jeudi 16 juin 2011

Cardinal Christian Tumi : «Si j'étais Biya, je ne serai pas candidat»


Vous venez de publier votre deuxième ouvrage dans lequel vous désapprouvez la manière dont l'Opération Epervier est menée et proposez de faire faire aux coupables des travaux d'intérêt public. Pouvez-vous préciser votre pensée ?

Je n'ai pas traiter de la manière dont l'Opération Epervier est traitée. Ce que je désapprouve, c'est la durée que les personnes accusées font en prison. C'est une injustice, une torture morale de garder quelqu'un pendant tant d'années en prison sans qu'il soit jugé. Par ailleurs, s'ils sont coupables, qu'ils fassent la prison et que l'argent détourné soit récupéré.

Vous dites que cet argent devrait être restitué par le coupable ou par ses héritiers. Le fils devrait-il payer la faute du père ?

Oui, s'il a profité de cet argent.

La mise en application de l'article 66 de la Constitution pourrait-elle limiter les détournements de fonds?

Oui, parce qu'on saura avec quoi quelqu'un est arrivé au pouvoir et avec quoi il en est sorti. Connaissant son salaire, on saura s'il a détourné ou non. Si quelqu'un veut être riche, qu'il ne devienne pas fonctionnaire.

Beaucoup de personnes accusées de détournement sont des produits de l'Eglise catholique. Est-ce là un échec du catholicisme au Cameroun?

Oui, c'est en quelque sorte un échec pour le catholicisme. Mais les personnes accusées sont des chrétiens, pas seulement catholiques, mais aussi protestants. Il ne suffit pas d'être chrétien, encore faut-il vivre sa foi. Ce qui n'est pas toujours le cas.

On vous a récemment vu au palais de justice aux côtés de Jean-Marie Atangana Mebara. Quels sont vos rapports?

J'ai commencé à connaître Jean quand il était secrétaire général de la présidence de la République. L'archidiocèse de Douala avait fait une demande pour avoir sa radio. Trois ans après, on n'avait pas toujours eu d'autorisation, alors que d'autres personnes, qui avait fait la demande au même moment que nous, l'avaient déjà. Nous avons donc commencé à émettre sans autorisation. J'ai écrit au président de la République pour lui présenter le problème et il a envoyé Jean à Mvolyé me dire qu'il avait donné son accord. J'ai continué à le côtoyer. Alors, étant de passage à Yaoundé et sachant qu'il devait être au tribunal, je ne pouvais pas ne pas aller le voir. Les gens en ont fait des gorges chaudes.

Justement, comment avez-vous vécu la polémique qui a suivi cette visite?

Je n'ai pas pris ça au sérieux. Les gens ont dit n'importe quoi, que c'est lui qui avait fait créer Radio Véritas. Les journalistes doivent souvent s'informer à la bonne source.

Votre présence au tribunal n'était-elle pas, quand même, une manière pour vous d'influencer la justice?

Qui suis-je pour influencer la justice ? Et puis, les juges que j'ai vus m'ont donné l'impression d'être sérieux, ils prenaient le temps pour écouter.

Quel regard portez-vous sur la justice camerounaise?

Elle est corrompue, je l'ai dit dans mon livre. Il y a peu de gens qui font vraiment confiance à cette justice.

Dans cet ouvrage, vous parlez également de démocratie. Quel bilan faites-vous de sa pratique au Cameroun ?

La démocratie est un grand mot. Son bilan est à voir dans l'organisation des élections. Et je n'ai jamais vu des élections organisées avec transparence au Cameroun. Même du temps du parti unique, il y avait des fraudes.

Les partis politiques de l'opposition peuvent-ils impulser cette démocratie ?

Non, ils n'ont pas le courage de s'affirmer.

Et la société civile ?

Elle est faible.

Vous fustigez également dans votre bouquin l'assimilation du Cameroun anglophone. Y a-t-il un problème anglophone au Cameroun?

Oui, le problème anglophone est bien réel. Il y a des anglophones qui regrettent la réunification des deux Cameroun, car ils constatent qu'ils sont marginalisés, ils sont traités comme des citoyens de 2ème degré. Dans l'administration publique, ils sont des adjoints ; c'est rare qu'ils occupent des ministères importants comme les Finances; même le secrétariat général de la présidence ne leur a jamais été ouvert.

Je vais vous raconter une anecdote. Un jour, alors que je me trouve à Rome, je suis invité, avec d'autres évêques d'Afrique francophone, à l'ambassade de France auprès du Saint-Siège. Un fonctionnaire de l'ambassade m'a alors approché et m'a demandé de quelle nationalité je suis. Quand je lui ai répondu que je suis Camerounais, il m'a dit: «Nous sommes contents que vous soyez en train de réussir l'assimilation culturelle des anglophones». J'ai alors su quelle était la politique de la France au Cameroun.

Dans votre livre, vous conseillez aussi la création d'une commission électorale indépendante. Que reprochez-vous à Elecam ?

Elecam, ça veut dire quoi ?

Elections cameroon...

Ca ne veut rien dire. Cameroon elections, peut-être. J'ai remarqué que à Elecam, il y a deux responsables : un directeur des élections et un président. Je ne sais pas qui fait quoi. Une commission électorale indépendante est meilleure, elle a tous les pouvoirs pour gérer les élections, de l'organisation à la proclamation des résultats.

Pensez-vous que la présidentielle annoncée cette année puisse engendrer ce Cameroun nouveau dont vous rêvez?

Je ne crois pas, parce que ce que je propose est spirituel. Or, les politiciens ne s'occupent pas de cela. Cette proposition est un appel que le pape Jean-Paul II avait déjà lancé en 1995 dans Ecclesia in Africa.

Pouvez-vous dresser le portrait robot du candidat idéaà cette élection?

Le candidat idéal, c'est quelqu'un qui aime son pays, qu'il soit chrétien ou pas. Il devra aussi avoir des vertus, c'est-à-dire être bon, éviter de faire le mal, savoir partager et servir.

Paul Biya correspond-il à ce profil?

Il faut distinguer la personne et le chef de l'Etat. Comme personne, je n'ai pas de jugement. Mais comme chef de l'Etat, c'est difficile de le juger parce qu'il ne gouverne pas seul, même s'il assume la responsabilité de ce qui est fait. Personne ne peut savoir ce qui se passe dans le cœur de l'autre.

Quels sont vos rapports avec le chef de l'Etat?

Elles sont bonnes. On s'est rencontré en mai à Rome, lors de la béatification du pape Jean-Paul II. C'était six ans après qu'on s'était rencontré à ses obsèques, toujours à Rome.

S'il vous était donné de le rencontrer aujourd'hui, à quelques mois de la présidentielle, que lui diriez-vous?

On parlerait sûrement de politique et je lui dirais de réfléchir avant d'accepter de se représenter aux élections comme candidat. A notre âge [Christian Tumi est âgé de 81 ans, Paul Biya de 78 ans, ndlr], ça pose un problème d'assumer certaines charges.

Voulez-vous dire qu'il est trop âgé pour se représenter?

Les gens sont différents, il y a des présidents de la République plus âgés que lui. En tout cas, moi, si j'étais à sa place, je ne me présenterais pas. En 2009, j'ai demandé à prendre ma retraite et certaines personnes me disaient que je pouvais travailler jusqu'à 90 ans. Mais je ne voulais pas prendre ma retraite quand je ne pourrais plus rien faire, et c'est ce qui m'a permis d'écrire ce livre.

Christian Tumi, un homme politique?

Je ne suis pas un homme politique. Si je n'étais pas prêtre, je serais peut-être un homme politique.

Ou président de la République ?

Qui sait ?

Propos recueillis par Stéphanie Dongmo

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