vendredi 16 octobre 2015

Raoul Djimeli : « J’appelle à penser la condition de l’enfant africain »

L’auteur parle de son recueil de poèmes intitulé En attendant les jours qui viennent, paru en 2014 chez Edilivre. Dans ce livre, il dit sa révolte d’une société en déliquescence où l’enfant, pourtant présenté comme le fer de lance de la Nation, est sacrifié.

Raoul Djimeli
Présentez-nous votre ouvrage en quelques mots ?
En attendant les jours qui viennent est un recueil de poèmes. Un ensemble de textes dits par une petite voix oubliée comme beaucoup d’autres, dans un contexte dominé par  la difficulté. Ces textes disent les malheurs des jours qui passent et présentent l’itinéraire rue-tombe qui quelques fois, devient l’essentiel de la vie de jeunes africains. Notre personnage est un enfant seul. À Yaoundé où il vit dans la rue, il n’y a que les immeubles et les églises des ventrus, les voitures et les mensonges des gouvernants qui remplissent ses yeux. Toute sa génération est abandonnée à elle-même… voici comment elle se bat, en attendant les jours qui viennent.

À quel lecteur s'adresse votre ouvrage ?
Ce livre est d’abord un cadeau à tous ceux qui aiment la poésie. Il s’adresse également à toute personne qui veut comprendre ce que pense  l’enfant africain de l’état de désintégration avancée dans lequel se trouvent les pays africains aujourd’hui, le Cameroun en particulier. Oui, le Cameroun surtout parce que vu de l’extérieur on peut se dire  - avec la violence qui nous étouffe- que tout va bien.
Quelles sont les principales qualités de votre livre ?
Chaque lecteur sait ce qu’il aime particulièrement dans un livre ou chez un auteur. J’aime par exemple l’humour acide d’Alain Mabanckou et de Patrice Nganang. Mon lecteur pourra apprécier, si nous avons les mêmes sensibilités, la force d’une écriture singulière, marquée par le souci de s’offrir pour cesser de souffrir. « S’offrir » dans toutes ses dimensions. Les poèmes semblent chuchoter et crier en même temps. Le lecteur saura aussi apprécier l’allégorie. L’enfant seul du texte, c’est le jeune citoyen africain sans réel État. Il parle aussi de ses parents qui ne sont que dans le brouillard de ses pensées, tout comme l’Histoire des Africains. Beaucoup d’autres charmes poétiques sont à découvrir.

Quel message avez-vous voulu transmettre à travers votre ouvrage ?
Je voudrais monter ce que deviennent  ceux qu’on dit être le fer de lance des Nations. Partager avec le public ce que cachent le soleil et les politiques d’Afrique. Parler de ces enfants que tout le monde voit, comme on voit le bitume sur l’asphalte et ainsi, j’appelle à penser la condition de l’enfant en Afrique. J’appelle à regarder un peu plus loin.

Pourquoi avoir choisi le genre poétique pour exprimer votre message ?
Je pense que commencer une œuvre de l’imagination est un peu comme un caillou qui vous tombe dessus. Si c’est sur votre âme de poète qu’il tombe alors vous écrivez votre douleur par le poème.

La rue et la révolte sont au cœur de votre ouvrage, pourquoi sont-ils des thèmes importants pour vous ?
Parce que la rue est au-devant de la difficulté. C’est là, qu’il convient de commencer. Appeler à la conscience, à la prise en compte des « rués ». La révolte parce qu’elle est capitale. Refuser d’étouffer !

Quels sont vos projets d'écriture pour l'avenir ?
J’ai des textes poétiques en ce moment que je travaille, et d’autres travaux que le public ne tardera pas à découvrir avec encore plus de plaisir.

Un dernier mot pour les lecteurs ?
Chers lecteurs, follow me, the best is still to come!

Interview réalisée par Edilivre

mercredi 14 octobre 2015

Musiques d’Afrique : des stratégies à inventer

La 8ème édition du Kolatier, marché des musiques d’Afrique, s’est déroulée à Yaoundé du 8 au 10 octobre. A côté des concerts, des ateliers et des rencontres professionnelles, il y a eu une table-ronde sur le thème les musiques d’Afrique au profit des acteurs et des Etats africains. C’était le 10 octobre dernier à l’hôtel Mont Fébé.
 
Les organisateurs du Kolatier

Quelles stratégies adopter pour que les musiques d’Afrique bénéficient réellement aux acteurs et aux Etats ? Telle est la question qui a réunis autour d’une table quatre hommes : Kladoumadje Nadjaldongar, directeur de la valorisation au Centre de recherche et de documentation sur les traditions et pour le développement des langues africaines (Cerdotola), Manassé Nguinambaye, directeur du festival de musiques DjamVi au Tchad, Thierno Ousmane Bâ, tourneur et producteur sénégalais installé en Belgique et Luc Yatchoukeu, promoteur du Kolatier et président du Conseil camerounais de la musique.

D’entrée de jeu, Kladoumadje Nadjaldongar a parlé des politiques culturelles des Etats africains. Il existe un florilège d’orientations culturelles promues par les organisations internationales, entre autres l’Unesco et l’Organisation internationale de la Francophonie : à l’exemple de la charte de Naïrobi sur les industries culturelles, la déclaration de Cotonou, la déclaration de Beïrut, etc. Beaucoup d’Etats ont ratifié ces textes, mais le problème se pose au niveau de leur mise en application effective.

Et on constate qu’entre une politique culturelle et son exécution, il y a de sérieux écarts. D’après lui, le problème vient parfois de ce que les modèles soumis aux Etats ne correspondent pas tout à fait à leurs visions. Il a ainsi recommandé de promouvoir des modèles endogènes de gestion de notre patrimoine culturel, en déterminant ce qui est bon à prendre et ce qui est bon à laisser dans la coopération internationale.

Pourtant, malgré ces écueils, la musique peut être un atout majeur dans le développement de certaines villes. Manasse Nguinambaye du Djamvi a expliqué les stratégies mises en place par son festival pour créer de la richesse autour de la musique à Ndjaména. Par exemple des stands au village du festival où des commerçants et micro-entrepreneurs réalisent de bons chiffres d’affaires, l’accompagnement des artistes à la production de leurs œuvres, etc.

Parlant de professionnalisation, Luc Yatchoukeu a souligné le déficit de formation des acteurs de la filière. Pour lui, la forme du produit comptant autant que son contenu, l’artiste doit se faire accompagner par des agents et attachés de presse. Ce à quoi Thierno Ousmane Bâ a ajouté que le talent ne suffit pas, il faut avoir derrière soi une équipe qui peut accompagner l’artiste. Car les plateformes importantes passent par des managers pour négocier des contrats et ne contactent pas directement l’artiste.

Alors que les artistes d’Afrique tournent essentiellement sur le continent, en Europe de l’Ouest et un peu aux Etats-Unis, Thierno Ousmane Bâ a parlé de nouveaux marchés pour les musiques d’Afrique, que représentent l’Asie, l’Europe de l’Est, l’Amérique latine, la Scandinavie… Mais pour se lancer dans ces espaces, cela nécessite que l’artiste ait acquis une certaine maturité et soit entouré de professionnels. Pour ce tourneur, l’artiste en Afrique doit se mettre à la page et, comme en Europe, devenir une société avec une comptabilité, une communication, etc. Les nouvelles technologies aussi sont apparues, changeant le mode de consommation de la musique, avec une distribution en ligne des contenus que les artistes d’Afrique ont tout intérêt à explorer.

 
Pour Kladoumadje Nadjaldongar, il faut que les organisations culturelles soient fortes pour pouvoir influencer les décisions des Etats. Luc Yatchoukeu ajoute qu’il faut créer des entreprises véritables qui puissent payer les impôts et alors, l’Etat va s’intéresser aux arts, et particulièrement à la musique. « Il faut s’organiser et montrer que nous sommes des acteurs du développement et que nous pouvons apporter quelque chose de concret, démontrer l’intérêt que les Etats ont à nous soutenir. Le gros problèmes est de travailler ensemble, de fédérer les énergies ».
En attendant que ce vœu pieu puisse se réaliser, le secteur musical continue à traîner ses maux.

Stéphanie Dongmo 

Roman : L’Afrique abrutie

Le Christ selon l’Afrique, le dernier roman de Calixthe Beyala, prend pour prétexte de l’histoire rocambolesque de Boréale, une jeune fille qui accepte de porter un enfant pour sa tante, pour parler des religions et des croyances en Afrique.

Calixthe Beyala
 Le Christ selon l’Afrique : tout un programme. Le corps de ce livre est une histoire puisée dans une vieille coutume béti, aujourd’hui en voie de disparition. Boréale, une jeune fille pauvre de 20 ans, boniche le jour et délurée la nuit, accepte de porter un enfant pour sa riche tante, M’am Dorota rattrapée par la ménopause. Fortement encouragée par toute sa famille, elle entretient des relations sexuelles avec son oncle et se retrouve enceinte. Mais, accident de parcours, Boréale devient une Agatha de plus de l’humanité adultère et se bat pour garder son enfant.

L’âme de ce livre est la religion. Ou plutôt, toutes les croyances que les Africains embrassent à bras le corps, du christianisme à l’égyptologie. Kassalafam, le quartier pauvre de Douala où vit Boréale, est le lieu d’observation par excellence de ce melting-pot religieux. Il y a des personnages comme l’apôtre Paul. Des tréfonds du chômage, il a un jour une illumination qui va le rendre riche. Il créé une église où il vend toute sorte de sacramentaux avec, cerise sur le gâteau, le droit de trousser les femmes pour leur transmettre le saint esprit. Il y a aussi Homotype. Amoureux infidèle de Boréale, il prône le retour à l’Egypte antique et convoque à volonté Amon Rê et Osiris, des dieux égyptiens qu’il fait passer avec du chanvre indien. Au centre de ces extrêmes, il y a des gens comme Boréale qui ne croient ni en Dieu, ni en diable.

L’esprit de ce livre est la misère ambiante dans cette société africaine contemporaine. Où les riches écrasent les pauvres, au propre comme au figuré ; où les politiciens véreux tiennent la chandelle face à une opposition en mal d’inspiration. Mais la misère ici n’est pas seulement économique, elle est surtout morale et même spirituelle. C’est cette misère qui amène une mère à mettre en location le ventre de sa fille pour porter l’enfant destiné à une autre. C’est aussi cette misère qui conduit les malades de Kassalafam vers l’église plutôt que vers l’hôpital. C’est encore cette misère qui pousse Ousmane, le collègue boy de Boréale, à séduire sa patronne blanche, vieille et esseulée. C’est enfin cette misère qui fait qu’au fin fond du quartier, une femme shooté au câble ferme les yeux sur ses malheurs pour s’intéresser à la crise de subprimes en occident.

Le roman de Calixthe Beyala donne de l’Afrique l’image d’une frivole incapable de dire non et qui se retrouve écartelée entre ses propres croyances, les religions importées et les nouvelles tendances spirituelles. Entre le catholicisme, les églises de réveil, l’égyptologie, la mondialisation de la pensée, la démocratie forcée, l’impérialisme occidental et une violence sourde, l’Afrique semble ne plus savoir où donner de la tête. Des débats sur la crise en Côte d’Ivoire (2010/2011) et la guerre civile en Libye (à partir de 2011) surgissent dans l’œuvre. Calixthe Beyala s’est fortement engagée contre l’ingérence occidentale dans ces deux crises. Sans succès hélas, et le goût amer laissé par ces échecs sort de la bouche de ses personnages.

La critique est particulièrement acerbe envers les religions, et notamment le christianisme. Bien que s’appuyant sur des faits réels, cette critique est assez caricaturale. Il en va de la manière dont l’auteure décrit l’Africain qui, au lieu de travailler à améliorer ses conditions de vie s’adonne plutôt à la prière. Un peuple abrutit et sans valeur, perméable à souhait, prêt à toujours plier l’échine, incapable de penser plus loin qu’au pain quotidien. Un peuple con en un mot. Rien ni personne ne trouve grâce à ses yeux. Ni l’Afrique dont elle est originaire, ni l’Occident où elle vit depuis ses 17 ans, en France notamment. Elle trouve les mots justes pour tourner la religion en dérision et ironiser du Christ. Au passage, elle destine quelques piques acerbes à Françoise Foning, l’ex-mairesse de Douala Vème décédée en janvier 2015.

Ce roman est, au final, un cri de colère sans subtilité. Envers la léthargie des Africains et la prédation des occidentaux. Le style est léger et grave à la fois, parfois ironique sur des sujets sensibles. La romancière utilise des néologismes et tort la langue française pour exprimer des réalités méconnues de l’Académie française. Les psaumes, les prières et les chansons qui émaillent ici et là donnent du souffle au roman, qui n’en devient pas pour autant musical. Au-delà de la caricature, Calixthe Beyala, avec une vingtaine de romans à son actif, continue à affiner son écriture inclassable qui donne à la langue française une nouvelle saveur.
Stéphanie Dongmo

Calixthe Beyala
Le Christ selon l’Afrique
Albin Michel, Paris, 2014

265 pages