Vous
revenez au-devant de la scène avec un album intitulé Mokte, qui signifie croire
en ghomala. En quoi doit-on croire ?
L’idée
de l’album est née après que j’aie reçu un gros choc à Mvog-Ada [quartier de
Yaoundé, Ndlr]. Mes parents, qui sont venus de Bandjoun en 1959 et ont vécu
depuis en harmonie avec tout le monde dans ce quartier, se sont entendu dire un
jour par un autochtone : « rentrez
chez vous, vous n’êtes pas d’ici ». Ça m’a bousculée, j’en ai pleuré.
Je croyais qu’on avait dépassé cela, c’est un discours qu’on ne devrait plus
tenir pour l’intérêt de notre nation. Le Cameroun a peut-être la paix mais qui
nous dit qu’il n’y a pas une braise en dessous et qu’il ne suffit pas
seulement d’une étincelle pour que le feu prenne ? Ca trotté dans ma tête.
Au
point de vous faire abandonner votre projet premier…
J’ai
mis en instance mon projet d’album intitulé The
traveller. Je peux voyager dans mon propre pays et mieux raconter son
histoire à travers le monde. Le Cameroun c’est 300 ethnies, 300 cultures, 300
richesses qu’on ne pourra même pas déjà explorer en une vie. Je voulais aussi
essayer de créer un lien culturel. J’ai grandi dans un carrefour culturel où il y avait Bétis, Bassas, Doualas, Bamilékés…
Il y avait même des Biafrais, Centrafricains, Tchadiens, Béninois, Maliens… J’ai
voulu considérer mon CD comme ce lieu que j’ai envie de revoir, ce rêve de mon
enfance que j’ai envie de recréer.
Qu’espérez-vous
en dénonçant le tribalisme dans cet album ?
Le
tribalisme c’est con, c’est une bêtise. Le danger serait justement de ne pas en
parler. Il faut conscientiser les gens, leur dire il ne faut pas en arriver là.
Mon album est une façon de percer l’abcès et ce n’est pas un hasard s’il sort
officiellement au Cameroun le 20 mai, jour de la Fête de l’unité. J’ai utilisé
huit langues [Ngomala’a, bassa, ewondo, duala, foufouldé, anglais, français…
Ndlr] car étant Camerounaise, je peux être haoussa, douala, bassa, bami... Je
veux arrêter d’être une tribu pour mieux vendre mon pays à l’extérieur, moi qui
ai une vitrine internationale.
Vous
revendiquez d’ailleurs une double appartenance…
Mes
parents sont bamilékés mais moi, je suis béti. J’ai le droit de le dire. Je
vois des enfants de Camerounais nés en France qui revendiquent d’être Français.
La première langue que j’ai parlé c’est l’éwondo, avant même le ghomala.
Vous
êtes musicienne instrumentiste et jouez plusieurs instruments, combien de temps
cela vous a pris pour les apprendre?
Je
joue à la guitare depuis 2009. Je suis une acharnée, une passionnée, je vais au
fonds des choses. J’ai eu des moments de découragement mais la guitare, il faut
vraiment s’y accrocher. C’est la chose qui m’a le plus accompagnée ces quatre dernières
années, c’est devenu mon amie fidèle. J’ai un bon rapport avec les percussions,
je crois que c’est un don. Et j’ai le rythme, comme la danse, dans le sang. Je
fais plein de choses que je n’ai jamais apprise à faire. Peut-être c’est parce
que j’ai grandi dans une famille où on manquait de tout. Ma mère est bayam
sellam. Avec à peine un dollar [475 Fcfa, Ndlr] par jour, elle devait nourrir
19 bouches. Quand tu prends conscience de ça, tu te prends en charge très tôt.
Qu’est-ce
qui fait votre succès?
Selon
les journaux occidentaux -car c’est là-bas que je gagne ma vie- ce qui a fait
la différence avec mon travail, c’est mon originalité. Il faut être soi, ne pas
caricaturer, être vraie. J’ai compris cela en m’appuyant sur des aînés qui ont
fait de longues carrières comme Youssou N’Dour, Angélique Kidjo, Salif Keita,
c’est leur langue qui les a sauvés. Si tu choisis le français ou l’anglais, tu
ne pas mieux chanter que Céline Dion ou Lara Fabian. Mais quand tu vends ta
vérité, tu es éternel parce que personne ne sera jamais toi. Il y a 50% de
talent, 25% de chance et 25% de persévérance, de discipline. Il faut être
aguerri. Si je n’étais pas prête, je ne serais plus dans le circuit
aujourd’hui. J’ai parfois 21 concerts en un mois dans des pays différents. Et
tu ne peux pas tricher parce que c’est du live, tu donnes de la voix. Si tu
n’as pas du métier, si tu n’as pas chanté au cabaret tous les soirs, tu ne peux
pas le faire. 80% de mes chansons sont en nos langues et ce n’est que le début.
Que
représentent ces langues pour vous?
Pour
moi, la langue c’est comme un attachement à ma mère, c’est ce qui nous
construit. Lorsque tu sais parler ta langue, tu es attaché à quelque chose de
fort, tu es en accord avec ton âme, ton esprit, ta patrie. Lorsqu’un enfant ne
sait pas parler sa langue, il est perdu, il ne sait pas d’où il vient, il n’a
pas un rapport clair avec sa tribu, son pays. C’est pour cela que beaucoup de
jeunes aujourd’hui ont envie de partir parce que, ne sachant pas parler leurs
langues, ils ne sentent pas d’attachement à cet endroit qu’est le Cameroun.
Comment
faites-vous pour garder votre identité alors que vous êtes confronté tous les
jours à beaucoup d’autres cultures ?
Je
me nourris des cultures que je rencontre mais je ne me fonds pas dans ces
cultures-là. Je donne et je reçois. Je ne me perds pas parce qu’avant de partir
de chez moi, j’avais les pieds bien ancrés dans ma culture. Aussi, je n’oublie
pas d’où je viens. Il faut savoir d’où on vient et où on va.
Vous
travaillez beaucoup plus à l’étranger mais vous avez une vie de famille au
Cameroun, comment vous faites pour concilier les deux ?
J’ai
beaucoup de chance, ma mère est toujours là pour moi. Mon homme travaille
beaucoup, jusqu’à tard le soir. Alors, quand je pars, je laisse mes deux filles
dont l’aînée a 9 ans à ma mère à Mvog-Ada, pour qu’elles aient un équilibre
scolaire. Mais quand je suis là, on les prend. C’est un choix de vie.
Combien
de mois vivez-vous au Cameroun par an?
L’année
dernière, je suis restée au Cameroun 8 semaines.
Vous
avez trouvé une solution pour vos enfants en les confiant à votre mère. Mais à qui
confiez-vous votre homme ?
Il
m’accompagne de temps en temps en tournée, quand il le peut. C’est ce qui met
du piment dans notre couple. Chaque jour, c’est comme si on venait de se
rencontrer. Quand on se voit, on profite vraiment des moments passés ensemble. Votre parcours ressemble, en bien des points, à un conte de fée. Racontez-la nous?
Quand tu pries, tu demandes à Dieu de te faire toucher ta destinée, mais il ne faut pas la laisser passer. Je suis la 5ème d’une famille de six enfants. J’ai fait trois ans d’études en biochimie à l’Université de Yaoundé I, j’ai un BTS en audiovisuel et photographie. Entre 2001 et 2002, j’ai été sollicité par le groupe Korongo Jam comme choriste. Comme je voulais parfaire mon niveau en tant que chanteuse lead, j’ai donc commencé à travailler dans les cabarets tous les soirs. Entre-temps, j’ai fait la connaissance d’une metteuse en scène, Yaya Mbilé, qui m’a amené au théâtre entre 2005 et 2008.
En
2008, j’ai commencé à traverser un moment d’incertitude et de questionnements.
Je voulais être chanteuse mais la musique ne marchait pas. Je travaillais dans
les cabarets où je gagnais 2 000F le soir, je m’interrogeais sur mon
avenir. Alors, j’ai tout arrêté. Je venais de faire ma deuxième fille, je n’avais
pas de quoi lui payer du lait. Ma mère était à la fois ma mère et celle de mes
enfants, elle m’avait déjà élevée et je venais encore lui coller deux gosses
sur le dos. Durant cette période, je me suis rapprochée de Dieu, ma vie était
devenue les églises et les prières.
Sur
les conseils de la chorégraphe Gladys Tchuimo, j’ai postulé au concours Visas pour la création organisé par
l’Institut français parmi 850 candidats, sans trop y croire. Un matin début
2009, j’ai reçu un appel m’annonçant que j’ai été retenue. J’ai pleuré
d’émotion... (Elle s’arrête quelques instants et pleure d’émotion)
A
ce moment-là, qu’est-ce que ce concours représentait pour vous ?
C’était
la Coupe du monde. Cette émotion très forte, je ne l’ai ressentie que quand
j’ai eu ma première fille. Je traversais des moments vraiment difficiles. Dans
ce pays, être musicien et travailler dans les choix artistiques que nous
faisons c’est très difficile, surtout si tu ne chantes pas les dessous de
ceinture pour plaire au commun des mortels. Nous sommes des artistes, pas des
stars. Les Camerounais ordinaires n’aiment pas les choses qui font réfléchir.
La preuve, on me dit que je fais la musique de Blancs et moi, ça me fait mal.
La
star c’est le paraître, le bling bling, je n’ai pas le temps pour cela, mon
métier me prend déjà beaucoup de temps. Moi, je suis une artiste. Je voudrais
que quand je meurs, les générations futures gardent de moi mes œuvres et non le
nombre de vêtements que j’ai porté ou le look que j’avais. Je veux être une
personne ordinaire, aller acheter des beignets au marché Mvog-Ada si j’en ai
envie.
Cette
année 2009 a été pour vous la consécration…
Il
y a des années qui sont des contes de fées. En 2009, j’ai été médaillée d’argent aux Jeux de la
Francophonie, j’ai eu le concours Visa pour la création et j’ai été
finaliste du concours Découvertes Rfi. Cela m’a permis de rencontrer mon
producteur belge, Contre-Jour. Dieu m’a appelé et il m’a élevé. Si on n’a pas
Dieu, on n’a rien ; on croit qu’on vit mais on est mort. Pour moi, Dieu
c’est le début et la fin de toute chose.
Quels
sont vos secrets de beauté ?
Je
prends soin de moi avec nos produits naturels, j’utilise beaucoup les huiles
naturelles qui hydratent fortement la peau comme l’huile de palmiste raffiné,
le « magnanga » fait par
nos grands-mères et le beurre de karité que j’aime beaucoup pour ma peau et mes
cheveux. J’ai fait deux enfants mais j’ai un ventre plat, sans vergeture et
sans rides. Je fais aussi beaucoup de sports, je pratique la gym à peu près
cinq fois par semaine. Mais il faut aussi être bien dans sa tête, ne pas garder
de rancœur. Parfois, le fait de ruminer des trucs contre les gens donne des
rides, l’Avc… Je prends la vie telle qu’elle vient, le plus naturellement
possible. Tout cela concourt à vous faire garder une certaine beauté, une
certaine jeunesse.
Propos recueillis par Stéphanie Dongmo
Interview parue dans Kwin Magasine, Juin 2014
Discographie:
2009 :
Mulato
2010 :
Kwegne (Contre-Jour)
2014 :
Mokte (Contre-Jour)
Mokte
en
12 titres
Te
wa vouan ne ma :
c’est l’histoire d’une amie qui avait un salon de coiffure. La vie étant
difficile, elle et son gars ont tout vendu pour qu’il aille en Occident se
chercher. Elle lui écrit donc cette lettre pour lui dire : « je sais que tu peux rencontrer une autre et que tout peut arriver,
mais ne m’oublie pas ».
Ndolo
comment ça va ? C’est une femme obligée de laisser
enfants et mari à la maison pour aller travailler. Elle rappelle à son mari que
bien qu’elle soit loin de lui, elle le porte dans son cœur. Azani est chanson où je dis à ma sœur aînée que c’est dommage qu’elle ne soit plus là pour voir ma fille, qui est son homonyme. Ma sœur était médecin, elle s’est laissé mourir du Sida en 2005 parce qu’elle n’a pas voulu assumer.
Manke c’est quelqu’un qui reconnaît avoir offensé l’autre et lui demande pardon.
Just believe c’est un peu tout l’album. Dans cette chanson, je dis qu’il faut croire en ses rêves, en soi-même et en ce qu’on fait.
Kak Pou Tseu veut dire lève le doigt. Souvent on jette la pierre à l’autre mais qui peut dire qu’il n’a jamais fait du mal ?
Kowadi est une chanson écrite par Iznebo que j’aime beaucoup.
Messa c’est la suite de la chanson sur le mariage forcé. La jeune fille qu’on obligeait à se marier va vers ses parents pour leur présenter le mari qu’elle a trouvé elle-même.
Tiwassa c’est l’histoire d’un jeune très brillant à l’école qui n’a cependant pas réussi dans la vie.
Youmbata est un cri d’espoir qui dit que si tu veux voir la lumière, regarde dans ton cœur. On a toujours l’impression que le bonheur est ailleurs. Or, le bonheur comme le malheur est en nous.
Ke wouac A est une chanson où je demande au Seigneur de ne jamais m’abandonner.
Aya s’adresse aux jeunes qui ne rêvent que d’Occident. On peut se créer son propre paradis là où on est. Nous avons le devoir de nous sacrifier pour nos enfants, pour qu’ils ne vivent pas demain ce que nous vivons aujourd’hui.
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RépondreSupprimerMerci de ne pas laisser de la publicité à la place des commentaires sur l'article.
RépondreSupprimerSupportez l'artiste. Elle est géniale, je viens de télécharger son plus recent album `Mokte` sur iTunes.Elle a un voix d'ange et son message est d'actualité surtout dans ce monde ou tribalisme, xénophobie , extremisme et radicalisme de tous bords abondent. Continue ton travail Kareyce, c'est un nouvel élan pour la musique camerounaise et une bonne addition a la musique africaine et internationale.
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