Là
où les caïmans se couchent est le premier roman de Ephrem Youkpo
et livre inaugural de sa jeune maison d’édition, Eyo. Il raconte le voyage d’un
caïman transformé en jeune garçon dans le monde des humains. Il y découvre la
puissance et la fragilité des hommes. Au passage, l’ouvrage peint une Afrique
prise dans le filet des guerres civiles et dresse le portrait sévère des
personnages de la crise ivoirienne.
Patrice
Nganang avait déjà pris pour narrateur un animal dans son roman Temps de chien (Serpent à plumes, 2001).
Pour son premier roman intitulé Là où les
caïmans se couchent, Ephrem Youkpo jette son dévolu sur un caïman qu’il
transforme en un jeune homme de dix ans, baptisé Forojah. Dans les temps
reculés, les ancêtres des caïmans et ceux des hommes avaient signé un pacte de non-agression.
Que les hommes ont vite fait de transgresser. Le caïman héros de ce conte
décide alors de partir au pays des hommes, ces ingrats. Avec pour unique objectif
de parler à leur chef, les yeux dans les yeux.
Cet
objectif est le fil conducteur du roman. Forojah réussira à avoir une brève
conversation avec le maire de la ville dans laquelle il a atterrit. L’auteur ne
pas dévoile pas le contenu de cette conversation qui a pourtant maintenu le
lecteur en haleine sur 157 pages. Celui-ci devra se contenter des aventures du
caïman au pays des hommes noirs. Un pays dont le nord est pris en otage par l’extrémisme
musulman et le sud par la misère et la débauche. Ce parcours initiatique va permettre
au caïman de comprendre la complexité des humains, leur puissance et leur
perversité, mais aussi leurs fragilités et leur bonté. Il apprendra aussi que
Dieu a fait des Noirs les boulets de l’humanité.
Ephrem
Youkpo écrit dans un style simple. Pour exprimer des réalités pas si simples
que ça. Son roman semble divisé en deux parties : dans la première, le ton
est badin pour raconter, sur le mode de la confidence, le quotidien du caïman
qui, de son poste d’observation au bord du marigot, est témoin des incestes et des
infidélités. Dans la seconde partie, le regard n’est plus amusé mais indigné. Le
ton est grave, presque solennel, pour évoquer des problèmes politiques, à
travers des fables qu’un vieux cordonnier du marché raconte aux enfants de la
rue le soir.
Quatre prétendants, un trône
Parmi
ces fables, l’histoire de quatre prétendants
à un trône. A la mort du roi, le premier prétendant est intronisé par défaut mais
sa mégalomanie le conduit à sa perte. Le second est un général d’armée qui sera
assassiné, alors qu’il confisque le pouvoir qu’il avait pourtant promis de
céder. Le troisième est un opposant de la première heure, rusé et opportuniste
mais proche du peuple qui vote pour lui. Le quatrième, ancien premier ministre battu
aux élections, décide par orgueil d’arracher le pouvoir. Avec l’aide de ses
parrains d’Occident, il boute le troisième prétendant hors du trône et le
laisse moisir dans une prison.
Des
personnages de fiction qui ressemblent fort à ceux du conflit ivoirien.
Respectivement Henri Konan Bédié, le général Robert Guéï, Laurent Gbagbo et
Alassane Ouattara. Le roi étant Félix Houphouet Boigny, le premier président de
la République de Côte d’Ivoire qui, à la fin des années 60, a fait créer un lac de caïmans à Yamoussoukro. En 1982,
Yodi Karone (Le bal des caïmans)
comparait les hommes politiques aux caïmans, pour souligner leur voracité et
leur duplicité. En 2012, Ephrem Youkpo explique que le prédateur n’est pas le
caïman, mais l’homme politique avide de pouvoir.
Tradition orale et fantastique
Né
à Divo dans le sud-ouest de la Côte d’Ivoire il y a une quarantaine d’années, Ephrem
Youkpo a écrit son roman en 2008. En 2011, il y a introduit le chapitre sur la
crise ivoirienne. Malgré l’effort de transition, le raccord laisse paraître la
cassure du ton et du rythme de la narration. Son écriture est plus explicative
que descriptive, avec des ellipses qui sonnent parfois comme une fuite en
avant. Parlant d’un jeune harangueur de foule qui a su mobiliser les jeunes
pour maintenir le maire de la ville à son poste, Farojah dit : « C’est
une très longue histoire dont je n’ai pas cerné tous les contours. On y
reviendra probablement une prochaine fois ». Il n’y reviendra pas dans ce
livre.
Là où les caïmans se couchent puise dans le symbolisme des
traditions orales africaines et emprunte au fantastique pour parler aux hommes.
Construite autour de la célébration du nouvel an, ce roman ne pouvait pas mieux
tomber. On y retrouvera l’ambiance d’une ville d’Afrique subsaharienne en fête avec
ses « Bonne année, l’argent !» Et ses espoirs immenses en la nouvelle
année.
Stéphanie Dongmo
Là où les caïmans se couchent (roman)
Ephrem Youkpo
Eyo éditions
Septembre 2012
217 pages
Prix : 13 euros
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