Il
y a Arthur, pris au piège de l’amour-haine entre ses parents. Il s’enfuit pour
le Canada en croyant laisser derrière lui ses problèmes. Il apprendra à ses
dépens que « le morceau de bois a
beau vivre dans l’eau, il ne devient pas pour autant caïman ». Ses
crises existentielles n’en seront qu’exacerbées, malgré l’amitié de deux
camarades de classe qu’il rencontre au Canada. Il y a Brunel, grand bulldozer
satisfait de sa relation amoureuse avec une Canadienne. C’est, au final, le personnage le plus équilibré de
ce roman. Il y a enfin Vidal, coureur de jupons devant l’Eternel qui vit
péniblement son amour vache avec une Camerounaise, Ze Bella.
Si
les trois derniers personnages sont liés par une amitié longue et la proximité
géographique, en revanche, leur relation avec Jalil est floue et ne sera
dévoilée qu’à la toute-fin du livre, avec une justification ne tenant qu’à un
fil. Comme si l’auteur avait écrit deux textes avant de réfléchir à une
solution pour les relier ensemble. Dans ce roman, il y a aussi les femmes. Mais elles ne sont racontées qu’à travers des destins masculins. Elles font l’objet d’une description sévère, présentées en infidèle, en Marie-couche-toi-là ou en suiveuse. D’ailleurs, à partir de la description de Ze Bella, croqueuse d’hommes au pays qui, une fois confrontée au froid et à la solitude au Canada, en est réduite à s’accrocher au premier homme qui lui sourit, l’auteur, qui a lui-même fait des études au Canada, écrit que « toutes les filles sont des amoureuses en puissance, qui ne demandent qu’à être convaincues ».
« Migrants diaries » est un livre désabusé. Il dresse le portrait du jeune camerounais complètement acculturé et en mal de repères. Les combats de ses pères l’intéressent peu, la famille l’indiffère, l’Occident l’attire. Or, dans ces pays où tout a été fait et où il faut constamment lutter contre « la distance, la solitude, le froid, l’exclusion, les préjugés », il ne trouve pas non plus sa place. Brunel s’accommode d’une vie sans enjeu et trouve en l’amour un puissant exutoire. Arthur se laisse mourir d’ennui.
Ce
sentiment de lassitude est présent chez tous les migrants de ce roman, eux qui
se retrouvent écartelés entre deux mondes, à la croisée des chemins sans bien
savoir quelle route emprunter. Tous, ils luttent pour retrouver une identité qu’ils
ne savent pas reconstruire. Ils sont incapables de s’épanouir sur un sol
nouveau, alors même que le chemin du retour leur est rarement envisageable.
Auteur
du roman « Le métier d’aimer » et
de l’essai « Le principe de double
nationalité au Cameroun », Eric Essono Tsimi, dit Meyon Meyeme, présente,
au final, la vie comme une vaste comédie. Le regard est désabusé, presque
cynique. La narration est linéaire et rapide, comme pressée de dire le trop
plein d’émotions, la course à la perdition. Et chacun devra trouver en lui-même
et non dans un espace géographique donné, la force de ne pas sombrer.
Stéphanie Dongmo
Acoria
éditions, 2014
158
pages
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