jeudi 17 juillet 2014

Littérature : Portrait d’une génération en quête de sens

Dans son dernier roman, « Migrants diaries » dédicacé à Yaoundé ce 11 juillet, Eric Essono Tsimi chronique une jeunesse en mal de repères, en Afrique comme en Occident. Une écriture incisive et des réflexions désabusées sur la société contemporaine, la solitude du migrant et l’amour comme bouée de sauvetage.   


Ils sont quatre garçons, les personnages principaux de ce roman. Il y a Jalil. De l’avenue Kennedy à Paris, il emprunte un chemin inconnu de Google Maps en déjouant Boko Haram et Aqmi. S’il ne sait pas très bien où il va, il sait en revanche où il ne veut plus être : dans un pays qui « tue les jeunes », comme le dit la chanson.

Il y a Arthur, pris au piège de l’amour-haine entre ses parents. Il s’enfuit pour le Canada en croyant laisser derrière lui ses problèmes. Il apprendra à ses dépens que « le morceau de bois a beau vivre dans l’eau, il ne devient pas pour autant caïman ». Ses crises existentielles n’en seront qu’exacerbées, malgré l’amitié de deux camarades de classe qu’il rencontre au Canada. Il y a Brunel, grand bulldozer satisfait de sa relation amoureuse avec une Canadienne. C’est,  au final, le personnage le plus équilibré de ce roman. Il y a enfin Vidal, coureur de jupons devant l’Eternel qui vit péniblement son amour vache avec une Camerounaise, Ze Bella.
Si les trois derniers personnages sont liés par une amitié longue et la proximité géographique, en revanche, leur relation avec Jalil est floue et ne sera dévoilée qu’à la toute-fin du livre, avec une justification ne tenant qu’à un fil. Comme si l’auteur avait écrit deux textes avant de réfléchir à une solution pour les relier ensemble.

Dans ce roman, il y a aussi les femmes. Mais elles ne sont racontées qu’à travers des destins masculins. Elles font l’objet d’une description sévère, présentées en infidèle, en Marie-couche-toi-là ou en suiveuse. D’ailleurs, à partir de la description de Ze Bella, croqueuse d’hommes au pays qui, une fois confrontée au froid et à la solitude au Canada, en est réduite à s’accrocher au premier homme qui lui sourit, l’auteur, qui a lui-même fait des études au Canada, écrit que « toutes les filles sont des amoureuses en puissance, qui ne demandent qu’à être convaincues ».
« Migrants diaries » est un livre désabusé. Il dresse le portrait du jeune camerounais complètement acculturé et en mal de repères. Les combats de ses pères l’intéressent peu, la famille l’indiffère, l’Occident l’attire. Or, dans ces pays où tout a été fait et où il faut constamment lutter contre « la distance,  la solitude, le froid, l’exclusion, les préjugés », il ne trouve pas non plus sa place. Brunel s’accommode d’une vie sans enjeu et trouve en l’amour un puissant exutoire. Arthur se laisse mourir d’ennui.

Ce sentiment de lassitude est présent chez tous les migrants de ce roman, eux qui se retrouvent écartelés entre deux mondes, à la croisée des chemins sans bien savoir quelle route emprunter. Tous, ils luttent pour retrouver une identité qu’ils ne savent pas reconstruire. Ils sont incapables de s’épanouir sur un sol nouveau, alors même que le chemin du retour leur est rarement envisageable.
Auteur du roman « Le métier d’aimer » et de l’essai « Le principe de double nationalité au Cameroun », Eric Essono Tsimi, dit Meyon Meyeme, présente, au final, la vie comme une vaste comédie. Le regard est désabusé, presque cynique. La narration est linéaire et rapide, comme pressée de dire le trop plein d’émotions, la course à la perdition. Et chacun devra trouver en lui-même et non dans un espace géographique donné, la force de ne pas sombrer.

Stéphanie Dongmo

 Eric Essono Tsimi
Migrants diaries, Chronique d’une génération extrême

Acoria éditions, 2014
158 pages

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