Les feuilletons à l’eau de rose occupent le prime time sur les chaînes camerounaises.
Ils véhiculent des contenus idéologiques très différents des pratiques en
Afrique. Ils influencent notre rapport à l’amour et décuplent notre envie
d’être aimé.
Depuis la libéralisation
du secteur de l’audiovisuel au Cameroun, on en a vu, des telenovelas : Le Baron, Isaura, Catalina y Sebastian, Rubi, El diablo, Terra nostra, Mademoiselle,
Avenida Brazil, Marina, Rosa Salvage, Luna, Tour de Babel, le Clone, El
triumpho del amor. La liste de ces productions, venues d’Amérique du Sud mais
de plus en plus d’Asie, est loin d’être exhaustive.
Les feuilletons à l’eau
de rose ont bonne presse et sont diffusés en prime time.
De 18h30 à 21h30, le téléspectateur peut passer 3h à regarder des telenovelas
en zappant d’une chaîne à une autre. La personne qui aura raté l’épisode du
jour pourra toujours regarder la rediffusion le lendemain, souvent en début
d’après-midi.
Au coeur de l'amour de Chantal Youdom. |
La plupart de ces
feuilletons sont fournis par la société de distribution de contenus
audiovisuels Côte Ouest qui possède six bureaux (Casablanca, Ebène, Abidjan,
Kinshasa, Lagos, Johannesburg) pour mieux couvrir le marché africain. Elle distribue
des productions de plus de 200 épisodes, dont la diffusion dureplus d’une
année. Une grosse machine comparée aux rares telenovelas camerounaises comme Au cœur de l’amour qui peinent à
produire 50 épisodes.
Force est aujourd’hui de
constater le succès rapide et désormais durable de la telenovela.
Une prospérité
confirmée par la création de chaînes de télévision consacrées exclusivement à ce
genre. C’est le cas de Telenovela Tv et de Nina Tv que l’on reçoit au Cameroun
grâce au câble. Le mépris et la réprobation qu’on affiche quand on en parle n’arrête
pas les intérêts économiques qui produisent et diffusent ces romans-photos
audiovisuels, dont le propre est d’attirer et de conserver un audimat pour les
chaînes de télé et donc des annonceurs. D’où les plages pub à rallonge avant,
pendant et après la diffusion des telenovelas.
La telenovela n’est pas
une production militante. Elle se contente de mettre en scène un rêve :
celui d’un homme et d’une femme qui s’aiment envers et contre tout. Le couple
qui se forme au début doit affronter plusieurs obstacles, les malentendus, la
méfiance, les déceptions et la jalousie avant de parvenir à une union finale. Toute
la production repose sur ces retrouvailles-séparations qui sont autant de
rebondissements à l’intrigue.
L’air du temps
Ses thématiques
principales sont: amour, beauté, gloire, argent, mensonge, trahison. La telenovela
se termine toujours par une fin heureuse : les amoureux se réconcilient et
se marient, les méchants récoltent ce qu’ils ont semé. Le telenovela c’est, par
essence, l’écriture en rose d’une histoire d’amour qui est ancré dans le présent.
Car elle épouse l’air du temps, les causes et les dépravations qui y sont
associées. Les évolutions sont très fortes, d’une année à l’autre, dans les
contenus idéologiques véhiculées par ces feuilletons.
Ainsi, dans les
premières telenovelas diffusées au début des années 90, l’héroïne était
toujours jeune et vierge, s’habillait décemment et il n’y avait de relation
sexuelle entre elle et son amoureux qu’après le mariage. Dans les feuilletons d’aujourd’hui,
l’héroïne est rarement vierge, les amoureux n’attendent plus le mariage pour
avoir des relations sexuelles, font même des enfants hors mariage. Les
relations sont plus physiques avec des baisers fougueux, des caresses et des
déshabillages mutuels. Les femmes sont de plus en plus dénudées.
Dans ces nouvelles
productions, il y a une histoire d’amour centrale autour de laquelle gravitent
plusieurs histoires d’amour secondaires. Très souvent, on a un personnage
homosexuel lui-même en quête d’amour. Le feuilleton Irrationalheart, diffusé sur Canal 2 et Equinoxe tv, a soulevé
l’opinion publique camerounaise en 2013 dans un pays où l’homosexualité est
interdite, obligeant ces chaînes de télévision à interrompre sa diffusion.
Initiation à l’amour
Le public de la
telenovela est constitué en majorité de femmes et d’enfants. Ces derniers
commencent à les regarder très tôt en compagnie de leurs mères. Il n’est pas
rare d’entendre des bambins commenter le dernier épisode de leur telenovela
préféré dans la cour de recréation d’une école primaire. Le feuilleton devient
ainsi, pour eux, le premier récit d’initiation à l’amour. La description qu’il
fait de l’amour pourrait alors être considérée par ce jeune public comme la
forme par excellence du parcours amoureux. La telenovela a une réelle influence
sur l’imaginaire des gens. A force de regarderce qui est supposé être « le
véritable amour », on finit par rêver d’une autre vie d’amour que celle
que la réalité, moins rose, nous propose.
L’être humain aime
aimer. Qui n’a pas rêvé d’entendre, encore et toujours, ces paroles d’amour que
nos cœurs ne sont jamais las d’entendre ? Ces feuilletons décuplent notre
envie d'être aimé, et surtout d'être aimé d'une certaine façon. Mais ce n’est
pas au Cameroun qu’on trouvera facilement un homme capable de vous dire
« je t’aime » dix fois par jour. Comparés aux amoureux en puissance
des telenovelas, nos hommes paraissent bien mièvres et rustres. Ce qui
donne l’impression que les hommes qui savent aimer se trouvent ailleurs. Quoi
de plus normal donc que d’aller les chercher sur internet ?
Pourtant, ces feuilletons
nous présentent des réalités qui ne sont pas les nôtres, des mentalités qui nous
sont étrangères, des valeurs que nous n'approuvons pas. Malgré cela, notre société
permissive, qui s'ouvre largement au premier venu, l’embrasse et l’assimile, au
risque d’y perdre son identité. Ainsi, selon les feuilletons diffusés naissent
des générations d’enfants ayant pour prénoms Marimar, Rubi, Marina, Manuela…
Stéphanie Dongmo
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