lundi 23 juillet 2012

Djo Tunda wa Munga : « Un film n’est pas gratuit »


Le réalisateur congolais du film Viva Riva ! a rencontré la presse culturelle le 14 juillet 2012 à l’Institut Goethe de Yaoundé. Dans une discussion conviviale, il a partagé son idée du cinéma et les clés qui font le succès de son premier long-métrage fiction. 

Djo Munga. Photo Claire Diao
 Sur l’écriture du scénario
J’ai définit mon travail autrement. Pour faire Viva Riva!, je me suis demandé quelle serait la bonne histoire pour créer un lien avec un public. Et donc, j'ai décidé de parler de Kinshasa. C'est ma ville natale et je l'aime bien. J'ai commencé à approcher le film de genre, dans le sens où on sait qui est le héros et quel est le problème. Le polar a la force d'être simple, mais aussi de parler d'une réalité sociale derrière. Tout cela n'empêche pas de faire un travail personnel, de parler de gens qui nous sont proches, qu'on connaît.
Il fallait aussi être réaliste. Nos pays ont un niveau d'éducation très bas, ce qui ne veut pas dire que les gens ne sont pas intelligents. A la frontière du Congo avec l'Angolais, il y a eu une pénurie de carburant. Le carburant est un élément qui permet à toute la société d'être ensemble parce que tout le monde a le même problème. Cela m’a permis de parler aussi du racisme interafricain, de la manière dont l’Afrique ne fonctionne pas bien. 

Pour faire un film, on commence par le scénario. Avant de commencer à écrire, vous conceptualisez les scènes et définissez quels types de cinéma vous allez faire... Je me suis dit qu'il faut écrire quelque chose qui soit efficace, structurellement bien construite. Je me suis mis dans ce créneau-là et, Dieu merci, ça a fonctionné. Le travail du scénariste est de construire une histoire qui va pouvoir toucher les gens et parler à la fois de nos problèmes sociaux. Il n'y a pas de magie, il y a le travail et tout au bout, vous avez l'émotion. Je suis passé par toutes ces étapes avant d’écrire Viva Riva ! Il faut faire bouger les imaginaires, il faut trouver de nouveaux moyens de reconquête de notre public.

Processus de fabrication
J'ai mis sept ans pour faire ce film entre le moment où il a été écrit et le moment où il a été produit. Je crois plutôt à des démarches longues, à des démarches de manière générale qui aboutissent à un résultat qui est le film que vous voyez. Pour le casting, j’ai mis en place une démarche qui a abouti au film que je voulais.

Ce n'est pas une critique mais j'ai travaillé sur le film Lumumba de Raoul Peck qui est un très chouette réalisateur, comme 1er assistant sur la partie bruxelloise. J'ai vu Lumumba joué par Eriq Ebouaney, j'ai vu Kassavubu joué par un Togolais, j'ai vu le chef de la sécurité joué par un Sénégalais. Tous ces gens sont de très bons acteurs individuellement, mais ils ont tous des accents et des expressions corporelles différents qui font que par rapport au film, ce n'était pas cohérent. Je peux comprendre qu'au niveau de la production, on se dise qu'on va prendre des acteurs connus qui jouent bien. Mais par rapport à la réalité politique du Congo qu'on veut décrire, je me suis dit que ce serait incohérent. 

A Kinshasa et au Congo, il y a beaucoup de bons acteurs. Mais sur le plan technique, parce qu'il n'y a pas de salle de cinéma, ils manquent de professionnalisme, ils n'ont pas tourné suffisamment de films. Ils sont de bons artistes dans ce qu'ils font mais pour l'objet du film, ils ne remplissent pas les critères. C'est ce qui fait que parfois vous regardez un film et vous avez l'impression qu’un acteur joue mal, parce que le cadre dans lequel on l’a a mis ne correspond pas à ses qualités. Et donc, il faut construire un cadre sur lequel on va prendre des comédiens locaux et les faire travailler pour que leurs qualités intrinsèques soient mises en valeur sur une production de film.
  
Une scène du film       

Le casting
Avant de faire ça, j'ai d'abord engagé une directrice de casting. Une personne qui n’avait jamais mis les pieds en Afrique mais qui a beaucoup de métier. Elle est arrivée dans un milieu qu'elle ne connaissait pas, elle a regardé les gens et a senti ceux qui ont des qualités intrinsèques. Adèle Bruchert est une Française qui travaille avec ce réalisateur autrichien, Haneke. Elle a fait deux mois au Congo, elle a vu environ 200 personnes et m'a proposé une liste de 20 comédiens qu'elle pensait être les mieux. 

Au niveau local, ça a créé la méritocratie, les gens étaient plus stimulés. Ces 20, je les ai mis en atelier de deux mois la première année pour travailler leur image. Après, je les ai renvoyés chez eux. Et l’année suivante, on a refait un autre atelier de deux mois. A la fin, on a regardé les qualités de chacun et on s'est dit : tel devrait jouer tel rôle et donc, je leur ai donné le scénario. Quand les gens font deux mois d'atelier et après deux mois de répétition, sur le tournage, ils sont mûrs au personnage. Ils l'ont tellement adhéré que ça vient tout seul. Après ça, tourner devient quelque chose de facile. 

Il n'est pas tant de dire je sélectionne des gens, mais qu'est-ce qu'on construit pour que des gens arrivent au résultat qu'on attend. Dans le dispositif que j'ai mis en place, j'ai évité beaucoup de problèmes : ceux qui se croyaient très fort ont été recalés, tout le monde était un peu équivalent. Ce qui est complexe c'est d'harmoniser les compétences de chacun, tous ces comédiens ont de la force. Un film n'est pas gratuit. Après sept ans à travailler sur un film, il y a très peu de hasard.

La situation en RDC
Viva Riva ! est le premier film de fiction congolais depuis La vie est belle [Dieudonné Ngangura Mweze et Benoît Lamy, 1987] C’est le premier film en lingala de notre histoire, au 21ème siècle ! Quand on tourne en sa langue, on est beaucoup plus fort que quand on tourne dans une langue étrangère. 

En 1997, je vais à Ouagadougou pour mon premier et dernier Fespaco. Je rencontre des Burkinabés qui disent : « Le Congo est formidable, vous avez des diamants ». Et je me dis que ces gens ne savent pas ce qui nous est arrivé en 30 ans. La misère dans laquelle on est tombé, je ne pourrais même pas vous la décrire. Ici, vous parlez tous français, vous avez un discours très élaboré. Dans notre pays, on n'a pas ça. On n'a pas eu le même type de colonie. 

La Belgique a bloqué l'éducation pendant longtemps. En partant, ils ont laissé des institutions vides. Tout a explosé, on n'a plus d'institution, plus d'école, le système bancaire est revenu il y a cinq ans. On est dans une société qui est déstructurée, anarchique. L’Etat n’a plus de main mise sur l’économie. La ruine n'est même pas mesurable, aujourd'hui on recommence à zéro. On ne peut compter que sur nous-même pour raconter des films qui nous plaisent. 

Aujourd'hui à Kinshasa, les gens ordinaires sont arrivés à une maturité, de dire qu'on a tellement souffert que toutes les initiatives sont à encourager. Les gens nous ont ouvert les portes de leurs maisons, on n'a pas payé de bakchich, on pouvait tourner dans la rue. On a tourné le film en 37 jours. Dans ce film, j'ai essayé d'être plus proche de la réalité.


Sexe et violence 

Est-ce qu'il n'y a pas confusion dans la perception de notre travail? Je ne fais pas des films pour que mes parents les voient, ils ne m'intéressent pas comme audience. Mon métier est de dire : je fais des films pour que les gens les regardent à 22h30 et pas à 19 heures. Ça veut dire aussi qu'il faut que je sois clair avec mon travail. On a un pays très violent, on a eu la guerre civile, on a un niveau de viol très important, une sexualité démesurée, mais ça ne peut pas être montré parce qu'on a des tabous.

Je pense que l'Afrique ne fonctionne pas très bien dans nos familles, dans l'éducation. Tout ça, il faut qu'on en parle. Je pense que c'est à 22h30 qu'il faut le faire mais on en parle quand même. En focalisant sur ce qui est important de faire aujourd'hui, c'est là que le succès vient. Le succès est venu du fait qu'on se dit qu'on a un film qui parle de nous, qui n'est pas politique dans le sens institutionnel du terme.

L’échec des cinéastes africains
Les cinéastes africains n’ont pas réussi à conquérir le public africain. Voir un film africain paraît un peu comme un devoir. Le public boude, peu de gens connaissent les cinéastes africains. D'un côté on a un cinéma d'auteur un peu impétueux qui ne parle à personne, et de l'autre, on a un cinéma populaire dans ce qu'il y a de plus bas. Dans ma génération, avec toutes les qualités des films de mes prédécesseurs, surtout dans le cinéma francophone, une chose est certaine c'est qu'il y a un désamour avec le public. Ils n'ont pas réussi à placer le cinéma au cœur de la société. Or, il n'y a pas d'art plus populaire que le cinéma.

Les Nigérians ont réussi à faire ça. Ils ont réussi la conquête du public, ce que tous les autres Africains n’ont pu faire pendant 40 ans. Ils ont une approche industrielle du cinéma, ils construisent des histoires qui parlent aux gens. Ces histoires sont bâties sur une construction narrative qui fait qu'il y a un héros, un méchant et une quête, plutôt qu'une approche nombriliste où je parle de ma grand-mère. Le modèle nigérian a réussi à mettre notre culture au centre de notre imaginaire.

Cinéma d’auteur vs cinéma industriel
Dans nos pays francophones, la France prône le cinéma d’auteur qui est basé sur l’aide de l’Etat, parce que ce qu’est un peu leur modèle d’exportation. Ce sont les gouvernements étrangers qui ont dû payer pour notre culture, et les gens paient pour ce qu’ils veulent voir. Mais le cinéma d’auteur ne correspond ni à nos attentes, ni à nos besoins, ni à ce vers quoi on veut se tourner. Le cinéma d’auteur ne peut pas marcher, c’est un cinéma basé sur une longue assistance de l’auteur, et après le film roule pour un moment plus ou moins long. 
Moi, j’ai pris une approche de comprendre une industrie, de comprendre les mécanismes qui font qu'il y a un public, un marché, une demande, des productions régulières. Ça m’a permis de redéfinir mon travail. Pour en revenir au cinéma nigérian, il a, avec beaucoup de défauts, une forme d'efficacité minimale. Il applique les règles de base de la dramaturgie qui fait que les gens peuvent suivre une histoire. Et c'est un des gros problèmes dans le cinéma d'auteur parce qu'on veut toujours réinventer la roue, on ne créé pas le plus petit dénominateur commun pour que les gens puissent suivre une histoire et aimer ou pas.

Je pense que ce qui a tué le cinéma africain c'est la politique et le contrôle de l'imaginaire. Je pense que le cinéma-calebasse n'est pas bien parce que ça a enfermé l’Afrique dans une identité très réduite par rapport aux possibilités qu'on peut avoir. Du fait de ne pas occuper une place, on a un cinéma qui ne représente pas grand-chose et qui a un cachet par lequel on doit rentrer dans l'exportation internationale. Maintenant, ce cinéma existe. Rien n'empêche de créer la compétition et je l'ai fait. Il faut avoir une locomotive, mais il faut être sûr que tous les wagons qui suivent la locomotive ne sont pas les mêmes. A un moment, il faut limiter ce que l'étranger peut nous apporter. Il faut qu'on mette de l'ordre dans notre société nous-mêmes. 


Une scène du film

Film éducatif ?
Pourquoi un film doit être éducatif? Il n'y a pas de raison. Si on parle d'une fiction, on parle d'une œuvre d'art. Il faut qu'on sorte absolument de ce schéma de dire qu'il faut faire des films éducatifs. Qui demande à voir des films éducatifs? Quand vous regardez un film, quand vous lisez un livre, vous vous faites plaisir. 

Un film de genre ou de divertissement, le polar notamment, permet quand même de mettre derrière des éléments par rapport à la société. Et donc, vous parlez discrètement de la pauvreté, de la violence, de la famille. Mais l'éducatif, il faut mettre de côté, un film ne sert pas à ça. Même si, dans mon autre travail, je produits des documentaires, je fais des films sociaux, mais c'est un département dont le label est dédié, la fiction n'a rien à voir avec tout ça.

Quelque part, le fait d'aller demander de l'argent aux ministères extérieurs a créé des rapports biaisés avec l'œuvre d'art qui font qu'on nous suggère des images qui ne sont peut-être pas celles que le public a envie de voir. Mes prédécesseurs dans le cinéma francophone n'ont pas pu s'installer dans le cœur des populations et au cœur des imaginaires, ce que les Nigérians ont réussi à faire, même si leurs films sont de bien moindre qualité. Donc, je pense qu'il faut abandonner les films éducatifs avant toute chose.

La critique, maillon faible ?
Les faiblesses du cinéma africain viennent du fait qu'on n'a pas de critique. Ce qui veut dire qu'un critique de cinéma doit être aussi outillé qu'un cinéaste pour pouvoir parler du film et ça, c'est un vrai problème. Si on n'a pas de critique de cinéma, cela veut dire que le public est plus pauvre au niveau de la perception intellectuelle du film et si le public est plus pauvre, cela veut dire que les cinéastes sont aussi plus pauvres. 

Avant de faire des films aujourd’hui, j'ai vu beaucoup de films et j'ai lu beaucoup sur les films. Qui a la capacité de transformer ce qui est vu et conçu par des cinéastes, de les mettre sous une forme papier suffisamment concise pour qu'un grand nombre de gens le comprennent ? Ce sont les critiques. Et pour pouvoir le faire, vous devez pourvoir comprendre toute la logique qui entre dans le cinéma. On ne fait de films que parce qu'il y a des critiques et dans l'institution du cinéma, je pense que c'est quelque chose qui manque. C'est une question qu'il faut commencer à penser à résoudre.
Propos recueillis par Stéphanie Dongmo

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