mardi 15 novembre 2011

Dérangeant J. Rémy Ngono

Considéré comme faisant partie du mauvais grain de la presse camerounaise lorsqu’il était le chef de chaîne de Radio Tiemeni Siantou à 
Yaoundé, le polémiste de 43 ans a pris sa revanche à Paris, où il est chroniqueur pour les radios françaises Rtl et Rfi. Il envisage de rentrer au Cameroun pour mener la révolution. 

26 octobre 2011 à Roissy-en-brie en France. J. Rémy Ngono pose dans son salon.


« Il vaut mieux être défricheur que profiteur ». Confortablement installé dans son salon cossu, deux téléphones portables en main, J. (lisez J point) Rémy Ngono assène cette maxime, devenue pour lui une devise. Entre le champagne, le whisky et le vin rouge, il s’est résolu à se servir un verre de jus de fruit. Et l'odeur orangée qui enveloppe l'espace n'arrive pas à dissiper le parfum musclé qu'il s'est aspergé. Rémy Ngono est ce qu’on appelle, dans le jargon journalistique, un « bon client ». Il parle sans chercher ses mots ; anticipe les questions pour donner des réponses. Difficile pourtant de lui faire parler du passé ou du futur, il préfère le présent. Entre deux explications, il se lève, gronde l'un de ses trois enfants qui jouent dans la pièce voisine. En passant, il caresse la tête de son Labrador. 
 
Au salon, le téléviseur écran plasma est branché sur Equipe Tv, qui diffuse en continu des informations sportives. Depuis 2006, Rémy Ngono est chroniqueur sportif à l’émission « On refait le match », aux côtés d'Eugène Saccomano et Christophe Pecaud, sur la radio française Rtl. « Avec contrat à durée indéterminée », précise-t-il avec fierté. En France, le J. de son nom, qu’il refuse d'expliquer, a disparu, pour laisser la place à Rémy Ngono. En parallèle, Rémy Ngono donc, fait régulièrement, depuis 2010, des chroniques sur Rfi avec Xavier Barré. Il y travaille comme pigiste depuis que le programme « Médias d’Afrique », par lequel il a fait son entrée à Radio France international en 2007, a été arrêté. 
 
Mauvais garçon 
 
« Je gagne très bien ma vie », dit Rémy Ngono, en montrant de la main sa maison, un pavillon à un étage à Roissy-en-brie (département Seine-et-marne, région Ile-de-France) et son véhicule garé dans son jardin. A la tombée de la nuit, sa montre sertie d’or jure avec son modeste dizainier. Réfugié politique en France depuis 2004, J. Rémy Ngono a pu se faire une place au soleil dans la presse française. Un exploit que seule une dizaine de journalistes, sur les 270 réfugiés politiques passés par la Maison des journalistes, a réussi en France, d’après Darline Cothière, la directrice de cette association qui accueille les journalistes réfugiés en France. Sa recette ? Une pincée de bravoure, un brin d’insolence, beaucoup d’ambition et de la culture générale à volonté. 
 
Il y a quelques années, alors qu’il était le tout-puissant chef de chaîne de Radio Tiemeni Siantou (Rts) à Yaoundé, Rémy Ngono était présenté par nombre d’enseignants en journalisme comme le contre-exemple à ne surtout pas suivre. Plusieurs journalistes ont secrètement applaudi lorsqu’en 2003, il a été jeté en prison pour diffamation. Ils lui reprochaient de confondre trop souvent la dénonciation et l’insulte dans son émission «  Kondrè chaud ». Sa chronique, « Coup franc », était l'occasion de dénoncer les tares sociales et de distribuer les bons et les mauvais points aux dirigeants. « Face, tu es mort ; pile, je te tue. Dieu pardonne, moi pas », c'est ainsi qu'il introduisait ses émissions. Car, pour lui, « les coups de lance blessent, mais les coups de langue tuent ». Le programme quotidien diffusé en prime time, de 10h à 12h, était l’un des plus écoutés de la ville. Plus que ses coups de gueule, les proverbes et les citations dont il garnissait ses chroniques plaisaient, de même que son humour décalé. 
 
La descente aux enfers 
 
Au premier trimestre de l'année 2003, J. est démis de ses fonctions de chef de chaîne de Rts. « Après avoir reçu des menaces, Siantou [Lucien Wantou Siantou, fondateur de Rts, ndlr] a été obligé de me laisser tomber ; il a brûlé la barbe pour sauver la tête », reconnaît Rémy Ngono. Le 5 août, J. est arrêté et jeté à la prison centrale de Yaoundé, à Kondengui. Il avait été condamné quelques mois plus tôt par défaut à six mois d'emprisonnement ferme pour diffamation. Deux mois après, Rémy Ngono profite de sa liberté provisoire pour se glisser hors du Cameroun. Avec l’aide de l’ambassadeur d’Italie de l’époque, il se retrouve à Rome. Mais face à la barrière de la langue, J. décide de migrer en France, où il arrive en plein hiver et sans manteau. Pendant quelques semaines, il squatte chez une parente à Paris. Puis, passe six mois à La Maison des journalistes. Avec l’aide de cette association, ainsi que de Reporters sans frontière et Terre d’asile, il finira par obtenir un titre de séjour en décembre 2004, comme réfugié politique. 
 
La renaissance 
 
La chance lui sourit à nouveau le 3 mai 2006, à l’occasion de la Journée mondiale de la liberté de la presse. Rémy Ngono est contacté par le biais de la Maison des journalistes pour un débat sur I-télé. Puis, il est retenu pour être l'un des panélistes de « N’ayons pas peur des mots » sur la même chaîne de télévision. La Coupe du monde 2006 arrive, et « N’ayons pas peur des mots » devient « N’ayons pas peur du foot ». Rémy Ngono est, une fois de plus, sollicité pour des débats. « Je n’avais jamais parlé du foot, je n’y connaissais rien, avoue-t-il. Mais je me suis recyclé car, c’est le travail personnel qui compte », explique-t-il. Jusqu'en 2010, J. flirte avec Radio télévision Luxembourg (Rtl), Radio Monte-Carlo (Rmc), Radio France international (Rfi) et les télévisions La chaîne info (Lci), Canal + et Direct 8. Il finira par s’établir sur Rtl. 
 
« Aujourd’hui, ma culture sportive est très grande. J’ai beaucoup lu et j’ai côtoyé de grands chroniqueurs sportifs. Je me suis vite adapté en France parce que j’ai continué à apprendre. C’est une question de volonté et d’organisation. Rien n’est supérieur à la lecture. Notre malheur à nous, les Africains, est qu’on se contente de lire pour obtenir les diplômes», explique celui qui dit avoir le diplôme en horreur. Alors qu’au Cameroun, un adage bien connu dit que « l’homme n’est rien sans son bord », lui, il dit : « l’homme n’est rien sans sa volonté ». Un de ses passe-temps favoris est d'ailleurs de déformer des adages populaires pour les rendre conformes à sa pensée. Depuis 2010, il est l'auteur du livre «  Comme le dit un proverbe africain  », paru aux éditions Prolongations en France. 
 
Seul diplôme : la carte de baptême

Rémy Ngono aime dire qu'il n'a pour seul diplôme que sa carte de baptême. Mais à force de questions, au détour des mots, il laisse entendre qu’il a été l’école au moins jusqu’en classe de terminale C. « C'est du fumier que naissent les plus belles plantes », lance-t-il, pour souligner le chemin parcouru. « C’est une insulte à mes détracteurs », ajoute-t-il en brandissant sa carte de presse française, avec un air de revanche. « Ici, c’est la culture du résultat. Je viens de nulle part, je n’ai pas de parrain en France. Seul mon talent a prévalu. Si j'avais échoué ici, cela allait être l’échec de la révolution journalistique au Cameroun ». 
 
Car, le chroniqueur estime avoir révolutionné le métier, à tout le moins, dans les radios. « Avant moi, il n’y avait jamais eu une émission aussi critique dans une radio ; après moi, il y a eu une éclosion », analyse-t-il. J. estime aussi avoir inventé une nouvelle forme de journalisme. Loin des comptes rendus, reportages, portraits et autres enquêtes, il consiste en des chroniques agrémentées de proverbes et de citations. Peu respectueux des règles, le polémiste crée des mots à l’envi. Comme des trésors, il collectionne des proverbes au fur et à mesure de ses lectures, aidé en cela par une bonne mémoire. « La plupart des choses que je dis sont improvisées. Et pour que l’inspiration ne tarisse jamais, je jardine ma culture générale », explique-t-il. Sa devise du journalisme  ? «  Souvent combattu, quelquefois battu, mais jamais abattu  ». Comme le roseau, il plie mais ne rompt pas. 
 
Touche-à-tout 
 
Avant d’arriver au journalisme, J. Rémy Ngono a touché à tout : barman à Mvog-Ada, directeur du cabaret Le Caroussel à Kondengui, directeur artistique des éditions Odessa et directeur d'Escalier bar à Mvog-Ada. Il a aussi fait des caricatures pour Cameroun Tribune, dans les années 94. Grâce à Adolphe Papy Ndoumbè qui le trouvait éloquent, Rémy Ngono entre à la Crtv, via l’émission « Sacré mercredi » au Poste national, comme collaborateur extérieur. En 1995, il devient le chargé de la communication de l’Institut Siantou secondaire, puis, du Complexe scolaire et universitaire Siantou. C’est ainsi qu'en 1999, il pilote de bout en bout le projet de création de la radio Siantou, la deuxième radio privée de Yaoundé, après Radio Samba. « Siantou est mon père et sa femme est ma mère. Même discrètement, ils interviennent toujours pour me soutenir», témoigne-t-il. 
 
La rage de vaincre, J. Rémy Ngono, né le 1er octobre 1968 à Yaoundé, la tient de sa mère. «C’est elle qui m’a donné une culture de l’engagement, elle était très dynamique. Mon père, lui, était plutôt éloquent », révèle-t-il. C’est avec nostalgie qu’il raconte que son père, un homme d’Akono, dans la région du Centre, a rencontré sa mère « au fin fond d’une brousse à l’Est » alors qu’il y allait pour acheter du cacao. Son œil reste sec lorsqu’il annonce que son père est mort le 5 juillet 2011 et que, réfugié en France, il n'a pas pu assister à ses obsèques. « On ne fait rien de grand sans de grands sacrifices », assène-t-il. 
 
Il a des petites phrases pour tout. On lui reproche d’être vantard ? Il répond : « J’ai vécu dans le marécage à Etam-Bafia, j’ai dormi sur un matelas derrière le comptoir d’un bar. Je refuse la modestie ». On lui reproche son goût pour le luxe ? Il rétorque : « Dieu lui-même n’est pas pauvre, pourquoi moi, je le serais ? Un peuple qui vit bas pense bas ». On l'interroge sur ses projets ? Il affirme : « Mon seul projet est d’avoir toujours des projets. Je ne parle que de mes réalisations parce que c’est concret ». Au premier abord, Rémy Ngono se montre distant, presque repoussant. Il explique  : « Je me suis fabriqué une carapace. Je suis renfermé et j'ai peu d'amis. Mais, à la maison, je suis un papa poule. Très rigoureux tout de même  ». 
 
Le retour au pays

Malgré les petits sillons que le temps a creusé sur son visage, et que ses cheveux défrisés et bouclés n’arrivent pas à cacher, Rémy Ngono a gardé son esprit critique. C’est avec beaucoup d'amertume qu’il évoque le Cameroun : «Nous avons les dirigeants les plus diplômés de la terre qui sont, paradoxalement, les plus nuls. Ce sont des analphabètes des temps modernes, une bande d’ignorantissimes (sic)». La fumée lui sort du nez lorsqu’il parle de Paul Biya, 78 ans, qui entame un sixième mandat de sept ans au pouvoir au Cameroun : « Biya a saccagé le pays. Quand, après 29 ans de pouvoir, il parle de grandes réalisations alors qu’il est au pré-cimetière de sa vie, c’est une moquerie ». Sur le sujet, Rémy Ngono est intarissable : « Biya n’a pas construit sur la continuité mais sur le '' après moi, le déluge''. Ce n’est pas lui qui fait problème, mais le système qu’il a mis en place. Descartes disait qu'il n’existe pas de tyran dangereux, mais un ensemble de tyranots (sic) qui prennent des décisions à sa place ». 
 
Parce qu’« on ne peut arracher un pays du cœur d’un homme », Rémy Ngono envisage de rentrer au Cameroun. S’il n’avance pas de délai, son plan d’action est cependant clair : mener la révolution pour sortir le pays de sa léthargie. Il n’a pas peur d’éventuelles représailles. « Quand je partais, j’étais un poussin ; maintenant, je suis un coq », pavane-t-il. Sa révolution à lui ne se fera pas par les armes. Il écarte aussi la voie de la révolution par la contestation, pour privilégier celle qui arrive naturellement, par la mort. Mais, prévient-il, « on ne peut pas se contenter de la vie d’un homme, c’est le système qui fait problème ». Loin d’être un cavalier solitaire, il espère rassembler autour de lui des personnes qui ont les mêmes idées, mais pas l’opposition politique qui, elle, est « surannée et vieillotte ». Et de conclure  : «  On ne peut pas faire la révolution avec de vieilles outres  ». 
 
S’il veut le changement, il dit cependant ne pas vouloir le pouvoir : « J’aime trop la vérité pour diriger un pays. Je resterai toujours dans le contre-pouvoir ». J. Rémy Ngono n’a pas non plus l’intention de se taire. Jamais. Et il est prêt à assumer les conséquences : « Je n’ai jamais peur de me lancer parce que je me suis toujours considéré comme un cadavre. Et puis, la seule place d’un homme vraiment libre se trouve en prison », dit-il en citant Jean-Paul Sartre.

Stéphanie Dongmo, à Paris

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