lundi 10 décembre 2012

Littérature : Molière à l’épreuve du temps


Avec son livre Super cagnotte, Jean Eyoum, 21 ans, fait une adaptation libre de L’Avare en parler-jeune. L’intrigue se passe dans une banlieue de Paris, les personnages changent de noms mais gardent leurs caractères. Petite virée sur les sentiers dépoussiérés d’un classique de la littérature française.

Plus que le texte de Super cagnotte, c’est l’audace du projet qui plaît. Un jeune Français originaire du Cameroun décide un jour qu’il s’ennui pendant les congés de Noel de relire L’avare, l’œuvre de Molière qu’il préfère. Ce faisant, il a une idée de génie : et s’il réécrivait ce classique comme on parle autour de lui, dans sa banlieue de Villeneuve-Saint-Georges (Val-de-Marne)? Il se lance. En une semaine, la première mouture du projet est prête. Il la range dans un tiroir et oublie. Six ans plus tard, il ressort le manuscrit, le retravaille et se lance à la recherche d’un éditeur. Sa rencontre avec Kirographaires donne Super cagnotte. Une œuvre pleinement inspirée de L’Avare de Molière. La lettre change, mais l’esprit demeure.

Les personnages de Super cagnotte ont les mêmes caractères que ceux de Molière mais changent de noms, parfois de statut. Ainsi, Harpagon l’avare devient Sébastien ; Elise, sa fille, devient Jennifer ; Anselme, l’ami d’Harpagon devient Aristide le voisin de Sébastien, La flèche, valet de Cléante, cède la place à Joe Billy, meilleur ami de Nicolas ; Frosine l’intrigante devient Hermione, organisatrice de mariage capable d’unir Sarko et Ségo… Confronté au changement d’époque, le rôle de certains personnages comme Hermione  devient imprécis, les positions sont moins affirmées. Aussi, les dialogues sont plus courts chez Eyoum qui écrit avec une économie de mots.

La vie d’aujourd’hui
Tout en rendant hommage à Molière, Jean Eyoum adapte L’avare à la vie d’aujourd’hui (la cassette se transforme en un billet de loto) et souligne l’identité raciale des personnages. Difficile de faire autrement dans cette France hybride. Il écrit en « langage des banlieues », même si ce parler est réservé aux personnages jeunes. Mais l’auteur, étudiant en commerce international, semble s’arrêter en chemin. Des mots soutenus émaillent ici et là dans le langage de ces jeunes, sans que l’on s’y attende. La question du mariage forcé reste au centre du livre, mais ici, il est moins virulent. Sébastien n’ose d’ailleurs pas proposer une riche veuve à son fils mais plutôt une amie d’enfance. La dot étant démodée dans la société occidentale, l’auteur la place dans une famille africaine où elle a encore tout son sens. Pour expliquer qu’Aristide ait perdu sa famille, il tisse son intrigue autour du génocide rwandais.

A cette époque des plans-cul, du mariage gay et des psys, Super cagnotte permet de voir, comme dans un rétroviseur, le chemin parcouru par la langue et la société française. Occasion de constater que le temps passe mais certaines choses demeurent : la nature humaine avec des vices comme l’avarice, l’amour qui survit aux pires catastrophes, la condition des femmes. En septembre 1668, date de la première représentation de L’avare, Elise disait à son fiancé sa crainte d’être délaissée en ces termes : « Valère, le changement de votre cœur, et cette froideur criminelle dont ceux de votre sexe payent le plus souvent les témoignages trop ardents d'une innocente amour ». En 2012, Jennifer dit à son fiancé Pierre : « les mecs sont tous pareils. Tu leur donnes tout, ils tirent un coup et dès qu’ils en ont marre, ils se barrent ». Il n’y a rien de nouveau sous le soleil.

A force de vouloir coller de trop près à L’avare, Eyoum ne s’est pas donné beaucoup de liberté. Son mérite est d’avoir écrit un livre moderne sans trahir l’œuvre de Molière. Le livre veut rendre accessible à la jeunesse contemporaine une historie écrite dans un français ancien.
Stéphanie Dongmo 

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