Avec son
livre Super cagnotte, Jean Eyoum, 21
ans, fait une adaptation libre de L’Avare
en parler-jeune. L’intrigue se passe dans une banlieue de Paris, les
personnages changent de noms mais gardent leurs caractères. Petite virée sur
les sentiers dépoussiérés d’un classique de la littérature française.
Plus que le texte de Super cagnotte, c’est l’audace du projet qui plaît. Un jeune Français
originaire du Cameroun décide un jour qu’il s’ennui pendant les congés de Noel
de relire L’avare, l’œuvre de Molière
qu’il préfère. Ce faisant, il a une idée de génie : et s’il réécrivait ce
classique comme on parle autour de lui, dans sa banlieue de Villeneuve-Saint-Georges
(Val-de-Marne)? Il se lance. En une semaine, la première mouture du projet est
prête. Il la range dans un tiroir et oublie. Six ans plus tard, il ressort le
manuscrit, le retravaille et se lance à la recherche d’un éditeur. Sa rencontre
avec Kirographaires donne Super cagnotte.
Une œuvre pleinement inspirée de L’Avare
de Molière. La lettre change, mais l’esprit demeure.
Les personnages de Super cagnotte ont les mêmes caractères que ceux de Molière mais
changent de noms, parfois de statut. Ainsi, Harpagon l’avare devient Sébastien ;
Elise, sa fille, devient Jennifer ; Anselme, l’ami d’Harpagon devient Aristide
le voisin de Sébastien, La flèche, valet de Cléante, cède la place à Joe Billy,
meilleur ami de Nicolas ; Frosine l’intrigante devient Hermione,
organisatrice de mariage capable d’unir Sarko et Ségo… Confronté au changement
d’époque, le rôle de certains personnages comme Hermione devient imprécis, les positions sont moins
affirmées. Aussi, les dialogues sont plus courts chez Eyoum qui écrit avec une
économie de mots.
La vie d’aujourd’hui
Tout en rendant hommage à Molière, Jean Eyoum adapte
L’avare à la vie d’aujourd’hui (la
cassette se transforme en un billet de loto) et souligne l’identité raciale des
personnages. Difficile de faire autrement dans cette France hybride. Il écrit
en « langage des banlieues », même si ce parler est réservé aux personnages
jeunes. Mais l’auteur, étudiant en commerce international, semble s’arrêter en
chemin. Des mots soutenus émaillent ici et là dans le langage de ces jeunes,
sans que l’on s’y attende. La question du mariage forcé reste au centre du
livre, mais ici, il est moins virulent. Sébastien n’ose d’ailleurs pas proposer
une riche veuve à son fils mais plutôt une amie d’enfance. La dot étant démodée
dans la société occidentale, l’auteur la place dans une famille africaine où
elle a encore tout son sens. Pour expliquer qu’Aristide ait perdu sa famille,
il tisse son intrigue autour du génocide rwandais.
A cette époque des plans-cul, du mariage gay et des psys, Super cagnotte permet de voir, comme dans un rétroviseur, le chemin
parcouru par la langue et la société française. Occasion de constater que le
temps passe mais certaines choses demeurent : la nature humaine avec des
vices comme l’avarice, l’amour qui survit aux pires catastrophes, la condition
des femmes. En septembre 1668, date de la première représentation de L’avare, Elise disait à son fiancé sa
crainte d’être délaissée en ces termes : « Valère, le changement de votre cœur, et cette froideur
criminelle dont ceux de votre sexe payent le plus souvent les témoignages trop
ardents d'une innocente amour ». En 2012, Jennifer dit à son fiancé
Pierre : « les mecs sont tous
pareils. Tu leur donnes tout, ils tirent un coup et dès qu’ils en ont marre,
ils se barrent ». Il n’y a rien de nouveau sous le soleil.
A force de vouloir coller de trop près à L’avare, Eyoum ne s’est pas donné
beaucoup de liberté. Son mérite est d’avoir écrit un livre moderne sans trahir
l’œuvre de Molière. Le livre veut rendre accessible à la jeunesse contemporaine
une historie écrite dans un français ancien.
Stéphanie
Dongmo
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