Il
était destiné à l’agriculture, aujourd’hui il est une icône du théâtre
africain. Comédien, fondateur des Retic et président du Conseil régional
Afrique de l’Institut international du Théâtre de l’Unesco, il a su se sortir
la tête de l’eau dans un contexte difficile.
NB: Article paru en 2012 dans le magazine
Kwin.
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Portrait de Ambroise Mbia |
On le croyait désormais
dans l’arrière-scène, à s’occuper de la promotion du théâtre et de la formation
des jeunes. Il est revenu sur la scène, à l’occasion de la célébration de ses
50 ans de carrière en juin 2012. Toute une vie dans le théâtre au Cameroun
! Un exploit dans un contexte de crise marqué par la démission des pouvoirs
publics, l’absence des moyens de création, la rareté des espaces de diffusion
et la désaffection du public.
Une maison nichée sur
une colline à Mfida, près d’Akono. Loin du bruit et des lumières de la ville,
c’est là qu’Ambroise Mbia s’est établit deux ans après son retour au Cameroun
en 1977. Dehors, il y a un boukarou qui appelle au calme et au repos. Avec une
vue superbe sur deux étangs où le maître des lieux pratique la pisciculture.
Les rires des enfants qui se baignent dans le petit cours d’eau qui délimite la
propriété sonnent comme un doux refrain. Plus loin, il y a une palmeraie qu’Ambroise
Mbia a créée pour renouer avec l’agriculture, sa première vie.
Cheveux poivre sel
coupé très court, yeux rougis mais rieurs, une voix qui porte, Ambroise Mbia
impose par sa carrure. Elle lui a permis de se glisser dans la peau d’un
militaire violent et jouisseur dans la pièce « La femme et le
colonel », qui a consacré sa remontée sur scène aux côtés de la comédienne
béninoise Florisse Adjanohoum. Ecrite par le Congolais Emmanuel Dongala, la
pièce a été mise en scène par le Tchadien Vangdar Dorsouma qu’assistait la
Camerounaise Elise Mballa Meka. La première représentation s’est tenue le 27
juin à Yaoundé. 70 ans plus tôt, Ambroise Mbia Ebene naissait dans la même
ville.
Le
théâtre, par hasard
Difficile de croire
qu’il est arrivé au théâtre par hasard. En 1960, ses parents l’envoient en France
pour suivre des études d’agronomie. A cette époque où souffle le vent des
indépendances, les Etats africains font de l’agriculture la base de leur
développement. Ambroise Mbia se destine donc à devenir ingénieur agronome. Seule
passion dans cette voie toute tracée, il joue de la guitare pendant les week-ends
au sein d’un petit orchestre d’étudiants. Pour combler les défaillances d’un répertoire
pauvre, le jeune homme à l’esprit taquin commence à raconter des sketches pendant
les intermèdes. Le succès de ce « jeu » le surprend.
Ambroise Mbia croît que
« tout homme naît comédien ». Encore faut-il travailler à le devenir.
Aussi s’inscrit-il, grâce à une bourse du gouvernement français, à l’Ecole
nationale supérieur des arts et techniques du théâtre, longtemps connue comme
« l’école de la rue Blanche », et plus tard à l’Ecole d’art
dramatique Armel Marin à Paris. C’est le début de sa seconde vie, celle-là plus
aboutie. Un jour, il passe une audition pour un rôle qui va lui ouvrir les
portes de l’Odéon-théâtre de France où il va rester 7 ans.
Ici, il joue avec les
plus grands, notamment Daniel Sorano (interprète mythique de Cyrano de Bergerac
mort en 1962). A Mfida, Ambroise Mbia conserve jalousement les vestiges de
cette période dans une armoire fermée à clé. Ce sont des affiches sur verres
qui annoncent les spectacles : « Le marchand de Venise », « L’oracle », «
La vie parisienne »… Au cinéma, il a joué aux côtés de Jack Nicholson et Lino
Ventura ; il a travaillé avec l’écrivain Nigérian Wole Soyinka, le
cinéaste Sénégalais Sembène Ousmane et le metteur en scène burkinabé
Jean-Pierre Guingané. Au total, Ambroise Mbia a pris une part active dans 15
films au cinéma, 30 films de télévision, 60 pièces de théâtre, 300 pièces du
théâtre radiophonique.
Entre-temps, Ambroise
Mbia s’est fait connaître en Afrique. En 1975, il est sollicité pour monter une
pièce jouée au Congrès de la maturité de l’Union nationale camerounaise (Unc),
à Douala du 10 au 15 février. En 1977, il est secrétaire général du 2ème
Festival mondial des arts nègres à Lagos au Nigéria. Ambroise Mbia a été
directeur adjoint de la cinématographie et directeur adjoint du patrimoine au
ministère de la Culture, coordonnateur de l’Ensemble national et enseignant de
diction à l’Ecole supérieur des sciences et techniques de l’information et de
la communication (Esstic). Depuis 1998, il siège au conseil d’administration de
la Crtv.
En mars 2012, pour son
parcours reconnu à l’international, Ambroise Mbia a été élu par ses pairs
président du conseil africain de l’Institut international du théâtre (Iit),
créé en 1948 par l’Unesco pour développer les arts de la scène dans le monde.
Une fonction qu’il cumule avec celle de président du conseil camerounais de
l’Iit, poste qu’il occupe depuis 15 ans. Ambroise Mbia est par ailleurs expert
pour le théâtre de l’Organisation internationale de la francophonie (Oif).
Les
Retic en quête de renaissance
En novembre 2012,
Ambroise Mbia organise la 20ème édition des Rencontres théâtrales
internationales du Cameroun. Le plus vieux festival de théâtre de la
sous-région montre depuis quelques années des signes d’essoufflement. Le financement
qu’il recevait de l’Etat s’amenuise au fil des années. Pour illustration, il
est passé de 10 millions Fcfa en 2010 à 2 millions Fcfa en 2011. «
Nous avons été soutenu, peut-être pas tout le temps, mais il faut comprendre
que les organismes qui soutiennent ne sont pas des guichets automatiques et ont
aussi beaucoup de sollicitations », dit-il, diplomate. Et pourtant, le souhait
de son promoteur est que les Retic soient inscrits au budget de l’Etat, comme
ce sera le cas dès l’année prochaine pour sept festivals signataires d’une
convention avec le ministère des Arts et de la Culture.
Comme les Retic, Ambroise
Mbia a connu des hauts et des bas. Comme le théâtre camerounais dont il est
l’un des symboles, il porte vaillamment ses grandeurs et ses misères. D’un
regard dans le rétroviseur de sa vie, il gomme les ratés et garde les
succès : « Mes 50 ans de carrière m’ont comblé parce qu’ils m’ont
donné l’occasion de rencontrer des gens, des hommes de théâtre qui m’ont
marqué, de partager et surtout de dire que le théâtre est un métier noble que
je ne regrette pas d’avoir choisi. Je n’ai pas fait ce métier pour moi-même, j’ai
essayé d’aider un maximum de personnes, j’ai tiré des leçons de mes
échecs », dit le comédien qui a su soigner son entrée et sa sortie sur la
scène. Avec lui, on a envie de dire en chœur : « qu’il est exaltant le
métier de comédien ! Qu’il est beau le monde du théâtre ! »
Stéphanie
Dongmo