Féministe
et afropéenne assumée, la metteuse en scène parle de son projet théâtral et
littéraire intitulé La Traversée aux
disparus qui sera présenté du 5 au 7 mai au Théâtre la Criée à Marseille. Ce projet est composé de quatre textes de femmes, descendantes d’esclaves : La vie sans fard et Ségou d’après Maryse Condé (Guadeloupe), La couleur de l’Aube d’après Yanick Lahens (Haïti) et La grande chambre de Fabienne Kanor (Martinique). Un volet de ce travail, la pièce Femmes de Ségou, a
été présenté en février à Yaoundé et sera à nouveau sur scène dans le off du
festival d’Avignon, du 5 au 15 juillet.
Parlez-nous du projet sur lequel vous travaillez, La Traversée aux disparus.
La
Traversée aux disparus ce sont quatre textes écrits par
quatre femmes : Maryse Condé, Yanick Lahens, Fabienne Kanor, Fatou Sy
Savane. Elles viennent d’horizons géographiques différents, sont de générations
différentes : 80, 60, 40 et 27 ans, la doyenne étant Maryse. Celles qui
lui succèdent sont ses héritières. Ça se lit dans leurs écritures. On commence
par son autobiographie [La vie sans fards,
Ndlr] qui est aussi une manière pour moi de parler du processus d’écriture.
C’est une traversée à
la fois de la littérature et de l’histoire de l’Afrique. Dans les années 1960, Maryse
est arrivé en Afrique et a vécu le choc des cultures d’être une Antillaise
allant sur le continent des origines. Elle devient écrivain peu après cette rencontre
qu’elle raconte dans son autobiographie. Ensuite, on a Maryse qui raconte Ségou
qui se passe dans l’Afrique coloniale. Et puis, on se retrouve en Haïti en 2004
avec l’histoire que l’on sait, la première République noire, et enfin on a La grande chambre de Fabienne Kanor qui
se passe en France avec un sans-papier aujourd’hui ayant fait la traversée
d’une manière volontaire. Il est avec une jeune femme française d’origine
antillaise descendante d’esclave et dans leur chambre, s’invitent des fantômes
de disparus pendant la traite.
Je travaille sur les
écritures de femmes noires parce que je suis une femme noire. Après, ce sont
des histoires de rencontre. Je lis un texte qui me plaît, j’ai envie de le
porter sur la scène.
Quel
sera le lien dans la mise en scène de ces pièces que vous montez
séparément?
Elles sont toutes dans
le même décor, avec les mêmes comédiennes. Elles sont dix filles et un garçon
et chaque comédienne va traverser les écritures de toutes ces femmes. Une
partie de la distribution a été rencontré lors des workshops, je donne un
atelier et je repère des gens. Les pièces se montent à des endroits différents
et puis après, toute l’équipe va se retrouver en avril et on verra comment ça
se tisse, des choses vont naître que je n’ai pas prévu. Je travaille beaucoup
comme ça, en fonction des rencontres ou de ce qui se passe sur le plateau.
Quel
résultat souhaitez-vous obtenir en faisant la confrontation des textes,
d’auteures, de style et d’époques différents ?
Quand un scientifique
se lance dans une expérience, il ne sait pas le résultat de cette expérience. J’agis
un peu comme ça. Je mets les choses ensemble et l’alchimie va opérer. Je ne travaille pas sur plan mais en fonction
de ce qui se passe, des gens. C’est une histoire d’aller et retour entre les
comédiens et moi. Les acteurs ne sont pas des marionnettes pour moi et c’est la
multiplicité des rencontres qui va faire que le spectacle sera ce qu’il est.
Dans
un projet, il est prévu un documentaire qui sera réalisé par Sarah Bouyain…
C’est un documentaire
qui présente chaque auteure, des portraits. Après, il s’avère que Sarah Bouyain
a décidé de faire un documentaire pour parler de ce projet, un film qui va
s’appeler La Traversée et pour lequel
elle cherche des financements, pour parler de l’histoire de l’esclavage par
l’écriture. C’est moi qui ai pris contact avec elle au départ sans projet
spécifique. J’ai lu son livre Métisse
façon dans un premier temps, ensuite j’ai regardé ses films et elle, elle
connaissait mes spectacles. On parle des mêmes choses. Ce qu’elle fait dans le
cinéma ressemble à ce que je fais dans le théâtre. C’est contemplatif et elle
travaille sur la question des origines.
Finalement, est-ce
un projet théâtral, littéraire ou cinématographique ?
C’est tout ça à la fois.
Le théâtre seul, ça n’existe pas. C’est
toujours fait avec un texte, une interprétation, de la musique, de la
lumière, c’est un art total. L’art dramatique d’Afrique, et je revendique cette
racine-là, est fait de plusieurs disciplines. Ce n’est pas un art de texte. Là,
il s’avère que je fais un travail autour
de textes. Mais dans ce que vous avez vu de Ségou,
il y a des choses que le texte ne peut pas dire et que la musique peut
raconter, des émotions que la musique peut rapporter. Dans ce projet, on
utilise pratiquement tous les éléments possibles et même la cuisine.
Dans
votre travail, vous essayez de jeter des ponts entre l’Afrique et l’Europe,
avez-vous le sentiment d’y arriver ?
Oui, je pense que j’y arrive.
Il y a des ponts puisque les gens se reconnaissant dans mon travail, des deux
côtés. En France, on dit que je fais un travail communautariste.
Et
en Afrique, qu’est-ce qu’on dit ?
Ça dépend de qui parle et
des coins, puisqu’il y a des pays auxquels j’appartiens. Au Mali je suis Malienne,
en Côte d’Ivoire je suis Ivoirienne, j’ai d’ailleurs un état civil ivoirien. Je
n’ai jamais eu l’impression qu’on parlait de mon travail comme d’un travail
importé, d’autant plus que cette dernière forme est faite à partir d’une
culture que je connais pas mal. Les gens viennent voir mes spectacles en France
en pensant voir du théâtre africain. La plupart du temps, ils sont très déçus
parce que ce qu’ils attendent, c’est des djembé et des gens qui dansent. Je
pense que mon travail est métis. Dans le fond culturel premier il est français,
je suis une fille de la République et en même temps, il y a toutes ces
influences par mon éducation, ce que j’ai entendu comme musique, les histoires
qui m’ont été raconté, les voyages qui ont alimenté mon travail.
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La Traversée aux disparus |
N’êtes-vous pas écartelée entre deux mondes ?
Le travail que je fais
me permet de ne pas être écartelée, de faire le lien intimement. Ce qui est
très compliqué dans le métissage c’est d’appartenir à la fois à un continent
qui a souffert et à un continent qui a martyrisé, le bourreau et la victime. Nous
sommes des hybridités, des monstres. C’est comme être l’enfant d’un viol. C’est
ça qui peut être vécu comme quelque chose de douloureux parce qu’en soit, le
métissage est une richesse.
Et
vous, où vous situez-vous, bourreau ou plutôt victime ?
Ça dépend des jours, on
est toujours l’un et l’autre en même temps. Quand je suis en Afrique, je ne me
sens jamais complètement bourreau et jamais victime parce que je suis dans des
endroits où j’ai un pouvoir économique. C’est plus compliqué en France d’être Noir,
surtout aujourd’hui parce qu’il y a une histoire qu’on refuse d’entendre pour
ce qu’elle est, une méconnaissance de l’histoire de la colonisation qui est
terrible. Je pense qu’on s’attèle à faire taire ceux qui veulent la raconter.
Il y a pleins de moyens très subtiles pour le faire : ne pas les éditer
quand ils sont auteurs, ne pas les diffuser quand ils sont metteurs en scène,
raconter qu’ils ont pété les plombs, etc. C’est une aberration d’aller chez
quelqu’un, de prendre sa maison et de lui dire : ‘‘ maintenant tu vas manger ce que je mange, porter le nom que je te
donne, t’habiller comme moi’’. Il y a beaucoup de gens qui ne connaissent
pas cette réalité. Les gens qui habitent comme moi la frontière ont le devoir
de raconter des deux côtés ce qui se passe.
Vous
accompagnez aussi des personnes métisses comme vous qui veulent entreprendre un
retour aux sources. Comment ça se fait ?
Je le fais très
régulièrement. Là, ça été le cas avec Atsama Lafosse [comédienne dans Femmes de Ségou, Ndlr] qui est venu travailler
pour la première fois au Cameroun, elle dont la mère est Camerounaise. Elle
était venue en vacance petite et n’était pas revenu depuis 11 ans. Elle a maintenant
un désir très fort de travailler ici. Effectivement, quand je travaille avec
des métis, je me dis toujours que c’est bien qu’ils fassent cette démarche. Je
pense que c’est important pour l’équilibre des personnes en général, quand
elles ont plusieurs origines, d’être en lien avec ces racines. Après, tout le
monde n’a pas la même démarche, il y a des gens qui s’en foutent complètement.
Et
vous, qu’est-ce que ce retour aux sources vous a apporté ?
Je suis très Léonora,
j’habite à la frontière, j’ai besoin des deux. Ça m’arrive très souvent
d’assister à des malentendus et de comprendre le malentendu, de savoir que
telle personne, de telle culture ne comprend pas ce que fait l’autre personne
de l’autre culture. J’ai besoin que cette partie de moi-même qui est africaine
puisse exister à l’endroit où elle est, sur son territoire. Je pense que nous
qui sommes des enfants des diasporas avons le devoir de ramener quelque chose à
l’Afrique. C’est à nous de transmettre des compétences donc nous avons
bénéficié par le billet de l’école républicaine parce qu’en fait on a forcément
une démarche qui peut se débarrasser de toute tentation néocoloniale. C’est
très important que ce soit nous qui le fassions.
Comment
vous vivez votre métissage en France ?
Quand on est métis, on
est Noir en France. Par exemple, on te demande tout le temps d’où tu viens.
Alors, au bout d’un moment, on finit par aller le chercher, cet endroit d’où on
vient car apparemment, on n’est pas d’ici. C’est très compliqué et ce le sera
toujours. Ce qui se passe au niveau politique avec l’affaire Dieudonné, a été
assez emblématique. Je ne suis pas forcément d’accord avec les déclarations de
Dieudonné, je trouve qu’il va très loin mais en fait, ce que j’ai trouvé
extrêmement violent, ce sont les réactions. D’un coup, on ne permet plus
l’expression. Un tas de gens comme moi, qui s’en foutaient, ont été obligés de
prendre position. Ça veut dire qu’il y a qu’un seul génocide, ça veut dire que
la traite, la colonisation, ce n’est pas grave. Ça a mis en perspective quelque
chose qui est terrible pour les Français d’origine colonisée. C’est très loin
d’être gagné puisqu’on est même en train de reculer. On ne veut pas entendre
qu’il y a avait des sociétés organisées avant la colonisation, ça continue à
nous détruire et c’est pour cela que j’ai voulu travailler sur Ségou. La traite n’est pas quelque chose
de réglée et en France aujourd’hui, on ne peut pas le dire. Si on le dit, on
est renvoyé à un communautarisme parce que la plupart des gens n’ont aucune
conscience de ce que c’est. Vu qu’ils ne voyagent pas, ils ne voient pas. Quand
on voit, on réalise.
J’allais souvent au
Niger et c’est terrible. Le Niger n’appartient pas aux gens qui y vivent mais à
une entreprise qui s’appelle Areva. Quand il y a eu deux enlèvements de
Français et qu’ils ont été tués pendant l’assaut, ce qu’on ne disait pas en
France c’est que 30 soldats nigériens ont aussi été tués. Dans le Nord du
Mali, on envoie des contingents africains devant sur leurs propres terres et
ça, quand on le voit, on est obligé d’être révolté et de devenir
anticolonialiste.
Est-ce
que Ségou justement peut permettre de
comprendre ce qui se passe aujourd’hui dans le Nord du Mali ?
Exactement, C’était un
peu mon but, de raconter que cette histoire n’a pas commencé maintenant. Rien
ne vient de rien, c’est toujours la suite d’une histoire.
Qu’est-ce
qu’on a perdu ?
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La Traversée aux disparus |
On a perdu beaucoup en
spiritualité. Je pense que les religions révélées sont une catastrophe car
elles ne sont pas adaptées à nos sociétés. Il y a quelque chose qui existe et
quelqu’un de l’extérieur arrive et le détruit au nom de la religion, au nom
d’un dieu hypothétique. Imposer une religion à un autre est toujours une aberration
et il me semble que ce ne sont que les religions révélées qui font ça, qui
mènent à ça. Derrière, il y a toujours une volonté de récupérer des terres. Il
y a des Maliens aujourd’hui qui disent qu’ils ne sont pas musulmans. C’est
récent et en réaction à ce qui se passe.
Vous
parlez beaucoup de Léonora Miano avec qui vous avez travaillé sur Afropéennes. Envisagez-vous de
travailler avec elle ?
Je partage pas mal de
choses avec elle. Tout ce qu’elle dit trouve un écho en moi, ça me parle
beaucoup. Une nouvelle collaboration ? Ça dépend d’elle. Je ne sais pas si
elle a envisage de retravailler avec moi sur un projet, même si Afropéenne s’est très bien passé. Je
pense que c’est assez douloureux pour un écrivain de voir son œuvre sur scène,
il y a une dépossession. L’écriture est un travail solitaire et ce que le
lecteur va en faire lui appartient. Là, il y en un partage collectif du texte à
travers un autre artiste. Cela peut être
violent pour un écrivain.
Sur
La Traversée aux disparus, les
auteurs ont-ils un droit de regard ?
Avec chaque écrivain,
la relation est différente. Maryse suit les choses de loin. Comme elle a vu Afropéenne, ce que je faisais avec le travail
de Léonora, elle a confiance. On est allé chez elle avec l’actrice qui joue La vie sans fard, elle est d’accord avec
notre adaptation. Elle a eu des échos de Femmes
de Ségou et est assez contente de ce qui se passe. Yanick a vu plusieurs
étapes du travail et à un moment, elle m’a fait une remarque mais sinon, je
travaille seule. Avec Fabienne, on est beaucoup plus proche parce que c’est moi qui lui ai commandé le
texte. Et puis, on partage aussi le fait d’être de la même génération, d’être
afropéennes. On est très en phase quand on se parle, on se comprend à demi-mot.
Avec Léonora, je l’ai invité à venir à la répétition mais je crois qu’elle ne voulait
pas s’impliquer et qu’elle était plutôt contente de voir le résultat. Mais
c’est quand même violent puisque ce n’est plus son texte, c’est un texte qui
appartient et qui est dit devant plein de gens.
Pourquoi
ne pas chercher des textes de théâtre ?
En France, il n’y a un
seul texte de théâtre qui parle de ces problématiques : Papa doit manger de Marie Ndiaye. Et il
a été tellement monté et bien que je ne vais pas le monter aussi. J’ai un
propos et je ne trouve pas d’auteurs d’art dramatique qui ont des propos qui
correspondent au mien.
Envisagez-vous
de vous mettre à l’écriture puisque le texte a finalement beaucoup de
place dans votre travail?
Je pense qu’on ne sait
pas tout faire. Par contre, j’ai un sens littéraire fort qui fait que je sais
adapter. Je sais écrire, j’ai un propos mais je ne suis pas une bonne conteuse.
J’ai voulu être écrivain en premier, j’étais sur plusieurs pistes artistiques
en même temps. Je faisais de la danse et du théâtre au lycée, je voulais être
comédienne comme beaucoup de jeunes filles. Je pense aussi que quand on est
différents, métis ou homosexuel, le milieu artistique est très attirant parce
qu’on a l’impression de pouvoir exprimer sa différence. Assez vite, j’ai
compris que j’étais plus douée pour être derrière la scène. Ça se passe bien
mais il y a des difficultés parce qu’il n’y a pas d’argent.
Justement,
comment arrivez-vous à tourner en Afrique avec vos pièces qui comprennent
souvent une multitude de comédiens?
C’est le paradoxe. Je
peux faire des spectacles africains avec l’argent de la France, du colon. Sur
Ségou, j’ai essayé d’embarquer un partenaire africain mais à partir du moment
où on vient de France, on part du principe qu’on a les moyens. Je trouve que c’est
une très mauvaise mentalité. On est anticolonialiste dans le discours mais en
même temps, dans l’attitude, on ne l’est
pas.
Vous avez présenté en février à Yaoundé une adaptation du Tome I (Les murailles de terre, 1984) de la saga de Maryse Condé qui constitue un volet de "La Traversée aux disparus". Pourquoi faire un zoom sur les femmes alors que dans le roman, elles sont plutôt effacées ?
C’est un choix artistique. C’est vrai que dans le roman, les personnages principaux sont des hommes et on a la parole des femmes qu’à travers le destin des hommes. Moi, cela m’intéressait de donner la parole à ces femmes. Je suis venu au Cameroun avec une équipe [Salimata Kamate (Côte d’Ivoire), Assitan Tangara et Lamine Soumano (Mali), Atsama Lafosse (France), Ndlr] que j’ai mélangé à des comédiens d’ici [Junior Esseba, Hermine Yollo, Clémentine Abena, Becky Beh, Ndlr]. On a développé les personnages de Ségou en fonction des propositions. Je travaille avec une jeune auteure ivoirienne, Fatou Sy Savane. Elle travaille sur l’adaptation du texte de Maryse Condé. Il y a eu une première étape de ce travail à Bassam en Côte d’Ivoire et Fatou s’est inspirée de ce que proposait les comédiennes. Elle parle aussi en son nom de jeune femme africaine de 27 ans et elle dit des choses qui sont totalement d’actualité.
Est-ce que cela a été plus facile de travailler avec des comédiennes ouest-africaines qui sont plus proches des réalités décrites dans la pièce qu’avec des comédiennes camerounaises ?
Non, il y a des difficultés dans les deux cas : effectivement les comédiennes ouest-africaines qui sont malinké et même bambara comprennent exactement de quoi on parle mais ont des difficultés à dire ce texte littéraire écrit par une Antillaise. En revanche, les comédiennes camerounaises ont un rapport à l’écriture littéraire de Maryse Condé beaucoup plus facile, un rapport très fort à la langue française parce qu’on est beaucoup plus francophone au Cameroun qu’au Mali.
Femmes de Ségou décrit bien la situation des femmes à cette époque du 18ème siècle. Avez-vous l’impression que les choses ont évoluées malgré le temps?
Il y a des choses qui ont changé mais ça ne change pas de la même manière que dans d’autres régions du monde, il y a un fond culturel qui reste. Je pense que les femmes africaines doivent se libérer par elles-mêmes. On ne pas être libérée par quelqu’un d’autre, c’est un non-sens, il n’y a que soi-même pour se désaliéner. Dans ces temps-là, est-ce qu’elles savaient qu’elles étaient opprimées ? Je ne crois pas. Aujourd’hui est-ce que la jeune femme africaine est plus libre ? Elle est soumise à des diktats économiques et sociaux qui ne la concernent pas, ses relations amoureuses sont très compliquées puisqu’elle est toujours mise en concurrence avec la femme blanche, même quand celle-ci n’est pas présente, donc elle la déteste alors qu’elle ne lui a rien fait puisqu’elle aussi subit. Elle n’est pas libre. Je pense qu’il y a quelque chose d’hybride qui doit s’inventer. Avec le pouvoir économique de la femme, l’homme perd sa virilité, il ne sait plus où se placer mais il me semble que dans le règne animal, chez beaucoup de mammifères, c’est la femelle qui domine l’homme. Et je pense que dans l’histoire, à un moment donné, quelque chose s’est passé qui a retiré cette suprématie à la femme. Le fait que la femme devienne forte, c’est quelque chose qui est dans l’ordre naturel des choses. Après, c’est une féministe qui parle.
En regardant la pièce, on se rend compte que l’esclavage existait déjà dans les sociétés africaines avant la traite négrière. L’une des formes d’esclavage est-elle plus inique que l’autre ?
L’esclavage de caste est une organisation de la société. L’esclavage de la traite implique une destruction des structures qui existent et elle vient de l’extérieur. Au royaume de Ségou, il y avait des captifs de guerre, des esclaves de caste, des gens qui étaient au service des nobles comme il y en avait en Europe avec des serfs au Moyen-âge, et puis il y a la traite. Naba qui est un noble bambara est capturé pour devenir esclave pour des Européens, on va le retrouver au Brésil. Ce n’est pas la même histoire. L’esclavage de caste, on est d’accord ou pas avec, c’est un système d’organisation sociale et ça existe encore. L’esclavage de la traite est un génocide, une catastrophe humaine. L’esclave de caste n’est jamais déshumanisé, ça reste un être humain. L’esclave de la traite est déshumanisé, on en fait un animal.
Propos
recueillis par Stéphanie Dongmo, Yaoundé, février 2014