Une vue du village Ganvié |
Le coût de la visite est dégressif selon que le nombre
de touristes à prendre sur la même barque est important. Je bénéficie d’une
réduction et paie 5050Fcfa. Une somme qui donne droit à une visite qui peut
durer deux heures, à l’accompagnement d’un guide mais aussi à un gilet de
sauvetage. Il est vieux et sale, la fermeture est cassée. Mais c’est avec soulagement
que je l’enfile prestement, moi qui ne me sens en sécurité que sur la terre
ferme. Ainsi parée, je suis prête à suivre le guide jusqu’au bout du lac Nokoué,
qui abrite le village Ganvié.
Au bout du quai, j’ai
une vue magnifique sur la vaste étendue d’eau qui s’étend à perte de vue. Mais
la beauté du moment est corrompue par une odeur pestilentielle. L’eau est noire
de saleté, remplie de détritus et de larves. Un petit marché de poissons s’est
formé sur le rivage et fourmille de monde. J’embarque sur une pirogue motorisée
et couverte en compagnie de Christophe, le guide et d’Innocent, le conducteur. L’eau
devient plus propre et l’odeur s’estompe au fur et à mesure que l’on s’éloigne du
rivage.
La barque qui fend
l’eau me donne l’impression que le monde s’ouvre devant moi. Elle tangue
doucement et me procure une sensation de bien-être, de paix absolue. De
temps en temps, des pirogues-taxis passent à vive allure, ce qui oblige notre embarcation
à ralentir pour ne pas chavirer. Le décor est superbe, les scènes de vie
empreintes de poésie. Une femme, un énorme foulard sur la tête, porte son bébé
entre ses pieds tandis que sa pirogue flotte doucement. Debout sur sa pirogue,
un adolescent jette son filet devant lui avec des gestes méthodiques. Un groupe
de personnes construisent un parc à poissons artisanal.
Un parc à poissons |
Ils plantent dans le
lac pas très profond (environ 2m en cette saison) des feuilles de palmier et
toutes sortes de branchages de façon à former un cercle complètement couvert,
un enclos de végétaux destiné à la pisciculture. C’est un piège dans lequel les
poissons s’engouffrent et ne peuvent plus ressortir, ils se nourrissent alors
de branchages décomposés. Après avoir soigneusement entretenu plusieurs mois
durant leur pâturage aquatique et quand les poissons sont gras, les pêcheurs
peuvent enfin procéder à la récolte. Sur le lac, plusieurs parcs à poissons
s’offrent à voir. Ils appartiennent aux populations de Ganvié et chaque adulte
mâle possède son bout du fleuve. Les espèces pêchées ici sont les carpes,
tilapias, sardines, silures, crevettes et crabes.
La
légende de Ganvié
Durant le voyage, le
guide se met en devoir de nous raconter l’histoire de Ganvié dont
l’origine remonterait au XVIIIe siècle,
à l'époque où des razzias esclavagistes ont obligé les populations de la région
à se réfugier dans les marécages du lac. Mais comme souvent en Afrique,
l’histoire se confond à la légende. A cette époque donc, les Toffinu (habitants
de Ganvié) originaires du Togo devaient fuir une terrible menace. « Ils ont consulté l’oracle qui leur a
dit qu’aussi longtemps qu’ils vivraient sur la terre, ils n’auront pas la paix
et qu’ils devraient se réfugier sur l’eau. Alors qu’ils se demandaient comment
faire pour l’atteindre, leur chef de guerre s’est transformé en un oiseau
appelé Epervier pour aller explorer l’eau. A son retour, il s’est transformé en
crocodile géant pour permettre au peuple de faire la traversée. C’est ainsi que
les premières personnes ont commencé à s’installer sur l’eau, là où il y avait
des bouts de terre, en construisant des maisons sur pilotis. Le village a pris
corps et a été baptisé Gan Vié. Gan veut dire sauver et Vié, collectivité.
Ganvié est donc la collectivité sauvée. Le peuple a abandonné la chasse et la
cueillette pour vivre de la pêche », explique le guide.
Carte postale |
Après un voyage d’une
quinzaine de minutes, Ganvié se dessine devant nous. C’est un regroupement de
plusieurs centaines de cases en bois érigées sur des pilotis. Il compte près de
3000 âmes qui vivent principalement de la pêche, mais de plus en plus du
tourisme, du petit commerce à l’intérieur du village et de la contrebande du
pétrole acheté au Nigéria voisin. Le village a gardé son côté rustique. Mais la
modernité y a laissé des traces comme des toitures en tôles. Seules les cases
les plus pauvres sont encore coiffées de toitures en paille. Beaucoup de
maisons sont dans un délabrement avancé et témoignent de la pauvreté de ses
habitants. En l’absence d’un réseau d’alimentation électrique,
les populations s’offrent de petits groupes électrogènes. Ici, la pirogue est
l’unique moyen de locomotion.
Il est 11h et le
village qui s’étend sur 8Km2 est animé. Des femmes apprêtent le repas sur le
balcon de leurs maisons, un homme renforce les fondations de sa maison en
remplaçant le bois pourri, des enfants jouent sur des pirogues. Ils
s’interrompent lorsqu’ils aperçoivent les touristes et tendent la main. L’air
agacé, les adultes leur lancent « pas de photo ». Derrière les cases,
les détritus flottent sur l’eau. C’est le règne des odeurs nauséabondes et des
moustiques. Le village abrite des écoles, des commerces, plusieurs églises et
un centre de santé bâtis sur des îlots. L’hôpital le plus proche est à 20 km, à
So Tchanhoué. L’îlot le plus important a été créé par les habitants du
village pour permettre aux enfants
d’apprendre à marcher, explique le guide. Car ici, les petits apprennent à
nager, avant même de savoir marcher. D’ailleurs au Bénin, dire de quelqu’un
qu’il marche comme un Ganviénois signifie qu’il marche mal.
Arrêts
obligatoires
La difficile quête de l'eau |
La visite touristique comporte
quelques arrêts obligatoires. Premier arrêt, l’unique point d’eau du village.
Plusieurs personnes, la plupart des femmes et des enfants, attendent en rang,
sur leur pirogue, de pouvoir remplir leurs bidons de l’eau de ce forage. Second
arrêt, le marché flottant avec ses comptoirs achalandés installés sur des
pirogues. Tout y est : friperie, beignets, restaurant, fruits, légumes,
alimentation... Coiffées de chapeaux à larges bord, les commerçantes discutent
gaiement.
Troisième arrêt, la
Maison de la francophonie inaugurée en présence des Premières
dames Hillary Clinton et Bernadette Chirac, dont les maris participèrent au
Sommet de la Francophonie en décembre 1995. C’est une grande baraque en
planches dotée de larges fenêtres. A l’intérieur, des installations comme le
bar sont abandonnées. Deux commerçants proposent des articles à des touristes :
des T-shirts, des sandales et des objets
d’art. En 1996, Ganvié a été proposé au Patrimoine mondial de l’Unesco. Il est
aujourd’hui le premier site touristique en Afrique de l’Ouest.
L'auberge chez "M" |
Autre arrêt
obligatoire, l’auberge « Chez M ». A l’entrée, une statue nous
accueille. Elle représente le premier roi de Ganvié, le Roi Agbogboé, fondateur
du village en 1717. En plus des chambres, l’auberge dispose d’un snack
bar-restaurant et d’une boutique de souvenirs. Dernier arrêt, la « Rue des
amoureux ». Le soir, les jeunes couples s’y retrouvent pour passer des
moments romantiques à bord des pirogues.
Après avoir fait le
tour du village, la visite prend fin. Le bateau-navette se dirige vers l’embarcadère
en passant par la rue du grand canal. Au passage, on aperçoit au loin le
cimetière du village, logé sur un îlot retiré. Le chemin du retour se fait en
silence. Tandis que le guide pense déjà à son prochain client, moi je me
nourris de tout ce que j’ai vu et entendu de Ganvié.
Stéphanie
Dongmo
Crédit photos :
Claude Forest
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