle de littérature francophone, Bibliothèque francophone multimédia de Limoges

La collection Adoras, des Nouvelles Éditions Ivoiriennes
Par Méliane KOUAKOU YAO, Directrice de la collection Adoras, Nouvelles Editions Ivoiriennes

L’édition africaine francophone aujourd'hui : contraintes et opportunités
Par Mamadou Aliou SOW, directeur général / SOPRODIFF, Guinée, ancien président du réseau des éditeurs africains (APNET)

16h
Quel avenir pour le livre africain ? Comment venir à bout des obstacles et satisfaire un lectorat très demandeur ?

Table ronde animée par Emmanuel KHERAD, journaliste, avec Jacques CHEVRIER, président de l'Association des écrivains de langue française, vice-président du Cercle Richelieu Senghor, professeur émérite à l'Université Paris IV - Sorbonne et membre associé du Centre de recherche en littérature comparée à l'Université Paris IV – Sorbonne; Moussa KONATÉ, écrivain malien, directeur des éditions du Figuier; Méliane KOUAKOU YAO, Directrice de la collection Adoras, Nouvelles Editions Ivoirienne; Fatou DIOME, écrivain (sous réserve)