Critique du court-métrage « Angles », écrit et réalisé
en 2018 par le Camerounais Frank Thierry Lea Malle, qui revient sur un drame
devenu banal à force d’être récurrent : les accidents de la circulation,
sur une intrigue originale et agréablement décalée.
Un
policier corrompu. Une amante impatiente. Un chauffeur irresponsable. Un camion
vétuste. La rencontre de ces éléments provoque un grave accident de la route
qui laisse plusieurs morts sur le carreau. Le générique du film annonce déjà la
couleur : noire. Puis, on voit des pieds de femme hésitants avancer dans
une morgue. Le sol rougi de sang raconte la déchéance des corps. Des jeunes. Le
fer de lance de la Nation. Debout, une femme ayant identifié le corps de sa fille
lève les bras et ouvre la bouche, pour ne laisser s’échapper qu’un gémissement.
Ce gémissement, plus assourdissant qu’un cri, nous plonge
définitivement dans le drame.
Tout le film est
construit autour de l’accident, le nœud de l’intrigue. Si l’accident est
omniprésent, le film ne le montre pas. Le réalisateur a choisi d’opérer une
distanciation symbolique du drame. Des Sms affichés en surimpression de l’image
dévoilent les préoccupations des personnages et l’objet de leurs quêtes. Le montage
repose sur des fragments de temps et d’actions qui nous racontent ce qui s’est
passé avant et après l’accident à travers des flashbacks et des flashforwards. Le
passé, le présent et le futur s’entremêlent. Avec, à chaque fois, la précision
de l’heure par rapport à l’accident. Cela donne au film un souffle, tient en
haleine le spectateur qui doit, du coup, fournir un minimum d’effort pour le
saisir.
Frank
Thierry Lea Malle a utilisé les ficelles du documentaire pour donner une bonne
dose de réalisme à cette fiction et créer la proximité avec le spectateur. Le
film allie cinéma et reportage, illustré par des plans larges de la vie
quotidienne dans des quartiers de Yaoundé. On peut aussi entendre un débat
radiophonique portant sur l’accident, ainsi que des populations qui donnent
leurs avis en voix off. Mais la pauvreté de ces images et les intentions
pédagogiques étalées dans le off viennent alourdir le rythme de la narration.
Angles
met le doigt sur les problèmes sociaux au Cameroun : corruption,
clientélisme, absence d’une couverture santé, argent-roi. Le chauffeur, rôle magnifiquement interprété
par Rigobert Tamwa dit Eshu, en est le parfait serviteur, lui qui tient la
bourse qui ouvre toutes les portes : celui de la visite technique pour un
camion dont la portière ne se ferme qu’à grands coups, d’un contrôle policier
et même du lit d’une femme.
Les
femmes ici semblent toute puissantes, d’une puissance parfois destructrice. Par
leur détermination à obtenir ce dont elles ont besoin, pas pour elles-mêmes
mais pour leurs enfants, elles mettent les hommes en mouvement. La maternité
leur donne des ailes, le sexe faible devient fort. Illustration : dans une
séquence, un duel oppose le policier qui s’apprête à aller au travail à sa
femme (Virginie Ehana présente dans la quasi-totalité des films de Lea Malle),
qui veut de l’argent pour amener leur enfant malade à l’hôpital. L’homme dit
qu’il attend son salaire et sa femme lui demande de faire comme les autres
policiers, l’essentiel étant de ramener des sous à la maison.La femme est
assise sur le lit et son mari debout. Bien que moins grande que lui et filmée
en plongée, elle domine et écrase son mari filmé pourtant en contre-plongée, tout
au long de l’affrontement verbal. L’homme, policier de surcroit et donc garant
de la loi, finit par céder et à verser dans la corruption. Pourtant, bien que
décrites comme des Eves donnant des pommes à des Adams, c’est encore les femmes
qui, à travers un débat télévisé, vont réfléchir aux solutions pour faire
cesser les accidents.
Dans
un pays riche de ses langues et confronté à la montée du tribalisme, Lea Malle
a choisi de faire valoir trois langues nationales, qui sont parlées aux côtés
du français. Une réappropriation linguistique qui est la bienvenue au moment où,
au Cameroun, le slogan officiel est « le vivre ensemble » face aux
divisions tribales.
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Lea Malle |
Le
discours de l’auteur de ce film est clair : nous sommes tous responsables !
L’Etat a failli, c’est évident. Cela s’illustre par le panneau annonçant
l’entrée à Yaoundé la capitale, qui est plantée dans un tas d’ordures. Cela
s’illustre par le policier qui attend toujours son premier salaire longtemps
après sa prise de service. Cela s’illustre par le responsable de la visite
technique qui, malgré l’écriteau « Non
à la corruption » plaqué dans son bureau et la photo encadrée du
Président de la République, un Paul Biya toujours jeune, il délivre des
certificats des visite technique sans examen du véhicule.
Face
donc à la faillite du pouvoir, Frank Thierry Lea Malle en appelle à la
responsabilité de chacun. Tous les personnages du film sont responsables de
l’accident, directement ou indirectement, ils sont tous des angles d’une même réalité.
L’heure n’est donc plus à la recherche d’un coupable mais dans la
reconnaissance de notre part de responsabilité. Un discours qui fait sens au
moment où la pandémie du Covid-19 a révélé l’interdépendance des hommes.
Angles
est construit en cercle. Il s’ouvre sur un tableau noir avec en fond sonore une
prière à Dieu dite par une femme. Il se termine par un tableau noir avec en
fond sonore le bruit du camion qui démarre et s’élance pour aller commettre son
forfait. La boucle est alors bouclée, le serpent s’est mordu la queue. La
prière a été dite mais le miracle ne s’est pas produit. A chacun d’être une
solution.
Stéphanie
Dongmo