Directeur de la collection
Lettres africaines aux éditions Actes Sud, Bernard Magnier est aussi conseiller
littéraire pour le Théâtre du Tarmac à Paris et depuis peu, auteur du Panorama des littératures francophones
d’Afrique. Edité par l’Institut français, ce livret numérique gratuit a été
présenté le 6 décembre à l’Alliance française Paris Ile-de-France, en présence
de deux auteurs qui y figurent : Marguerite Abouet et Sami Tchak.
L’ouvrage
est téléchargeable en Pdf à cette adresse : http://www.institutfrancais.com/panorama
Bernard Magnier. Crédit photo: Institut français |
A la demande de l’Institut
français, vous venez de réaliser un panorama des littératures francophones
d’Afrique disponible en ligne. De quoi s’agit-il ?
Ce « panorama » se veut un outil de découverte, une
invitation à la lecture. C’est un travail destiné en priorité aux enseignants,
bibliothécaires, documentalistes mais aussi à tous les lecteurs qui voudront
bien s’intéresser à ces littératures, à tous les lecteurs curieux.
Ce panorama recense 150
auteurs et 250 ouvrages publiés entre 1930 et 2012. Quels ont été les critères
de sélection ?
Evidemment, en premier lieu, la qualité de l’œuvre ; ensuite
des critères qui relèvent de l’ambition « panoramique » du projet
(représentativité géographique de l’ensemble du continent, mélange des
générations, nécessité d’un choix plus rigoureux pour les écrivains ayant une
œuvre très abondante), enfin des critères plus subjectifs qui m’ont fait
préférer telle œuvre à telle autre, choisir ce roman plutôt qu’un autre dans
une œuvre très abondante, avec la volonté de donner la vision
« panoramique » la plus large possible. Le souhait que ce travail
soit un outil pratique m’a également guidé vers des titres accessibles (le plus
souvent en format - et à un prix- de poche) et vers le roman plus que vers les
autres genres littéraires. De plus, contrairement aux usages trop bien établis,
il s’agit ici d’un panorama couvrant l’ensemble du continent. Maghreb et
Afrique sub-saharienne sont présents ensemble, de même que l’Egypte et la
Libye, dans une même approche et cela donne lieu à des juxtapositions
intéressantes et souvent inédites.
Vous avez choisi une approche
thématique pour aborder ces littératures. Pourquoi ce choix éditorial ?
Le classement alphabétique est pratique mais sans signification. Le
classement par pays sans intérêt voire pervers (la littérature n’est pas le
lieu de la compétition). La seule approche chronologique a ses limites :
un écrivain peut en 2011 situer son roman durant la période coloniale… Dès lors,
où le classer ? J’ai donc préféré choisir le classement thématique en lui
donnant néanmoins une progression chronologique. Une gageure et un joli puzzle
à recomposer pour faire entrer 250 titres dans 7 thématiques et 25
sous-thématiques, mais il me semble que ce classement permet de donner des
entrées différentes, des pistes de lecture, de suggérer des rapprochements
inédits et significatifs et donc, offrir une meilleure découverte de ces
littératures.
Quelles contraintes avez-vous
rencontré pour réaliser ce travail ?
Les
contraintes matérielles de l’outil et donc de la page informatique. Et, bien
sûr, celles inhérentes à ce type de travail, à commencer par celle de faire un
choix, de sélectionner, donc d’exclure…
De choisir et d’en assumer les limites, tout en revendiquant le droit à
l’erreur. La littérature et sa critique sont des sciences inexactes !
Dans ce panorama, vous mettez
en exergue des paroles d’écrivains qui parlent de la langue qui leur a été
imposée. Comment les auteurs francophones d’Afrique s’approprient-ils la langue
française?
A
chacun son mode et sa façon et c’est ce que j’ai voulu suggérer en offrant des
citations contrastées à propos de l’usage de la langue française. Certains y
voient une contrainte, d’autres revendiquent une revanche ; d’autres
encore considèrent la langue comme un outil, quelques-uns pensent qu’elle leur
appartient. Tous entretiennent des liens passionnels, amoureux ou conflictuels
avec la langue française.
Ce livret numérique est
destiné à être diffusé en ligne. Est-ce un choix pratique quand on sait
qu’internet n’est pas encore accessible pour tous dans les pays dont les
littératures sont ici mis en exergue?
L’Institut
français a souhaité que le « panorama » soit publié sous cette forme.
Et c’est une bonne chose car cela permet une accessibilité immédiate et
gratuite, partout dans le monde. Les réactions déjà enregistrées le prouvent.
Mais il est vrai que l’accessibilité du continent africain demeure faible.
C’est pour cela que, pour ma part, je souhaite qu’il existe prochainement une
version papier.
Le roman, la nouvelle et la
poésie constituent l’essentiel des titres de ce panorama. Mais on y voit aussi
quelques titres des genres comme l’essai, la bande dessinée, le théâtre…
Pourquoi cette ouverture ?
Parce
qu’il me paraissait impensable de ne pas citer la bande dessinée Aya de Yopougon de Marguerite Abouet.
Parce que les essais d’Esther Mujawayo (SurVivantes)
et de Souâd Belhaddad (Entre deux
« je ») sonnent l’un et l’autre juste et fort. Et parce qu’il
était impossible de dresser un panorama sans tenir compte des voix
dramaturgiques. Fatima Gallaire, Slimane Benaïssa, Dieudonné Niangouna en
auraient été absents…
Y a-t-il des genres qui,
jusqu’ici, n’ont pas été exploré par les auteurs du continent ?
Oui,
par exemple, la science fiction reste un domaine fort rare.
Vous parlez d’une littérature
riche alors même que l’édition dans les pays évoqués peine à décoller. N’est-ce
pas contradictoire ?
Oui
sans doute, mais il demeure que ces littératures sont « riches »,
talentueuses et abondantes, même si l’édition africaine est rare. Le paradoxe
est d’autant plus fort dans certains pays où les maisons d’édition sont
quasi-inexistantes. Je pense à Brazzaville, par exemple, où les maisons
d’édition sont absentes et où la littérature est d’une belle vitalité, de
Tchicaya U Tam’si à Dieudonné Niangouna en passant par Sony Labou Tansi, Henri
Lopes ou Emmanuel Dongala.
Depuis quelques années, le
roman sentimental connaît du succès en Afrique, avec la collection Adoras des
éditions NEI qui publient trois titres par trimestre. Est-ce que finalement,
les lecteurs n’ont pas besoin du rêve qu’ils ne trouvent pas forcément dans
d’autres types de littératures considérés comme plus sérieux ?
Le
rêve serait-il incompatible avec le « sérieux » comme vous
dites ? Pour ma part, je m’en suis tenu aux créations de fiction qui,
selon moi, offrent un réel intérêt littéraire, une plus-value artistique qui
fait leur force et leur intérêt.
Parmi les auteurs qui ont
fait les beaux moments des littératures francophones d’Afrique, plusieurs ont
occupé de hautes fonctions dans l’administration de leurs pays respectifs.
Comment ce positionnement a-t-il déterminé leur écriture ?
Il
y a souvent une incompatibilité entre exercice du pouvoir et création
artistique. Ne serait-ce que du point de vue de la disponibilité matérielle,
sans même penser aux incompatibilités intellectuelles. Les grandes œuvres de
Senghor, de Césaire ou, par ailleurs, de Malraux ou de Vaclav Havel, ont été
produites avant qu’ils n’exercent le pouvoir… Il en va de même pour les
écrivains de l’Afrique et des autres générations. Souvent la littérature s’est
effacée au profit du politique.
Suffit-il à un écrivain
d’écrire pour faire entendre sa voix?
A quoi ont servi ces
littératures pour les pays francophones d’Afrique ?
À
tout. À rien ! Comme dans n’importe quel autre lieu de la planète. Comme
toute œuvre d’art : parfaitement inutile et totalement
indispensable !
L’histoire de ces
littératures épouse les tribulations du continent en même temps qu’elle raconte
son histoire. La fiction n’est-elle pas finalement un leurre pour mieux parler
de la réalité ?
Un
« leurre » ou un … « mensonge vrai » ? Il est des
romans qui disent plus et mieux que bien des essais, bien des articles de
journaux… Mais il ne faut pas oublier aussi la notion de plaisir. La lecture
est certes un enrichissement mais aussi un plaisir. Et ce n’est déjà pas si
mal !
Quelle est aujourd’hui la
réception de ces écrits ?
Elle
s’améliore incontestablement hors du continent, en France en particulier où
désormais ces littératures sont éditées, présentées, critiquées, lues comme les
autres littératures. Il y a un phénomène de normalisation de l’accueil qui est
en marche. Pour ce qui est de la réception sur le continent africain, les
situations sont diverses mais il y a encore beaucoup à faire… Dans bien des
pays, le lectorat ne s’est pas encore réellement constitué.
Qu’est-ce qui caractérise la
nouvelle génération d’écrivains des années 2000 ?
Sans
doute une plus grande liberté de ton, d’écriture, dans le choix des thématiques. Une meilleure connaissance
des littératures du monde. Ils ont davantage d’audaces. Ils sont dédouanés des
contraintes des aînés. Ils ne sont plus obligés de parler au nom de… Au nom
d’une race, d’un peuple, d’un continent, d’une collectivité. Le
« je » est beaucoup plus présent. Ils sont aussi davantage ancrés
dans une réalité urbaine.
Aujourd’hui, les écrivains
d’origine africaine réclament d’être considérés comme des auteurs tout court et
non plus selon une grille linguistique (le français) ou territoriale
(l’Afrique). Avez-vous le sentiment qu’ils sont entendus ?
Oui,
je crois que l’approche de ces littératures est en évolution. Mais il reste
beaucoup à faire. L’approche par la langue et/ou le territoire est une
commodité, un moyen de mieux cerner le sujet. Cela ne relève pas d’un processus
de ghettoïsation mais d’une stratégie afin de braquer le projecteur sur un
corpus déterminé, d’attirer l’attention, de faciliter la découverte.
Vous, Bernard Magnier,
comment êtes-vous venu à vous intéresser aux littératures d’Afrique ?
J’ai eu la chance de croiser dans ma formation
universitaire deux enseignantes à l’enthousiasme contagieux, Maryse Condé et
Lilyan Kesteloot, qui m’ont permis de découvrir Césaire, Senghor, Mongo Béti,
Cheikh Hamidou Kane, des littératures jeunes, neuves, novatrices. La découverte
se poursuit encore aujourd’hui…
Propos recueillis par Stéphanie Dongmo
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