La série Harraga, brûleurs de frontières, écrite et réalisée
par Serge Alain Noa sur l’immigration illégale, est diffusée depuis mai 2014
sur Tv5 Afrique. Elle dresse le portrait de cinq jeunes Camerounais
désespérés, prêts à tout pour aller tenter leur chance en Europe. Mais le
chemin pour y arriver est long et périlleux.
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Des acteurs de la série Harraga |
L’immigration
clandestine. Le sujet a inspiré nombre de longs métrages en Afrique, au rang
desquels Bako, l’autre rive
de Jacques Champreux (France, 1h50, 1979), Heremakono,
en attendant le bonheur de Abderrahmane Sissako (Mauritanie, 1h30,
2002), Paris à tout prix
de Joséphine Ndagnou (Cameroun, 2h13, 2007), La Pirogue de Moussa Touré (Sénégal, 1h27, 2012). Le
Camerounais Serge Alain Noa nous propose la même histoire dans une enveloppe
différente : une série télévisée qu’il a écrite et réalisée. Harraga, brûleur de frontières (20 épisodes x 26 mn, 2013) est diffusé depuis le 8 mai sur Tv5 Afrique à
19h30, et rediffusé le lendemain à 9h10.
Naître de nouveau
Le
titre, il ne l’a pas cherché bien loin. Les Tunisiens Salouad Benabda et Wissem
El Abdel avaient déjà intitulé leur livre illustré Harraga, les brûleurs de frontières 2011, Encre
d’Orient). Merzak Allouache s’en était rapproché en baptisant son long-métrage Harragas (Algérie, 1h43,
2008). Harraga est un néologisme en arabe qui désigne les personnes qui tentent
de partir en Europe clandestinement. Ils brûlent donc la frontière et l’ordre
établi en même temps que leurs papiers, leurs identités et même leurs vies. Ils
doivent passer par cette petite mort qui efface leur histoire et leur passé
pour naître de nouveau dans un pays et une situation meilleurs.
« Tu restes au pays, tu as une
chance sur dix de rater ta vie ; tu pars, tu as une chance sur dix de mourir », disait déjà un personnage de « La Pirogue ». C’est aussi à
cette conclusion que sont arrivés les cinq personnages principaux de cette
série. Ils sont jeunes (entre 26 et 30 ans), ils ont été scolarisés mais ils
sont pauvres, ou presque. Le scénariste les a savamment placés dans des
situations professionnelles et familiales différentes. Bath (Alain Bomo Bomo)
est diplômé en marketing et communication et son entreprise a fait faillite.
Ingénieur agronome au chômage, Tangui (Axel Abessolo) vit au crochet de sa
grand-mère. Fiancé et bientôt père, le chauffeur de taxi Marco (Gabriel Fomogne)
accuse dix mois d’arriérés de salaire. Tookie (Pierre Bala) est musicien et
n’arrive pas à trouver un producteur. Délaissé par la mère de sa fille pour un
Blanc, Zongo (Henri Owono) vend des livres au poteau.
Les sirènes de l’Europe
Dans
un contexte où le développement se planifie à l’horizon 2035 alors que les
jeunes ont besoin de solutions pour aujourd’hui, comment leur reprocher
d’envier la réussite d’Amsa (Frank Olivier Ndema) qui revient au quartier plein
de fric et de morgue après 8 ans en Europe ? Ce retour sera donc l’élément
déclencheur qui va décider ces garçons plein d’appréhension sur leur avenir à
tenter l’aventure. Plus que la pauvreté, c’est le creusement des inégalités, le
sentiment d’injustice et l’absence de perspective qui les amènent à fantasmer
sur une Europe où tout est possible, pourvu qu’on soit prêt à retrousser ses
manches. D’ailleurs, au fil des premiers épisodes, l’expression « dans ce pays » revient dans
les dialogues comme un refrain, pour souligner le quotidien déprimant des
personnages.
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Serge Alain Noa |
Serge
Alain Noa a conçu sa série en trois saisons. La première énumère les mille et
une raisons qui poussent les jeunes à partir (chômage, corruption, favoritisme,
etc.) La seconde, prévue en 2015, va porter sur le chemin de croix qui mène à
l’Europe, avec les différentes possibilités qui s’offrent aux migrants
clandestins. Une fois la frontière franchie, la troisième et dernière saison
décriera les conditions de vie en Europe où on est très vite rattrapé par la
clandestinité et la difficile intégration. L’affiche de cette série
d’intervention sociale présente, sous un ciel bleu faussement serein, l’ici et
l’ailleurs séparés par des barbelés. Le personnage ayant traversé est écrasé
par la tour Eiffel qui se dresse loin, au-dessus de sa tête.
L’intention
du scénariste est évidente : décourager les jeunes à tenter une aventure aux
risques inconsidérés car l’Europe n’est pas le paradis. Pour leur donner une
raison de continuer à vivre ici, il laisse entrevoir un avenir radieux en
appuyant, avec une emphase frisant la publicité, les faits d’armes de la
Commission nationale anti-corruption (Conac), mise en place au Cameroun en 2007
pour lutter contre la corruption.
Hommage à Charles Nyatte
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Charles Nyatte |
La
distribution de Harraga, brûleurs
de frontières a attiré le gros des acteurs qui occupent la scène ces
dernières années au Cameroun, avec plus ou moins de bonheur : Martin
Poulibé, Deneuve Djobong, Rosalie Essindi, Massan à Biroko, Tony Bath Atangana,
Joseph Mouetcho, Daniel Leuthe, etc. Avec des découvertes qui partent de
derrière la caméra pour se placer devant : Frank Ndema, Alain Biozy,
Nathalie Mbala Mpesse et Avit Nsongan Mandeng, qui assure également le montage
de la série. A noter aussi un passage éclair du très regretté Charles Nyatte
(décédé le 15 novembre 2011 à l’âge de 67 ans, au cours la première semaine du
tournage de la série où il tenait un rôle).
L’épisode
13 lui donne d’ailleurs le meilleur rôle. C’est une séquence du précédent film
de Serge Alain Noa, Le don
involontaire (2007, 56mn) qui met en scène un détourneur de fonds
publics, sa femme et un voleur. Si
elle rend un hommage mérité à un acteur de poids, elle alourdit en revanche le
rythme de la série. Malgré les tentatives louables de raccord, cette séquence
paraît décalée car elle éloigne le téléspectateur de l’intrigue principale
durant une trentaine de minutes, sans interruption.
Harraga, brûleurs de
frontières sera
officiellement présenté au Cameroun en août prochain. Avec l’espoir que ceux
qui attendent le bonheur d’ailleurs se décident à la chercher ici.
Stéphanie Dongmo
Fiche technique
Titre : Harraga, brûleurs de frontières
Type : série Tv
Genre : société
Scénariste / Réalisateur : Serge Alain Noa
Productrice : Elisabeth Kounou
Production : Vynany Sarl avec le soutien du Fonds francophone
Distribution internationale : Côte Ouest
Année : 2013