Le Christ selon
l’Afrique,
le dernier roman de Calixthe Beyala, prend pour prétexte de l’histoire
rocambolesque de Boréale, une jeune fille qui accepte de porter un enfant pour
sa tante, pour parler des religions et des croyances en Afrique.
Calixthe Beyala |
Le
Christ selon l’Afrique : tout un programme. Le corps
de ce livre est une histoire puisée dans une vieille coutume béti, aujourd’hui
en voie de disparition. Boréale, une jeune fille pauvre de 20 ans, boniche le
jour et délurée la nuit, accepte de porter un enfant pour sa riche tante, M’am
Dorota rattrapée par la ménopause. Fortement encouragée par toute sa famille,
elle entretient des relations sexuelles avec son oncle et se retrouve enceinte.
Mais, accident de parcours, Boréale devient une Agatha de plus de l’humanité
adultère et se bat pour garder son enfant.
L’âme de ce livre est
la religion. Ou plutôt, toutes les croyances que les Africains embrassent à
bras le corps, du christianisme à l’égyptologie. Kassalafam, le quartier pauvre
de Douala où vit Boréale, est le lieu d’observation par excellence de ce
melting-pot religieux. Il y a des personnages comme l’apôtre Paul. Des tréfonds
du chômage, il a un jour une illumination qui va le rendre riche. Il créé une
église où il vend toute sorte de sacramentaux avec, cerise sur le gâteau, le
droit de trousser les femmes pour leur transmettre le saint esprit. Il y a
aussi Homotype. Amoureux infidèle de Boréale, il prône le retour à l’Egypte
antique et convoque à volonté Amon Rê et Osiris, des dieux égyptiens qu’il fait
passer avec du chanvre indien. Au centre de ces extrêmes, il y a des gens comme
Boréale qui ne croient ni en Dieu, ni en diable.
L’esprit de ce livre est
la misère ambiante dans cette société africaine contemporaine. Où les riches
écrasent les pauvres, au propre comme au figuré ; où les politiciens
véreux tiennent la chandelle face à une opposition en mal d’inspiration. Mais
la misère ici n’est pas seulement économique, elle est surtout morale et même
spirituelle. C’est cette misère qui amène une mère à mettre en location le
ventre de sa fille pour porter l’enfant destiné à une autre. C’est aussi cette
misère qui conduit les malades de Kassalafam vers l’église plutôt que vers
l’hôpital. C’est encore cette misère qui pousse Ousmane, le collègue boy de
Boréale, à séduire sa patronne blanche, vieille et esseulée. C’est enfin cette
misère qui fait qu’au fin fond du quartier, une femme shooté au câble ferme les
yeux sur ses malheurs pour s’intéresser à la crise de subprimes en occident.
Le roman de Calixthe Beyala
donne de l’Afrique l’image d’une frivole incapable de dire non et qui se
retrouve écartelée entre ses propres croyances, les religions importées et les
nouvelles tendances spirituelles. Entre le catholicisme, les églises de réveil,
l’égyptologie, la mondialisation de la pensée, la démocratie forcée, l’impérialisme
occidental et une violence sourde, l’Afrique semble ne plus savoir où donner de
la tête. Des débats sur la crise en Côte d’Ivoire (2010/2011) et la guerre
civile en Libye (à partir de 2011) surgissent dans l’œuvre. Calixthe Beyala
s’est fortement engagée contre l’ingérence occidentale dans ces deux crises.
Sans succès hélas, et le goût amer laissé par ces échecs sort de la bouche de
ses personnages.
La critique est
particulièrement acerbe envers les religions, et notamment le christianisme. Bien
que s’appuyant sur des faits réels, cette critique est assez caricaturale. Il
en va de la manière dont l’auteure décrit l’Africain qui, au lieu de travailler
à améliorer ses conditions de vie s’adonne plutôt à la prière. Un peuple
abrutit et sans valeur, perméable à souhait, prêt à toujours plier l’échine, incapable
de penser plus loin qu’au pain quotidien. Un peuple con en un mot. Rien ni
personne ne trouve grâce à ses yeux. Ni l’Afrique dont elle est originaire, ni
l’Occident où elle vit depuis ses 17 ans, en France notamment. Elle trouve les
mots justes pour tourner la religion en dérision et ironiser du Christ. Au
passage, elle destine quelques piques acerbes à Françoise Foning, l’ex-mairesse
de Douala Vème décédée en janvier 2015.
Ce roman est, au final,
un cri de colère sans subtilité. Envers la léthargie des Africains et la
prédation des occidentaux. Le style est léger et grave à la fois, parfois
ironique sur des sujets sensibles. La romancière utilise des néologismes et
tort la langue française pour exprimer des réalités méconnues de l’Académie
française. Les psaumes, les prières et les chansons qui émaillent ici et là
donnent du souffle au roman, qui n’en devient pas pour autant musical. Au-delà
de la caricature, Calixthe Beyala, avec une vingtaine de romans à son actif,
continue à affiner son écriture inclassable qui donne à la langue française une
nouvelle saveur.
Stéphanie
Dongmo
Calixthe Beyala
Le
Christ selon l’Afrique
Albin Michel, Paris,
2014
265 pages
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