Dans
Femmes de Ségou présenté le 22
février à l’Institut français de Yaoundé,
Eva Doumbia interroge la condition féminine et donne le premier rôle aux
femmes, des ombres dans le roman de Maryse Condé dont la pièce est l’adaptation.
Le contexte est celui d’une Afrique prise au piège entre l’islam, la traite
négrière et la colonisation, avec des conséquences contemporaines.
Eva Doumbia |
Ségou, royaume bambara dans
l’actuel Mali, au 18ème siècle. Guerre, esclavage, et islam
provoquent de profonds bouleversements. Dans cette situation trouble, les
hommes tiennent le premier rôle. Les femmes, fortes ou fragiles, ne sont
évoquées qu’à travers les tribulations masculines. Ce sont ces ombres du tome I
de la saga Ségou (Les murailles de terre, 1984) de l’écrivaine
guadeloupéenne Maryse Condé qu’Eva Doumbia a voulu mettre en lumière dans sa
pièce en construction, pour réhabiliter la parole féminine dans l’histoire de
l’Afrique.
L’histoire se vit à
travers la concession des Traoré, deux générations et quatre personnages
principaux : Sira, la captive peule prise par force par le chef de la
famille et traitée comme une épouse ; Nadié, la concubine que le fils
noble n’épousera jamais parce que de classe sociale inférieure ; Nya, la
bara muso (première épouse) qui se pose en maîtresse de maison incontestée et Nyeli,
sa coépouse mal aimée, méchante et gourmande.
Regard
de féministes
Cette femme qui n’est
qu’évoquée dans le roman de Condé devient ici un personnage central qui ponctue
la pièce de ses cris, qui n’arrivent pourtant pas à libérer sa colère, son désespoir
et toute sa solitude. Un rôle porté avec hauteur par une Clémentine Abena en
grande forme. Mais il y a aussi les petites esclaves dont le bavardage, alors
qu’elles pilent dans un mortier sans beaucoup de naturel, permet de renseigner
sur le contexte de la pièce et de faire avancer la fiction. Bien que très
différentes, ces personnages se ressemblent par une vie de sacrifices et de souffrance.
Les cris de ces femmes de Ségou résonnent à Yaoundé, trois siècles après, avec
beaucoup de justesse. Le regard est celui de féministes (texte et mise en
scène), la condition de la femme n’a pas évoluée en changeant de costume et
d’époque.
Ce sujet épuisé au
théâtre est mis en perspective à travers l’histoire d’un peuple, d’un continent
violé, dépouillé et soumis tour à tour par l’islam, la traite et la
colonisation. Ils vont mettre l’Afrique à genou et provoquer des changements
radicaux dont les ramifications alimentent aujourd’hui encore la crise au Nord
du Mali. Une situation que Doumbia avait déjà dénoncée dans la pièce Guerre de Lars Noren, présenté en
décembre dernier à Bamako.
Cette tranche d’histoire ne s’enferme pas entre les
murailles de terre de la concession des Traoré mais s’élève jusqu’à Tombouctou
et même au-delà de l’océan. De l’impressionnant décor architectural décrit dans
le roman, la metteure en scène qui signe aussi la scénographie a restitué un
pan dans une grande sobriété. Avec un sol de sable qui rappelle le rivage et
les navires qui ont enlevé des fils à des familles. Un déracinement qui fait
qu’aujourd’hui encore, nombre d’Afrodescendants essaient, tant bien que mal, de
reconstruire une identité en miette. Des plaies béantes qui se transmettent de
génération en génération, comme si les chambres noires n’avaient pas disparu
avec la traite négrière.
Moment
de réalité
Sur la scène, les
hommes sont évoqués mais complétement effacés. Seul Tiekoro est présent. Il
n’apparaît que pour briser le cœur de sa compagne (Nadié) ou celui de sa mère
(Nya). La comédienne Salimata Kamate est touchante dans son rôle de mère. Pour
exprimer sa douleur de voir son fils se convertir à l’islam, elle laisse
tomber, dans un cri de désespoir, le pagne noué autour sa poitrine nue en
battant le sol des pieds. Nous plongeant ainsi dans la nostalgie d’une époque
révolue où les femmes africaines, camerounaises notamment, savaient pleurer.
Doumbia introduit un moment
de réalité dans la pièce lorsqu’il est question de la nudité de Nadié et que
les autres comédiens obligent presque Assitan Tangara qui l’incarne, à se débarrasser
de son boubou, en prenant le public à témoin. Cette volonté de faire comprendre
qu’en réalité, la jeune fille à cette époque-là ne porte qu’un cache-sexe peut
déconcentrer le spectateur. Le jeu, subtil, est mis en relief par la lecture et
la narration. Les accents sont différents comme pour souligner l’africanité de
la pièce, mais la prononciation non harmonieuse des noms comme Tomboutou ou
Tiekoro entre les comédiennes ouest-africaines et camerounaises saute à
l’oreille.
N’empêche, la musique
jouée en live par Lamine Soumano et les chœurs chantés en bambara installent
définitivement le spectateur au Mali, dans une ambiance des temps anciens
qu’avait déjà décrite la série Les rois
de Ségou (21 épisodes de 26mn, 2010) de Boubacar Sidibé. Présenté au public
pour la première fois, la pièce tient le spectateur en haleine durant un temps
qui semble très court.
Stéphanie
Dongmo
Femmes de Ségou, d'après Maryse Condé
Adapté
par Fatou Sy Savané
Mis
en scène par Eva Doumbia, assistée de Junior Esseba.
Avec
Salimata Kamate, Assitan Tangara, Hermine Mingèlè, Clémentine Sheen Abena,
Atsama Lafosse, Beh Mpala Becky, Junior Esseba, musique live par Lamine Soumano
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