Délégué général du Festival international du film d’Afrique et des îles (FIFAI) à la Réunion et parrain du Comoros international film festival (CIFF) aux Comores, il est par ailleurs réalisateur. A l’occasion de la 8ème édition des Rencontres du film court (RFC) de Madagascar du 5 au 13 avril 2013 à Antananarivo, il a animé une conférence sur le thème « Les perspectives et les évolutions du cinéma des îles de l’Océan indien durant les années 2000 ». Mohamed Saïd-Ouma parle du rôle central des festivals dans la renaissance du cinéma à Madagascar, Maurice, La Réunion, Les Comores et évoque les problèmes de distribution en même temps que l’absence de politiques publiques.
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Mohamed Said-Ouma |
Comment peut-on définir les cinémas
des îles de l’Océan indien?
Quand je parle du cinéma de l’Océan indien, je réduis le champ aux îles du
Sud-Ouest de l’Océan indien, à savoir : Maurice, Madagascar, Comores et la
Réunion. Ils peuvent se diviser en deux blocs ; avec d’un côté la
naissance du cinéma et de l’autre, sa renaissance.
Sur ces dix dernières années, on observe une renaissance à Madagascar et un peu
à la Réunion, parce que ce sont des territoires où il y a déjà eu du cinéma. À
Madagascar, les premiers films ont été réalisés dans les années 30. À la
Réunion, le cinéma français a souvent filmé le territoire dans les années 50 et
60. Et depuis 15 ans, il y a eu un renouveau du cinéma parce que ce sont les
Réunionnais qui se filment eux-mêmes.
À Maurice et aux Comores, il y avait peu ou pas du tout de cinéma. Dans les
années 50, l’aristocratie mauricienne filmait ses vacances. Le colon a filmé
les Comores. Ce pays est devenu indépendant très tard, le 6 juillet 1975, et il
n’y avait pas eu de cinéma. Dans les années 2000, la jeune diaspora comorienne
a décidé de retourner aux Comores et de filmer son pays. Ce mouvement a été
amorcé avec le premier film de Mounir Allaoui [Moroni,
NDLR] en 2002, une ballade poétique sur Moroni.
Quels sont les sujets qui intéressent ces jeunes cinématographies ?
Les thématiques sont différentes. À Madagascar, les films que j’ai pu voir sur
ces dix dernières années, en documentaire ou en fiction, parlent beaucoup de
pauvreté, de problèmes sociaux, de politique. Il y a aussi un cinéma
d’animation assez important, qui fait la force du cinéma malgache.
À Maurice, il y a une volonté de mettre des images sur l’histoire et sur les
contradictions de la société mauricienne. C’est un pays très communautaire avec
des Mauriciens d’origine indo-pakistanaise, des Créoles qui sont des
descendants d’esclaves africains, des Mauriciens d’origine blanche qui
descendent des colons français et des Mauriciens d’origine chinoise. Toutes ces
communautés cohabitent de façon paisible mais se fréquentent très peu. Chacun
vit et se marie à l’intérieur de sa communauté. Depuis quelques années, le
cinéma à Maurice montre cette problématique-là, mais aussi le conflit entre la
tradition et la modernité.
C’est un cinéma qui fonctionne en termes d’écriture. Il y a déjà trois longs
métrages réalisés dont Les enfants
de Troumaron de Harrikrisna et Sharvan
Anenden, une adaptation du roman Eve et ses décombres de Ananda
Devi. Il y aura bientôt un long métrage de David Constantin, Lonbraz Kann (A
l’ombre des cannes), qui est en pré-production.
Comment ces cinémas ont évolué depuis les années 2000 ?
Sur deux territoires, ça marche sous l’impulsion de deux festivals : le
Festival Iles-courts à Maurice et les Rencontres du Film Court à Madagascar qui
a mis en place une compétition. Une compétition, dans des territoires où il n’y
a pas de cinéma, ça créé une émulation. Ça donne envie à ceux qui veulent faire
des films de dire : je vais faire mon film pour les RFC. Même si, au fond,
ce n’est pas très bien et qu’il faut faire un film parce qu’on en a le désir.
Mais cela a quand même donné une vraie impulsion.
Le Festival Iles-courts (Maurice) a décidé de ne pas faire de compétition mais
plutôt d’organiser des concours de scénarios. Si on est sélectionné, durant le
festival, on participe à l’atelier de scénario avec des professionnels. On
écrit son projet de film et le festival Iles-courts l’accompagne pour que ce
film soit réalisé l’année qui suit dans des conditions professionnelles. C’est
une façon de mettre un pied à l’étrier à ceux qui veulent faire des films. Ce
festival a aussi créé des collections de films Iles-courts.
Le cas de la Réunion est totalement différent. Suite à une enquête réalisée
dans les années 90 et intitulée « Réunion, terre d’images, plateau de tournage », la
Région Réunion a créé une Commission régionale du film au début des années
2000, avec pour but l’aide à la création. Elle se décline en une aide à la
production, à l’écriture, à la réalisation… L’Association pour le Développement
du Cinéma, de l’Audiovisuel et du Multimédia (ADCAM) a aussi été créée. Donc,
les gens qui ont envie de faire des films déposent leurs dossiers et
bénéficient des dispositifs d’aide.
Parallèlement à cela, il y a à la Réunion tout un réseau d’infrastructures
copié sur le modèle français (puisque c’est un territoire français) : des
cours de cinéma au lycée, un Institut de l’image de l’Océan indien, six
festivals de cinéma dont le Festival des films d’Afrique et des îles, le
Festival des films de la Réunion, le Festival du film de jeunesse, le Festival
du film court de Saint-Benoît, le Festival du film d’aventure. Il y a aussi des
salles de cinéma et deux multiplexes. On a aussi la possibilité d’avoir des
co-productions avec la chaîne de télévision France Ô (ancienne RFO). Donc,
toutes les infrastructures sont là pour accompagner les porteurs de
projets cinématographiques.
Aux Comores, le cinéma repose sur des initiatives individuelles. En 2012, le
festival CIFF a été monté après deux ans de travail. Il s’inspire des RFC avec
qui il est en partenariat, et aussi avec le festival Iles-Courts. Il y a eu des
ateliers d’écriture documentaire, fiction et animation. Cette année, on suit
ces porteurs de projets pour qu’ils arrivent à faire leurs premiers films.
C’est le festival qui va trouver les moyens de les produire.
À côté de cette organisation, il y a des cinéastes indépendants qui se
débrouillent, comme d’ailleurs beaucoup de cinéastes africains. Il y a beaucoup
d’autoproduction, surtout dans le cinéma d’animation à Madagascar. Très peu de
ces films d’animation ont le financement classique. Les jeunes travaillent à
partir de leurs ordinateurs, de logiciels piratés et pourtant le résultat est
quand même assez extraordinaire.
Au milieu de ces cinémas, La Réunion fait figure de parent riche. Ne faut-il
pas dissocier ce territoire des Comores, de Maurice et de
Madagascar?
On ne peut pas vraiment le dissocier parce que, autant La Réunion a de
l’argent, autant la qualité des productions n’est pas meilleure que ce qui se
fait à côté. En plus, les cinéastes de la Réunion rencontrent à peu-près les
mêmes problèmes qu’à Maurice ou aux Comores : problème d’identité, de
perte de valeurs traditionnels, les rapports avec le Nord, etc.
Comment ces cinémas sont financés ?
Pour l’instant, ce sont des festivals qui trouvent des sous, pour aider à la
création. Il y a aussi l’autoproduction. Un peu de financement vient du secteur
privé. À Madagascar, l’État a monté un fonds d’aide qui s’appelle Serasary, mais qui n’a pas beaucoup d’argent.
Les festivals tiennent un rôle central dans la naissance ou la renaissance
du cinéma dans cette région. Ils sont portés par des jeunes. Au cours de votre
intervention, vous avez parlé d’un mouvement générationnel. Comment cela
s’est-il mis en place ?
C’est un hasard. Le FIFAI a été un des moteurs de ce mouvement. Il y a 20
ans, Alain Gili a créé les Journées du cinéma et de la culture
qui sont devenues le Festival international du film d’Afrique et des îles
(FIFAI). Alain est un homme de culture, il a associé toutes les disciplines
artistiques autour de ce festival. Il a fait venir des poètes, des plasticiens,
des écrivains dans des jurys et en tant qu’invités. Des artistes venus du monde
entier mais surtout de la région. Donc, il y a toujours eu cette volonté
d’associer la création de la région avec le cinéma réunionnais. Cela a permis
d’enclencher une dynamique, des échanges et finalement, il y a un réseau qui se
met en place, même si on n’en est pas conscients. Après cette volonté du FIFAI,
il y a eu une deux décisions importantes : celle de David
Constantin à Maurice de créer le Festival Iles-Courts et celle
de Laza à Madagascar de créer en 2006 les Rencontres du Film
Court.
Le fait de créer ces festivals et de demander au FIFAI d’être partenaire, cela
a tout de suite amené une sorte de coopération régionale implicite qui consiste
en des échanges de programmation et d’invités, la prise en charge de
professionnels primés, etc. Et finalement, on se connaît et l’information
circule. Ça circule d’autant plus facilement qu’on est de la même génération.
Je pense que c’est la création de ces deux festivals, et maintenant du CIFF aux
Comores, qui sont les éléments moteurs de cette dynamique. Il se passe beaucoup
de choses positives dans la région. Il y a beaucoup d’envie, beaucoup d’allant,
beaucoup d’énergie. C’est un moment très intéressant et excitant à vivre.
Ces manifestations, en plus de la promotion des films, se lancent dans la
formation, la production, la distribution et l’exploitation. N’y a-t-il pas un
danger à concentrer ainsi tout le circuit cinématographique sur des
festivals ?
À un moment, ce sera effectivement un danger. Il faut bien qu’il y ait des
structures qui dynamisent et catalysent le cinéma. La nature ayant horreur du
vide, pour le moment, ce sont des festivals qui jouent ce rôle. Mais, ils ne
pourront pas le faire très longtemps, puisque leur mission est de montrer des
films, de les promouvoir, pas de gérer tous les maillons de la chaîne
cinématographique. Ils risquent d’être dépassés à un moment. Mais, pour
l’instant, il n’y a pas d’autres structures. Il n’y a pas de Centre national du
Cinéma à Madagascar, à Maurice et aux Comores. On n’est pas du tout dans des
territoires où l’État décide de créer une structure pour le cinéma. Donc, c’est
presque un travail de Centre national du cinéma que font les RFC, par exemple.
Mais effectivement, à un moment, ce travail aura ses limites.
Quel est le parcours des réalisateurs de ces pays ?
On ne peut pas uniformiser. Cependant, il y a des gens qui, dès le départ,
décident de faire le cinéma et commencent pas le système D. C’est beaucoup le
cas à Madagascar : ils se débrouillent pour faire des films qui passent
aux RFC. S’ils gagnent, ils reviennent l’année suivante ou les RFC les aident.
À Maurice, ils passent par le concours du scénario Iles-Courts. À la Réunion,
il y a des écoles de cinéma, beaucoup de sociétés de production. Aux Comores,
il y a des artistes, plasticiens, photographes, écrivains qui ont le désir de
faire du cinéma.
Il y a une autre catégorie de personnes qui ont fait des écoles de cinéma ou
qui ont toujours eu le désir de faire du cinéma. Mais, parce qu’il n’y avait
pas de structures et qu’ils n’arrivaient pas à trouver d’interlocuteurs, ils
avaient rangé au placard leur désir de cinéma pour faire autre chose. Et dès
qu’il y a eu l’émulation, ils ont voulu réaliser leur rêve. Nous, au CIFF, on a
vu des gens très âgés nous apporter leurs premiers films. À Maurice, Harrikrisna
Anenden a fait des films institutionnels pour l’OMS pendant 30 ans
alors qu’au fond de lui, il voulait être cinéaste. Maintenant qu’il est à la
retraite, il (re)commence à faire du cinéma [le cinéaste mauricien avait déjà
réalisé un premier long métrage, La Cathédrale, en 2006, NDLR].
Quel regard critique portez-vous sur les films produits ?
En termes techniques, il y a une grosse avancée. En l’espace de dix ans, on est
passé de films qui étaient plus ou moins bricolés techniquement, avec des
problèmes de cadrage et de structuration, à des films qui commencent à être aux
normes techniques internationales. Très peu de techniciens ont été dans des
écoles de cinéma, ils se forment sur le tas. À force de filmer, ils apprennent.
On commence à avoir de très bons cadreurs, preneurs de son... À la Réunion, il
y a déjà de très bons techniciens formés. Mais, dans les autres îles, c’est la
débrouillardise, le sens de l’ingéniosité, comme un peu partout en Afrique.
Maintenant, là où la différence va se faire, c’est en termes d’écriture. Et
là-dessus à Maurice, vu qu’ils ont enclenché tout de suite les formations
d’écriture, on sent qu’il y a une qualité certaine d’écriture qui se retrouve
dans les fictions de la Collection Iles-courts. Ce qui manque encore, comme
dans beaucoup de cinémas africains, c’est la qualité de l’écriture. Le temps
d’un film est un temps très complexe. Il y a le temps de l’idée, de la
gestation et de la maturation du projet. Mais souvent en Afrique et dans les
îles, on zappe ce temps-là. Puisqu’on a le désir de filmer, on veut filmer
tout, tout de suite et maintenant. On ne rend pas ce temps de gestation et de
maturation du projet qui permet à la fin d‘avoir un résultat de qualité. Il
reste une faiblesse à ce niveau-là dans l’écriture de scénario en fiction, et
dans l’approche et les enquêtes en documentaire. Les gens font très peu de
dossiers de création, ne vont pas voir en préalable les personnes qu’ils vont
interviewer, ne font pas de repérage systématique, mais ils vont direct et ils
filment.
Après, et c’est aussi une faiblesse du cinéma africain, on a tendance à oublier
que l’imaginaire d’un pays est souvent détenue par la littérature. Cet
imaginaire-là, à mon sens, doit être transféré en images pour une qualité
certaine. Mais on a très peu d’adaptations. Ce qui fait que finalement, on a
l’impression que le cinéaste africain ou des îles raconte une histoire qu’il
est le seul à détenir. Alors que si ça se trouve, il y a des romanciers qui
l’ont déjà raconté et dix fois mieux, et qu’il suffirait juste d’adapter le
texte. C’est un problème qu’il faut chercher à résoudre.
Comment les cinémas de ces îles du Sud-Ouest de l’Océan indien se
positionnent par rapport aux cinémas du continent africain ?
À part l’exception réunionnaise très tournée vers la Métropole, je pense que
pour la plupart, les cinéastes mauriciens, malgaches et comoriens se
considèrent comme africains ; même s’ils savent que l’Afrique n’est qu’une
partie d’eux-mêmes puisqu’ils ont des origines diverses. On rencontre dans ces
pays les mêmes problèmes que sur le continent : l’absence de l’État,
d’infrastructures, l’immigration, la débrouillardise des cinéastes… Ce qu’il y
a en plus sur ces îles c’est qu’on travaille en relation. Il y a un mouvement
commun, alors que très peu de régions en Afrique travaillent en collaboration.
Chacun se débrouille dans son coin, dans son pays et il n’y a pas d’échanges à
l’intérieur d’une région ou d’une sous-région.
Est-ce que ces cinémas des îles de l’Océan indien arrivent à trouver une
place à l’international ?
Je pense que c’est plus facile de trouver une place à l’international qu’au
national, car nul n’est prophète dans son pays. Depuis à peu près deux ans, il
y a un intérêt de gros festivals comme Clermont-Ferrand pour ce qui se passe
dans la région, parce qu’ils reçoivent de plus en plus de films venant d’ici.
On commence à avoir des retombées positives. C’est plutôt au niveau national
que les États ne sont pas conscients de ce phénomène et n’ont pas vraiment le
désir de l’accompagner.
Et comment ces films sont distribués sur le plan local ?
C’est très difficile parce qu’il n’y a que dans des festivals qu’on arrive à
les voir. Les télévisions demandent à être payés pour passer les films à
Maurice et à Madagascar. Aux Comores, ils diffusent des films et ne paient pas.
Il faut du temps pour leur faire comprendre que c’est à eux de payer les
cinéastes et les ayants droits.
Ensuite, il n’y a presque plus de salles. À Madagascar, elles ne sont plus
exploitées, on les ouvre seulement à des occasions spéciales. À la Réunion, il
y a des salles mais malheureusement, celles qui seraient à même de passer
les films d’ici ferment les unes après les autres. Nous, au Port, on a réussi à
convaincre le maire de racheter la salle Le Casino qui est devenu un cinéma
municipal qu’on ouvre pendant le festival. On a d’ailleurs un projet de rénover
ce cinéma pour l’ouvrir toute l’année, mais ça demande beaucoup de moyens.
Il y
a une salle mythique au centre-ville de Saint Denis, Le Plaza, qui vient de
fermer après 70 ans d’exploitation. On se retrouve aujourd’hui à la Réunion
avec une offre qui est le multiplexe, qui diffuse des grosses productions, des
blockbusters. Les exploitants ne s’intéressent pas au cinéma local. À chaque
fois, nous essayons de leur proposer des films de la région, par exemple Les enfants
de Troumaron qui a été primé au
Fespaco et a eu le prix du public au FIFAI. Mais cette diffusion se fait par à
coup, il n’y a pas de systématisation.
Après, il reste des Vcd (Vidéo Compact Disques). Il y a des gens qui font des
films du type Nollywood, qui louent des salles, qui montrent des films en
malgache et les Malgaches aiment ça. Mais est-ce qu’on peut parler de
cinéma ? Aux Comores c’est pareil, on achète des Dvd de films qui viennent
du continent africain. Donc, le problème de la distribution reste entier.
Aux Comores, le CIFF a créé un ciné-club mobile avec des projections en
plein air. Comment ça se passe ?
On est parti sur le constat qu’il n’y a plus de salle et on s’est demandé
comment faire pour attirer les gens, leur donner l’envie de voir des films. On
a décidé de faire des projections dehors, sur des places publiques. On n’allait
pas s’amuser à aménager des salles alors qu’on a très peu de moyen. Tout cela
nous a forcé à mettre en place un dispositif de cinéma ambulant, de faire le
tour de grosses places de la capitale, d’aller de village en village, de parler
du festival qui va arriver et d’habituer les gens au cinéma. On passe les films
comoriens et d’autres, en même temps qu’on enclenche les débats.
On passe un
film parce que le réalisateur est présent, parce que ça soulève une
problématique importante. On a commencé en juillet 2011, au moment du Ramadan.
Une fois que les gens ont coupé le jeûne, qu’ils ont été à la mosquée, la nuit,
ils se baladent dehors parce qu’il fait très chaud. On a passé des films qui
parlaient de la culture musulmane et ça a bien marché. On fait des projections
sur toute l’année. On a arrêté après le festival en décembre, mais on réfléchit
à la reprise des projections.
Quelles perspectives s’offrent à ces cinémas aujourd’hui ?
Il y a un enjeu politique certain, le cinéma est un enjeu national, quel que
soit le pays. La question est de savoir si les responsables politiques de
ces territoires, Réunion inclus, ont compris que c’était un enjeu national de
créer une industrie et donc de professionnaliser le secteur, en offrant du boulot
aux jeunes, mais en même temps de donner une autre image de ces territoires-là,
en permettant aux cinéastes d’en être des ambassadeurs.
Si le politique n’accompagne pas ce développement, ce qui risque de se passer,
c’est que ces cinémas vont se développer en marge de politiques publiques et on
va se retrouver en manque d’infrastructures cinématographiques pérennes. Ces
cinéastes vont en avoir marre et partir en exil. Donc, on va revenir à l’ancien
schéma que les cinémas africains connaissent très bien et les structures vont
mourir. Il y a un risque de dispersion s’il n’y a pas de politiques publiques.
Après, ce qu’il y a de positif dans ces cinémas d’Afrique et des îles, c’est
qu’il y a une nouvelle génération qui est consciente des erreurs des anciens. Il
y a eu de très grands cinéastes mais ils n’ont pas créé de structures, ils
n’ont pas pensé à la formation, à la production, à transmettre. Ce n’est pas
normal que le Sénégal qui a produit Djibril Diop Mambéty et Sembène
Ousmane n’ait pas d’école de cinéma. À quoi ont-ils donc servi ?
La jeune génération pense production, formation, ateliers, écoles de cinéma,
au-delà de penser leurs films aussi. Pour moi, ça tient à la fois aux
responsables politiques et aux acteurs du cinéma local. C’est important qu’il y
ait des structures. Il y a des festivals dans les îles, mais il faut en plus
des sociétés de production, de distribution, des écoles de cinéma.
Sans l’engagement de l’État, ça va devenir un cinéma totalement indépendant,
financé par des privés et/ou par l’étranger. Et quand l’État voudra s’en mêler,
ce sera trop tard. Or, si l’État s’en mêle dès le départ, au moins il y aura
une direction. Mais nos États sont défaillants. Si on avait des politiques à la
hauteur, nos pays ne seraient pas dans cet état là. Pour le Comorien ordinaire,
l’État c’est une abstraction, quand ce ne sont pas des voleurs. À partir de là,
je suis assez pessimiste par rapport aux politiques publiques d’intervention.
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Une scène du film "Les enfants du troumaron" |
Vous, Mohamed Saïd-Ouma, comment êtes-vous arrivé au cinéma ?
Je suis arrivé au cinéma un peu par hasard. J’ai toujours été cinéphile, j’ai
toujours cherché une voie artistique, entre littérature et musique. J’avais le
désir d’écrire et je suis devenu journaliste. Cela ne m’a pas satisfait parce
que je trouvais que l’écriture journalistique n’est pas libératrice. La
musique, ça ne me convenait pas non plus parce que ça manque quelque fois de
réflexion. Je suis venu au cinéma comme un appel, parce que c’est une
discipline de synthèse : il y a l’écrit, du son, des images. Et en même
temps, c’est l’une des pratiques qui permet de porter une réflexion profonde
sur le monde, un point de vue, même si c’est difficile avec les contraintes de
la production.
Je suis un autodidacte puisque je n’ai pas fait d’école de cinéma. Et le fait
de travailler pour un festival de cinéma, c’est une véritable formation car on
est au contact de distributeurs, réalisateurs, producteurs, acteurs, critiques
de cinéma et à force de les écouter, on comprend un peu les rouages de tout ce
mécanisme. Ce qui m’a le plus motivé à entrer dans le cinéma c’est que je viens
d’un territoire, l’archipel des Comores, qui n’a pas du tout été filmé par ses
propres habitants. Il y a ce désir chez moi de raconter notre histoire, qui
nous sommes et où est-ce qu’on veut aller. On peut être pionnier et montrer une
voie.
Est-ce que c’est ce désir-là de filmer les Comores d’où vous êtes originaire
qui vous a poussé à partir de l’Angleterre où vous étiez journaliste pour vous
installer à la Réunion où vous êtes né?
Mes parents sont Comoriens, ils se sont connus à Madagascar et sont partis
vivre à la Réunion. Je suis né à la Réunion au début des années 70, j’ai grandi
en France et je suis parti faire des études en Angleterre. Je vis à la Réunion
mais je suis souvent aux Comores. Étant en Angleterre, j’ai beaucoup travaillé
sur les diasporas ; j’ai côtoyé des artistes noirs anglophones du Nigéria,
du Ghana, des Afro-Américains. Je me suis souvent posé des questions que
beaucoup de gens de la Diaspora se posent à savoir : qui sommes-nous, où
est-ce qu’on va, qu’est-ce qu’on garde de la terre d’origine et comment on vit
dans l’espace diasporique ?
A un moment, je me suis demandé : est-ce
que c’est vraiment intéressant de parler du pays, des Comores, de la Réunion et
même de la région, à partir de Londres ? Est-ce que nous autres artistes
de la diaspora, on n’est pas en train de se mentir en voulant parler de la
terre d’origine à partir de l’étranger ? Au final, qu’est-ce que je sais
de cette région, à part une représentation mentale, voire même fantasmée même
si c’est ma région, mon pays ? Est-ce qu’il n’est pas mieux d’aller
directement sur place et de prendre le pouls ?
Moi, j’ai franchi le pas du retour que beaucoup de gens de la diaspora n’osent
pas franchir. En 2003, je suis rentré pour créer à partir d’ici ; parce
que je ne pense pas que je sois crédible en créant à partir de Londres. Cette
crédibilité n’est pas vis-à-vis de l’Occident, mais vis-à-vis de mes
compatriotes, de moi-même. Je fais partie de ceux qui pensent qu’aujourd’hui,
la force ce n’est pas la mondialisation mais la nucléarisation des choses, il
faut être très local et pas global. En tant qu’artiste, il faut se poser des
questions fondamentales : pour qui je crée, et pourquoi je crée. Je pense
que dans le cinéma et dans d’autres disciplines artistiques, nous autres,
Africains, on a besoin de se poser ces questions-là plus souvent. Pour qui et
pourquoi on fait des films ? Moi, je ne crois pas à l’universel, on se
perd dans la globalité. J’ai plutôt envie que des films des Comoriens soient
vus et compris aux Comores. Le reste, pour moi, n’est qu’un plus.
Quels sont vos projets ?
Mon plus gros projet est de fêter les 20 ans du FIFAI, de faire que l’édition
de début octobre soit une réussite, même si les moyens ont diminué à cause de
la crise économique. La 2ème édition du CIFF va se tenir en
décembre 2014 et dès maintenant, il faut trouver de l’argent pour financer les
films de tous ces porteurs de projets qu’on a eu dans des ateliers en décembre
2012, pour pouvoir présenter une première collection de films du CIFF à la
prochaine édition.
En termes de création, j’ai écrit un court-métrage de fiction qui évoque le
problème des clandestins à Mayotte. Mayotte est devenue française en 1975 et
depuis 1995, il faut que les Comoriens des autres îles demandent un visa qu’on
appelle « visa Balladur » [une création du Premier Ministre
français Édouard Balladur, NDLR] pour pouvoir aller à Mayotte.
Donc, on est étranger chez soi. Cette situation paradoxale et totalement
injuste a créé un drame, puisque les gens des autres îles qui sont beaucoup
plus pauvres vont mourir en mer, en essayant d’atteindre Mayotte. Depuis 1995,
il y a plus de 10 000 morts du visa Balladur. On a 60% du budget du film,
on est en train de chercher les 40% restants. On a commencé le casting en
février et on pense tourner d’ici novembre.
J’ai écrit un autre film après une résidence Africadoc à Tamatave à Madagascar,
les Rencontres Tënk. C’est un docu-fiction qui raconte la révolution aux
Comores. Il faut savoir qu’à l’indépendance en 1975, il y a tout de suite eu un
coup d’Etat et un révolutionnaire appelé Ali Soilih a fait une
révolution qui a duré trois ans. Et c’est de cette révolution que sont nées les
Comores modernes. Ce docu-fiction revient sur les trois ans de cette révolution
et sur l’Etat du pays aujourd’hui. Je n’ai pas encore trouvé de coproducteur,
pour ce projet ambitieux.
Propos
recueillis par Stéphanie Dongmo à Antananarivo