Léonora
vient de publier son septième roman, qui marque aussi son entrée chez un nouvel
éditeur, Grasset. La saison de l’ombre
redonne vie, l’espace d’un roman, à une communauté qui a perdu 12 de ses
hommes, sans savoir qu’ils sont pris dans la traite négrière. Mais surtout,
elle montre le désarroi de ce peuple face à des événements qui les dépassent
complètement. Occasion pour l’auteure de donner à voir, une fois encore, sa
dextérité à manier la langue française, tout en lui imposant sa langue
maternelle, le douala. La saison de l’ombre
a remporté le Grand Prix du roman métis décerné par la ville de Saint-Denis, à
la Réunion. Il est également en lice pour le Prix Femina en France.
Léonora Miano |
Comment sait-on qu’on
est à la frontière d’un monde nouveau et que le quotidien, tel qu’on
l’a vécu jusqu’alors, ne sera plus jamais pareil? Le peuple Mulongo vit à
l’intérieur des terres, quelque part dans une partie du monde que le lecteur
sait être l’Afrique centrale. Cette communauté pacifique, qui vit repliée sur
elle-même, ne connait du monde que le peuple Bwele, son voisin immédiat. Un
jour, un incendie éclate dans le village. 12 hommes, dont dix jeunes initiés,
disparaissent. Les mères de ceux qui ne sont ni morts ni vivants sont mise en
quarantaine, pour conjurer le mauvais sort. Mais cela ne suffit pas à sauver le
village.
De tout le peuple
Moulongo qui veut retrouver ses hommes sans savoir où chercher, seuls
quelques-uns approcheront la vérité. Tous ne la comprendront pas. Mais surtout,
aucun ne se doutera que ses conséquences seraient aussi désastreuses ni aussi
définitives ! Dans cette écriture subtile, le mystère se dévoile
progressivement suivant l’évolution des personnages principaux, notamment Eyabe,
une des mères qui, transgressant toute les règles, part rendre un dernier
hommage à son fils qui repose désormais là où il n’y a plus que de l’eau.
Les disparus ont été
enlevés par les voisins Bwele pour être donné aux Côtiers qui, à leur tour, les
ont donnés aux hommes blancs en échange de produits qui flattent leur vanité. Les
hommes privés désormais de liberté sont embarqués dans des bateaux. Où
vont-ils ? Mystère ? Que vont-ils y faire ? Boule de gomme. Ce
que l’on sait en revanche c’est que là-où ils vont, les attend une vie de
souffrances. Ce que l’on soupçonne enfin, c’est que c’est le début de
bouleversements innommables. Et que rien, jamais plus, ne sera comme avant.
Une
tranche d’histoire
Après avoir exploré une
Afrique subsaharienne en proie aux convulsions de toutes sortes dans sa
première trilogie [L’intérieur de la nuit
(2005), Contours du jour qui vient
(2006) et Les aubes écarlates (2009)],
après s’être intéressée aux destins d’Afrodescendants qui essaient, tant bien
que mal, de reconstruire une identité en miette dans sa seconde trilogie [Tels des astres éteints (2008), Blues pour
Elise (2010) et Ces âmes chagrines (2011)], Léonora Miano remonte à la
source du mal. L’esclavage à qui on doit aujourd’hui les sociétés africaines
déréglées et le déchirement des descendants d’esclaves. Au menu de La saison de l’ombre, la consternation, le
déchirement et les bouleversements.
Vu d’aujourd’hui et
surtout du Cameroun, l’esclavage est une chose abstraite. Ce sombre chapitre de
notre histoire insuffisamment enseigné à l’école, s’est effacé dans la mémoire
des peuples. Il y a quelques années, l’opinion publique l’a redécouvert grâce
aux opérations de retour aux sources des Africains Américains qui se sont
découvert une origine camerounaise par des analyses ADN. Miano apporte des mots
aux silences de l’Histoire, l’ombre étant dans ce livre la forme que prennent
nos silences. Elle redonne chair aux déportés, une origine à leurs existences,
des questionnements à leurs départs forcés. Car les esclaves, qu’ils soient
restés à quai, morts durant la traversée ou qu’ils aient atteint l’autre côté
de la mer avaient un nom, une famille, une communauté qui les chérissait.
Les
morts ne sont pas morts
Le roman est empreint
de mysticisme, dans un contexte vierge de la chrétienté et de l’islam.
L’au-delà occupe une place importante dans la régulation de la société et dans
la compréhension des événements D’ailleurs, les Mulongo n’accèderont à la
vérité qu’à partir des communications d’avec les disparus, dont les âmes sont perdues
puisque « le chemin du retour s’est
effacé, il n’y a plus que de l’eau… » Car ici, les morts sont plus que
jamais vivants. Leur parole est même plus précieuse, puisqu’ils détiennent la
vérité. Le roman repose sur la philosophie subsaharienne de la vie, à cette
époque précoloniale. La dernière parole du livre est celle d’Ebeise, la vieille
matrone des Mulongo qui, après avoir vu ce que ses yeux ne devaient pas voir,
conclut : « Sachons accueillir
le jour lorsqu’il se lève. La nuit aussi ». Comme quoi, tout est bien
dans le meilleur des mondes possibles. Et le jour succède toujours à la nuit.
Les
femmes en héroïnes
Dans cette littérature
du chaos, Léonora Miano revient sur un sujet qui la hante et qui transparaît
dans chacun de ses livres, celui des origines et de l’identité. La langue est
travaillée et maîtrisée, avec des formulations traduites, des mots du douala qu’elle
impose au lecteur et qui ralentissent la lecture, sans la gêner. L’histoire est
racontée avec, comme très souvent chez Miano, des femmes en héroïnes :
fortes, indépendantes et tendres à la fois, elles vont au bout de leur quête. Le
texte lui-même repose sur des recherches qu’elle a entamées depuis longtemps
sur l’esclavage. Elle s’est notamment inspirée d’un
rapport de mission menée avec le concours de la Société africaine de culture et
de l’Unesco au sud du Bénin. Intitulé « La
mémoire de la capture », ce rapport démontre l’existence d’un
patrimoine oral au sujet de la traite transatlantique des hommes noirs.
Mais ce n’est pas un
roman historique, prévient l’auteure qui, en 2010, a créé l’association
Mahogany dont l’objectif est de
permettre le dialogue entre Subsahariens et Afrodescendants, pour corriger 500
ans d’histoire. La
saison de l’ombre marque aussi le départ de Miano de Plon, qui a
publié ses six romans précédent. Elle faisait déjà état de désaccords avec son
éditeur dans une interview publiée qu’elle nous a accordé en novembre 2012 et
disponible sur ce blog, et l’attribuait aux sujets de ses écrits depuis Blues pour Elise : « Je refuse qu’on me dicte le contenu de mes
livres et qu’on m’impose d’être l’écrivain de la France noire ou de n’écrire
que sur l’Afrique », martelait-elle alors. Elle a fini par rejoindre Grasset,
autre éditeur français.
Stéphanie
Dongmo
La
saison de l’ombre
Grasset, août 2013
235
pages
17 euros
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