jeudi 19 juin 2014

Kareyce Fotso : ''Je suis une artiste, pas une star''

La chanteuse a présenté au Cameroun en mai dernier son troisième album, Mokte. 12 titres qui, en huit langues, invitent à un voyage au cœur de la diversité culturelle camerounaise. C’est une femme en colère contre le tribalisme, émue par son parcours, heureuse en ménage et reconnaissante envers Dieu que nous avons rencontré. Entretien.



Vous revenez au-devant de la scène avec un album intitulé Mokte, qui signifie croire en ghomala. En quoi doit-on croire ?
L’idée de l’album est née après que j’aie reçu un gros choc à Mvog-Ada [quartier de Yaoundé, Ndlr]. Mes parents, qui sont venus de Bandjoun en 1959 et ont vécu depuis en harmonie avec tout le monde dans ce quartier, se sont entendu dire un jour par un autochtone : « rentrez chez vous, vous n’êtes pas d’ici ». Ça m’a bousculée, j’en ai pleuré. Je croyais qu’on avait dépassé cela, c’est un discours qu’on ne devrait plus tenir pour l’intérêt de notre nation. Le Cameroun a peut-être la paix mais qui nous dit qu’il n’y a pas une braise en dessous et qu’il ne suffit pas seulement d’une étincelle pour que le feu prenne ? Ca trotté dans ma tête.

Au point de vous faire abandonner votre projet premier…
J’ai mis en instance mon projet d’album intitulé The traveller. Je peux voyager dans mon propre pays et mieux raconter son histoire à travers le monde. Le Cameroun c’est 300 ethnies, 300 cultures, 300 richesses qu’on ne pourra même pas déjà explorer en une vie. Je voulais aussi essayer de créer un lien culturel. J’ai grandi dans un carrefour culturel où  il y avait Bétis, Bassas, Doualas, Bamilékés… Il y avait même des Biafrais, Centrafricains, Tchadiens, Béninois, Maliens… J’ai voulu considérer mon CD comme ce lieu que j’ai envie de revoir, ce rêve de mon enfance que j’ai envie de recréer.

Qu’espérez-vous en dénonçant le tribalisme dans cet album ?
Le tribalisme c’est con, c’est une bêtise. Le danger serait justement de ne pas en parler. Il faut conscientiser les gens, leur dire il ne faut pas en arriver là. Mon album est une façon de percer l’abcès et ce n’est pas un hasard s’il sort officiellement au Cameroun le 20 mai, jour de la Fête de l’unité. J’ai utilisé huit langues [Ngomala’a, bassa, ewondo, duala, foufouldé, anglais, français… Ndlr] car étant Camerounaise, je peux être haoussa, douala, bassa, bami... Je veux arrêter d’être une tribu pour mieux vendre mon pays à l’extérieur, moi qui ai une vitrine internationale.

Vous revendiquez d’ailleurs une double appartenance…
Mes parents sont bamilékés mais moi, je suis béti. J’ai le droit de le dire. Je vois des enfants de Camerounais nés en France qui revendiquent d’être Français. La première langue que j’ai parlé c’est l’éwondo, avant même le ghomala.

Vous êtes musicienne instrumentiste et jouez plusieurs instruments, combien de temps cela vous a pris pour les apprendre?

Je joue à la guitare depuis 2009. Je suis une acharnée, une passionnée, je vais au fonds des choses. J’ai eu des moments de découragement mais la guitare, il faut vraiment s’y accrocher. C’est la chose qui m’a le plus accompagnée ces quatre dernières années, c’est devenu mon amie fidèle. J’ai un bon rapport avec les percussions, je crois que c’est un don. Et j’ai le rythme, comme la danse, dans le sang. Je fais plein de choses que je n’ai jamais apprise à faire. Peut-être c’est parce que j’ai grandi dans une famille où on manquait de tout. Ma mère est bayam sellam. Avec à peine un dollar [475 Fcfa, Ndlr] par jour, elle devait nourrir 19 bouches. Quand tu prends conscience de ça, tu te prends en charge très tôt.

Qu’est-ce qui fait votre succès?
Selon les journaux occidentaux -car c’est là-bas que je gagne ma vie- ce qui a fait la différence avec mon travail, c’est mon originalité. Il faut être soi, ne pas caricaturer, être vraie. J’ai compris cela en m’appuyant sur des aînés qui ont fait de longues carrières comme Youssou N’Dour, Angélique Kidjo, Salif Keita, c’est leur langue qui les a sauvés. Si tu choisis le français ou l’anglais, tu ne pas mieux chanter que Céline Dion ou Lara Fabian. Mais quand tu vends ta vérité, tu es éternel parce que personne ne sera jamais toi. Il y a 50% de talent, 25% de chance et 25% de persévérance, de discipline. Il faut être aguerri. Si je n’étais pas prête, je ne serais plus dans le circuit aujourd’hui. J’ai parfois 21 concerts en un mois dans des pays différents. Et tu ne peux pas tricher parce que c’est du live, tu donnes de la voix. Si tu n’as pas du métier, si tu n’as pas chanté au cabaret tous les soirs, tu ne peux pas le faire. 80% de mes chansons sont en nos langues et ce n’est que le début.

Que représentent ces langues pour vous?
Pour moi, la langue c’est comme un attachement à ma mère, c’est ce qui nous construit. Lorsque tu sais parler ta langue, tu es attaché à quelque chose de fort, tu es en accord avec ton âme, ton esprit, ta patrie. Lorsqu’un enfant ne sait pas parler sa langue, il est perdu, il ne sait pas d’où il vient, il n’a pas un rapport clair avec sa tribu, son pays. C’est pour cela que beaucoup de jeunes aujourd’hui ont envie de partir parce que, ne sachant pas parler leurs langues, ils ne sentent pas d’attachement à cet endroit qu’est le Cameroun.

Comment faites-vous pour garder votre identité alors que vous êtes confronté tous les jours à beaucoup d’autres cultures ?

Je me nourris des cultures que je rencontre mais je ne me fonds pas dans ces cultures-là. Je donne et je reçois. Je ne me perds pas parce qu’avant de partir de chez moi, j’avais les pieds bien ancrés dans ma culture. Aussi, je n’oublie pas d’où je viens. Il faut savoir d’où on vient et où on va.

Vous travaillez beaucoup plus à l’étranger mais vous avez une vie de famille au Cameroun, comment vous faites pour concilier les deux ?
J’ai beaucoup de chance, ma mère est toujours là pour moi. Mon homme travaille beaucoup, jusqu’à tard le soir. Alors, quand je pars, je laisse mes deux filles dont l’aînée a 9 ans à ma mère à Mvog-Ada, pour qu’elles aient un équilibre scolaire. Mais quand je suis là, on les prend. C’est un choix de vie.

Combien de mois vivez-vous au Cameroun par an?
L’année dernière, je suis restée au Cameroun 8 semaines.

Vous avez trouvé une solution pour vos enfants en les confiant à votre mère. Mais à qui confiez-vous votre homme ?
Il m’accompagne de temps en temps en tournée, quand il le peut. C’est ce qui met du piment dans notre couple. Chaque jour, c’est comme si on venait de se rencontrer. Quand on se voit, on profite vraiment des moments passés ensemble.

Votre parcours ressemble, en bien des points, à un conte de fée. Racontez-la nous?
Quand tu pries, tu demandes à Dieu de te faire toucher ta destinée, mais il ne faut pas la laisser passer. Je suis la 5ème d’une famille de six enfants. J’ai fait trois ans d’études en biochimie à l’Université de Yaoundé I, j’ai un BTS en audiovisuel et photographie. Entre 2001 et 2002, j’ai été sollicité par le groupe Korongo Jam comme choriste. Comme je voulais parfaire mon niveau en tant que chanteuse lead, j’ai donc commencé à travailler dans les cabarets tous les soirs. Entre-temps, j’ai fait la connaissance d’une metteuse en scène, Yaya Mbilé, qui m’a amené au théâtre entre 2005 et 2008.

En 2008, j’ai commencé à traverser un moment d’incertitude et de questionnements. Je voulais être chanteuse mais la musique ne marchait pas. Je travaillais dans les cabarets où je gagnais 2 000F le soir, je m’interrogeais sur mon avenir. Alors, j’ai tout arrêté. Je venais de faire ma deuxième fille, je n’avais pas de quoi lui payer du lait. Ma mère était à la fois ma mère et celle de mes enfants, elle m’avait déjà élevée et je venais encore lui coller deux gosses sur le dos. Durant cette période, je me suis rapprochée de Dieu, ma vie était devenue les églises et les prières.
Sur les conseils de la chorégraphe Gladys Tchuimo, j’ai postulé au concours Visas pour la création organisé par l’Institut français parmi 850 candidats, sans trop y croire. Un matin début 2009, j’ai reçu un appel m’annonçant que j’ai été retenue. J’ai pleuré d’émotion... (Elle s’arrête quelques instants et pleure d’émotion)

A ce moment-là, qu’est-ce que ce concours représentait pour vous ?
C’était la Coupe du monde. Cette émotion très forte, je ne l’ai ressentie que quand j’ai eu ma première fille. Je traversais des moments vraiment difficiles. Dans ce pays, être musicien et travailler dans les choix artistiques que nous faisons c’est très difficile, surtout si tu ne chantes pas les dessous de ceinture pour plaire au commun des mortels. Nous sommes des artistes, pas des stars. Les Camerounais ordinaires n’aiment pas les choses qui font réfléchir. La preuve, on me dit que je fais la musique de Blancs et moi, ça me fait mal.

Artiste et pas star. C’est quoi la nuance ?

La star c’est le paraître, le bling bling, je n’ai pas le temps pour cela, mon métier me prend déjà beaucoup de temps. Moi, je suis une artiste. Je voudrais que quand je meurs, les générations futures gardent de moi mes œuvres et non le nombre de vêtements que j’ai porté ou le look que j’avais. Je veux être une personne ordinaire, aller acheter des beignets au marché Mvog-Ada si j’en ai envie.

Cette année 2009 a été pour vous la consécration…

Il y a des années qui sont des contes de fées. En 2009,  j’ai été médaillée d’argent aux Jeux de la Francophonie, j’ai eu le concours Visa pour la création et j’ai été finaliste du concours Découvertes Rfi. Cela m’a permis de rencontrer mon producteur belge, Contre-Jour. Dieu m’a appelé et il m’a élevé. Si on n’a pas Dieu, on n’a rien ; on croit qu’on vit mais on est mort. Pour moi, Dieu c’est le début et la fin de toute chose.
Quels sont vos secrets de beauté ?

Je prends soin de moi avec nos produits naturels, j’utilise beaucoup les huiles naturelles qui hydratent fortement la peau comme l’huile de palmiste raffiné, le « magnanga » fait par nos grands-mères et le beurre de karité que j’aime beaucoup pour ma peau et mes cheveux. J’ai fait deux enfants mais j’ai un ventre plat, sans vergeture et sans rides. Je fais aussi beaucoup de sports, je pratique la gym à peu près cinq fois par semaine. Mais il faut aussi être bien dans sa tête, ne pas garder de rancœur. Parfois, le fait de ruminer des trucs contre les gens donne des rides, l’Avc… Je prends la vie telle qu’elle vient, le plus naturellement possible. Tout cela concourt à vous faire garder une certaine beauté, une certaine jeunesse.
Propos recueillis par Stéphanie Dongmo

Interview parue dans Kwin Magasine, Juin 2014


Discographie:

2009 : Mulato
2010 : Kwegne (Contre-Jour)
2014 : Mokte (Contre-Jour)

Mokte en 12 titres

Te wa vouan ne ma : c’est l’histoire d’une amie qui avait un salon de coiffure. La vie étant difficile, elle et son gars ont tout vendu pour qu’il aille en Occident se chercher. Elle lui écrit donc cette lettre pour lui dire : « je sais que tu peux rencontrer une autre et que tout peut arriver, mais ne m’oublie pas ».
Ndolo comment ça va ? Cest une femme obligée de laisser enfants et mari à la maison pour aller travailler. Elle rappelle à son mari que bien qu’elle soit loin de lui, elle le porte dans son cœur.

Azani est chanson où je dis à ma sœur aînée que c’est dommage qu’elle ne soit plus là pour voir ma fille, qui est son homonyme. Ma sœur était médecin, elle s’est laissé mourir du Sida en 2005 parce qu’elle n’a pas voulu assumer.

Manke c’est quelqu’un qui reconnaît avoir offensé l’autre et lui demande pardon.

Just believe c’est un peu tout l’album. Dans cette chanson, je dis qu’il faut croire en ses rêves, en soi-même et en ce qu’on fait.

Kak Pou Tseu veut dire lève le doigt. Souvent on jette la pierre à l’autre mais qui peut dire qu’il n’a jamais fait du mal ?

Kowadi est une chanson écrite par Iznebo que j’aime beaucoup.

Messa c’est la suite de la chanson sur le mariage forcé. La jeune fille qu’on obligeait à se marier va vers ses parents pour leur présenter le mari qu’elle a trouvé elle-même.

Tiwassa c’est l’histoire d’un jeune très brillant à l’école qui n’a cependant pas réussi dans la vie.

Youmbata est un cri d’espoir qui dit que si tu veux voir la lumière, regarde dans ton cœur. On a toujours l’impression que le bonheur est ailleurs. Or, le bonheur comme le malheur est en nous.

Ke wouac A est une chanson où je demande au Seigneur de ne jamais m’abandonner.

Aya s’adresse aux jeunes qui ne rêvent que d’Occident. On peut se créer son propre paradis là où on est. Nous avons le devoir de nous sacrifier pour nos enfants, pour qu’ils ne vivent pas demain ce que nous vivons aujourd’hui.

3 commentaires:

  1. Ce commentaire a été supprimé par un administrateur du blog.

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  2. Merci de ne pas laisser de la publicité à la place des commentaires sur l'article.

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  3. Supportez l'artiste. Elle est géniale, je viens de télécharger son plus recent album `Mokte` sur iTunes.Elle a un voix d'ange et son message est d'actualité surtout dans ce monde ou tribalisme, xénophobie , extremisme et radicalisme de tous bords abondent. Continue ton travail Kareyce, c'est un nouvel élan pour la musique camerounaise et une bonne addition a la musique africaine et internationale.

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