Le
réalisateur congolais du film Viva
Riva ! a rencontré la presse culturelle le 14 juillet 2012 à l’Institut
Goethe de Yaoundé. Dans une discussion conviviale, il a partagé son idée du
cinéma et les clés qui font le succès de son premier long-métrage fiction.
Djo Munga. Photo Claire Diao |
Sur
l’écriture du scénario
J’ai définit mon travail autrement. Pour faire Viva Riva!, je me suis demandé quelle
serait la bonne histoire pour créer un lien avec un public. Et donc, j'ai
décidé de parler de Kinshasa. C'est ma ville natale et je l'aime bien. J'ai
commencé à approcher le film de genre, dans le sens où on sait qui est le héros
et quel est le problème. Le polar a la force d'être simple, mais aussi de
parler d'une réalité sociale derrière. Tout cela n'empêche pas de faire un
travail personnel, de parler de gens qui nous sont proches, qu'on connaît.
Il fallait aussi être réaliste. Nos pays ont un niveau
d'éducation très bas, ce qui ne veut pas dire que les gens ne sont pas
intelligents. A la frontière du Congo avec l'Angolais, il y a eu une pénurie de
carburant. Le carburant est un élément qui permet à toute la société d'être
ensemble parce que tout le monde a le même problème. Cela m’a permis de parler
aussi du racisme interafricain, de la manière dont l’Afrique ne fonctionne pas
bien.
Pour faire un film, on commence par le scénario. Avant
de commencer à écrire, vous conceptualisez les scènes et définissez quels types
de cinéma vous allez faire... Je me suis dit qu'il faut écrire quelque chose
qui soit efficace, structurellement bien construite. Je me suis mis dans ce
créneau-là et, Dieu merci, ça a fonctionné. Le travail du scénariste est de construire
une histoire qui va pouvoir toucher les gens et parler à la fois de nos
problèmes sociaux. Il n'y a pas de magie, il y a le travail et tout au bout, vous avez
l'émotion. Je suis passé par toutes ces étapes avant d’écrire Viva Riva ! Il faut faire bouger les
imaginaires, il faut trouver de nouveaux moyens de reconquête de notre public.
Processus
de fabrication
J'ai mis sept ans pour faire ce film entre le moment
où il a été écrit et le moment où il a été produit. Je crois plutôt à des
démarches longues, à des démarches de manière générale qui aboutissent à un
résultat qui est le film que vous voyez. Pour le casting, j’ai mis en place une
démarche qui a abouti au film que je voulais.
Ce n'est pas une critique mais j'ai travaillé sur le
film Lumumba de Raoul Peck qui est un
très chouette réalisateur, comme 1er assistant sur la partie
bruxelloise. J'ai vu Lumumba joué par Eriq Ebouaney, j'ai vu Kassavubu joué par
un Togolais, j'ai vu le chef de la sécurité joué par un Sénégalais. Tous ces
gens sont de très bons acteurs individuellement, mais ils ont tous des accents
et des expressions corporelles différents qui font que par rapport au film, ce
n'était pas cohérent. Je peux comprendre qu'au niveau de la production, on se
dise qu'on va prendre des acteurs connus qui jouent bien. Mais par rapport à la
réalité politique du Congo qu'on veut décrire, je me suis dit que ce serait
incohérent.
A Kinshasa et au Congo, il y a beaucoup de bons
acteurs. Mais sur le plan technique, parce qu'il n'y a pas de salle de cinéma,
ils manquent de professionnalisme, ils n'ont pas tourné suffisamment de films.
Ils sont de bons artistes dans ce qu'ils font mais pour l'objet du film, ils ne
remplissent pas les critères. C'est ce qui fait que parfois vous regardez un
film et vous avez l'impression qu’un acteur joue mal, parce que le cadre dans
lequel on l’a a mis ne correspond pas à ses qualités. Et donc, il faut
construire un cadre sur lequel on va prendre des comédiens locaux et les faire
travailler pour que leurs qualités intrinsèques soient mises en valeur sur une
production de film.
Une scène du film |
Le
casting
Avant de faire ça, j'ai d'abord engagé une directrice
de casting. Une personne qui n’avait jamais mis les pieds en Afrique mais qui a
beaucoup de métier. Elle est arrivée dans un milieu qu'elle ne connaissait pas,
elle a regardé les gens et a senti ceux qui ont des qualités intrinsèques. Adèle
Bruchert est une Française qui travaille avec ce réalisateur autrichien,
Haneke. Elle a fait deux mois au Congo, elle a vu environ 200 personnes et m'a
proposé une liste de 20 comédiens qu'elle pensait être les mieux.
Au niveau local, ça a créé la méritocratie, les gens
étaient plus stimulés. Ces 20, je les ai mis en atelier de deux mois la
première année pour travailler leur image. Après, je les ai renvoyés chez eux.
Et l’année suivante, on a refait un autre atelier de deux mois. A la fin, on a
regardé les qualités de chacun et on s'est dit : tel devrait jouer tel rôle et
donc, je leur ai donné le scénario. Quand les gens font deux mois d'atelier et
après deux mois de répétition, sur le tournage, ils sont mûrs au personnage.
Ils l'ont tellement adhéré que ça vient tout seul. Après ça, tourner devient
quelque chose de facile.
Il n'est pas tant de dire je sélectionne des gens,
mais qu'est-ce qu'on construit pour que des gens arrivent au résultat qu'on
attend. Dans le dispositif que j'ai mis en place, j'ai évité beaucoup de
problèmes : ceux qui se croyaient très fort ont été recalés, tout le monde
était un peu équivalent. Ce qui est complexe c'est d'harmoniser les compétences
de chacun, tous ces comédiens ont de la force. Un film n'est pas gratuit. Après sept ans à travailler
sur un film, il y a très peu de hasard.
La
situation en RDC
Viva
Riva ! est le premier
film de fiction congolais depuis La
vie est belle [Dieudonné Ngangura Mweze et Benoît Lamy, 1987] C’est le
premier film en lingala de notre histoire, au 21ème siècle ! Quand on
tourne en sa langue, on est beaucoup plus fort que quand on tourne dans une
langue étrangère.
En 1997, je vais à Ouagadougou pour mon premier et dernier
Fespaco. Je rencontre des Burkinabés qui disent : « Le Congo est
formidable, vous avez des diamants ». Et je me dis que ces gens ne savent
pas ce qui nous est arrivé en 30 ans. La misère dans laquelle on est tombé, je
ne pourrais même pas vous la décrire. Ici, vous parlez tous français, vous avez
un discours très élaboré. Dans notre pays, on n'a pas ça. On n'a pas eu le même
type de colonie.
La Belgique a bloqué l'éducation pendant longtemps. En
partant, ils ont laissé des institutions vides. Tout a explosé, on n'a plus
d'institution, plus d'école, le système bancaire est revenu il y a cinq ans. On
est dans une société qui est déstructurée, anarchique. L’Etat n’a plus de main
mise sur l’économie. La ruine n'est même pas mesurable, aujourd'hui on
recommence à zéro. On ne peut compter que sur nous-même pour raconter des films
qui nous plaisent.
Aujourd'hui à Kinshasa, les gens ordinaires sont
arrivés à une maturité, de dire qu'on a tellement souffert que toutes les
initiatives sont à encourager. Les gens nous ont ouvert les portes de leurs
maisons, on n'a pas payé de bakchich, on pouvait tourner dans la rue. On a
tourné le film en 37 jours. Dans ce film, j'ai essayé d'être plus proche de la
réalité.
Sexe
et violence
Est-ce qu'il n'y a pas confusion dans la perception de
notre travail? Je ne fais pas des films pour que mes parents les voient, ils ne
m'intéressent pas comme audience. Mon métier est de dire : je fais des films
pour que les gens les regardent à 22h30 et pas à 19 heures. Ça veut dire aussi
qu'il faut que je sois clair avec mon travail. On a un pays très violent, on a
eu la guerre civile, on a un niveau de viol très important, une sexualité
démesurée, mais ça ne peut pas être montré parce qu'on a des tabous.
Je pense que l'Afrique ne fonctionne pas très bien
dans nos familles, dans l'éducation. Tout ça, il faut qu'on en parle. Je pense
que c'est à 22h30 qu'il faut le faire mais on en parle quand même. En
focalisant sur ce qui est important de faire aujourd'hui, c'est là que le
succès vient. Le succès est venu du fait qu'on se dit qu'on a un film qui parle
de nous, qui n'est pas politique dans le sens institutionnel du terme.
L’échec
des cinéastes africains
Les cinéastes africains n’ont pas réussi à conquérir
le public africain. Voir un film africain paraît un peu comme un devoir. Le
public boude, peu de gens connaissent les cinéastes africains. D'un côté on a
un cinéma d'auteur un peu impétueux qui ne parle à personne, et de l'autre, on
a un cinéma populaire dans ce qu'il y a de plus bas. Dans ma génération, avec toutes les qualités des films
de mes prédécesseurs, surtout dans le cinéma francophone, une chose est
certaine c'est qu'il y a un désamour avec le public. Ils n'ont pas réussi à
placer le cinéma au cœur de la société. Or, il n'y a pas d'art plus populaire
que le cinéma.
Les Nigérians ont réussi à faire ça. Ils ont réussi la
conquête du public, ce que tous les autres Africains n’ont pu faire pendant 40
ans. Ils ont une approche industrielle du cinéma, ils construisent des histoires
qui parlent aux gens. Ces histoires sont bâties sur une construction narrative
qui fait qu'il y a un héros, un méchant et une quête, plutôt qu'une approche
nombriliste où je parle de ma grand-mère. Le modèle nigérian a réussi à mettre notre culture au
centre de notre imaginaire.
Cinéma
d’auteur vs cinéma industriel
Dans nos pays francophones, la France prône le cinéma
d’auteur qui est basé sur l’aide de l’Etat, parce que ce qu’est un peu leur
modèle d’exportation. Ce sont les gouvernements étrangers qui ont dû payer pour
notre culture, et les gens paient pour ce qu’ils veulent voir. Mais le cinéma
d’auteur ne correspond ni à nos attentes, ni à nos besoins, ni à ce vers quoi
on veut se tourner. Le cinéma d’auteur ne peut pas marcher, c’est un cinéma
basé sur une longue assistance de l’auteur, et après le film roule pour un
moment plus ou moins long.
Moi, j’ai pris une approche de comprendre une
industrie, de comprendre les mécanismes qui font qu'il y a un public, un
marché, une demande, des productions régulières. Ça m’a permis de redéfinir mon
travail. Pour en revenir au cinéma nigérian, il a, avec beaucoup de défauts,
une forme d'efficacité minimale. Il applique les règles de base de la
dramaturgie qui fait que les gens peuvent suivre une histoire. Et c'est un des
gros problèmes dans le cinéma d'auteur parce qu'on veut toujours réinventer la
roue, on ne créé pas le plus petit dénominateur commun pour que les gens
puissent suivre une histoire et aimer ou pas.
Je pense que ce qui a tué le cinéma africain c'est la
politique et le contrôle de l'imaginaire. Je pense que le cinéma-calebasse
n'est pas bien parce que ça a enfermé l’Afrique dans une identité très réduite
par rapport aux possibilités qu'on peut avoir. Du fait de ne pas occuper une
place, on a un cinéma qui ne représente pas grand-chose et qui a un cachet par
lequel on doit rentrer dans l'exportation internationale. Maintenant, ce cinéma
existe. Rien n'empêche de créer la compétition et je l'ai fait. Il faut avoir
une locomotive, mais il faut être sûr que tous les wagons qui suivent la
locomotive ne sont pas les mêmes. A un moment, il faut limiter ce que
l'étranger peut nous apporter. Il faut qu'on mette de l'ordre dans notre
société nous-mêmes.
Une scène du film |
Film
éducatif ?
Pourquoi un film doit être éducatif? Il n'y a pas de
raison. Si on parle d'une fiction, on parle d'une œuvre d'art. Il faut qu'on
sorte absolument de ce schéma de dire qu'il faut faire des films éducatifs. Qui
demande à voir des films éducatifs? Quand vous regardez un film, quand vous
lisez un livre, vous vous faites plaisir.
Un film de genre ou de divertissement, le polar
notamment, permet quand même de mettre derrière des éléments par rapport à la
société. Et donc, vous parlez discrètement de la pauvreté, de la violence, de
la famille. Mais l'éducatif, il faut mettre de côté, un film ne sert pas à ça.
Même si, dans mon autre travail, je produits des documentaires, je fais des
films sociaux, mais c'est un département dont le label est dédié, la fiction
n'a rien à voir avec tout ça.
Quelque part, le fait d'aller demander de l'argent aux
ministères extérieurs a créé des rapports biaisés avec l'œuvre d'art qui font
qu'on nous suggère des images qui ne sont peut-être pas celles que le public a
envie de voir. Mes prédécesseurs dans le cinéma francophone n'ont pas pu
s'installer dans le cœur des populations et au cœur des imaginaires, ce que les
Nigérians ont réussi à faire, même si leurs films sont de bien moindre qualité.
Donc, je pense qu'il faut abandonner les films éducatifs avant toute chose.
La
critique, maillon faible ?
Les faiblesses du cinéma africain viennent du fait
qu'on n'a pas de critique. Ce qui veut dire qu'un critique de cinéma doit être
aussi outillé qu'un cinéaste pour pouvoir parler du film et ça, c'est un vrai
problème. Si on n'a pas de critique de cinéma, cela veut dire que le public est
plus pauvre au niveau de la perception intellectuelle du film et si le public
est plus pauvre, cela veut dire que les cinéastes sont aussi plus pauvres.
Avant de faire des films aujourd’hui, j'ai vu beaucoup
de films et j'ai lu beaucoup sur les films. Qui a la capacité de transformer ce
qui est vu et conçu par des cinéastes, de les mettre sous une forme papier
suffisamment concise pour qu'un grand nombre de gens le comprennent ? Ce
sont les critiques. Et pour pouvoir le faire, vous devez pourvoir comprendre
toute la logique qui entre dans le cinéma. On ne fait de films que parce qu'il
y a des critiques et dans l'institution du cinéma, je pense que c'est quelque
chose qui manque. C'est une question qu'il faut commencer à penser à résoudre.
Propos
recueillis par Stéphanie Dongmo
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