Dans
son roman « Le rêve de Latricia » (Panafrika/Silex/Nouvelles du
Sud, 2011), le Sénégalais Ben Diogaye Bèye raconte la longue quête identitaire
d’une Afro-Américaine écartelée entre deux civilisations. Une écriture
magnifique desservie par une édition négligente.
Depuis qu’elle est
toute petite, Latricia, une jeune Africaine Américaine, fait un rêve étrange :
une vielle femme africaine lui demande de l’eau, dans une langue qu’elle ne
comprend pas. Puis, se mettant en colère, elle renverse le gobelet d’eau». Ce
rêve que Latricia transpose volontiers sur ses peintures va évoluer au fur et à
mesure de sa rencontre avec l’Afrique, dont le déclencheur sera Mayekoor, un
Sénégalais installé à New York qui va devenir son amant.
« Le
rêve de Latricia » part du postulat selon lequel ni
le temps, ni la distance, ne peuvent séparer un être de ses racines. Latricia a
pourtant tout fait pour oublier sa peau noire, comme en témoignent ses cheveux
souples et ses yeux bleus. Mais peut-on se fuir soi-même ? Ses cauchemars
et son destin l’amènent, presque de force, à faire face à l’essence de son
être, cette part africaine d’elle-même qu’elle traîne comme un boulet et qu’elle
finira par aimer.
L’auteur revisite l’écartèlement
de ces peuples déracinés, traversés par plusieurs cultures, confrontés à l’esclavage
et à la ségrégation ; la blessure restée ouverte au fond des cœurs déchirés
qui produit des êtres hybrides, fragilisés. Edouard Glissant l’a appelé
« créolisation », Léonora Miano l’appelle « habiter la frontière ».
Ce mélange d’identité, cette hybridité culturelle qui peut provoquer une perte
de repères, comme c’est le cas chez Latricia. Sa quête identitaire va la
conduire au Sénégal où elle va renouer avec ses ancêtres un fil que les ans et
la distance n’ont pas pu rompre. Le « Ndeup », une cérémonie d’exorcisme
pratiqué au Sénégal, réussira à réconcilier cette descendante d’esclaves à l’Afrique
mère.
Ben Diogaye est né à
Dakar en 1947. « Le rêve de Latricia » est son premier livre de ce
cinéaste. Un livre qui vaut la peine d’avoir été attendu si longtemps. Sa
quatrième de couverture décrit bien son style : « la prose est élégante, parfois même somptueuse et le propos est
profond qui culmine en une méditation angoissée sur la condition humaine
articulée autour de la problématique de l’identité culturelle ». Mais
cela n’a pas suffi pour faire de ce roman un succès littéraire.
Le succès d’un livre
naît souvent de la rencontre entre un beau texte et un bon éditeur. La seconde
condition a manqué. Le livre est passé inaperçu sur la scène littéraire
continentale, la personnalité de son
auteur ayant aidé à le vendre au Sénégal. Il faut enjamber une quatrième de
couverture touffue, résister à l’invasion des virgules, fermer les yeux sur les
coquilles (trop nombreuses pour être acceptables) pour découvrir la force du
texte de Ben Diogaye Bèye. Un texte magnifique, à lire malgré tout.
Stéphanie
Dongmo
Ben Diogaye Bèye
Le
rêve de Latricia
Ed.
Panafrika/Silex/Nouvelles du Sud
Paris, 2011, 206 pages
18 euros
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