Journaliste
et critique cinématographique de nationalité camerounaise, Jean-Marie Mollo
Olinga vient de publier Eléments
d’initiation à la critique cinématographique aux éditions l’Harmattan
Cameroun. Cet essai pédagogique destiné aux jeunes critiques africains vient combler
un vide certain.
Jean-Marie Mollo Olinga |
Les écrivains du cinéma sont
unanimes sur la nécessité d’une critique forte en Afrique. Olivier Barlet (Les cinémas d’Afrique des années 2000, L’Harmattan,
mai 2012) la pose en urgence, en affirmant qu’elle est essentielle pour déconstruire
les représentations imaginaires héritées du passé colonial. La critique,
décolonisée et décomplexée, est donc un « accompagnateur d’œuvre »,
selon l’expression de Hassouna Mansouri (L’image
confisquée, Depuis le Sud, 2010). Mais elle ne pourra véritablement remplir
son rôle auprès des cinématographiques fragiles d’Afrique que si elle est
crédible. C’est pour en finir avec la médiocrité et la superficialité des
critiques que Jean-Marie Mollo Olinga publie ce manuel d’introduction des jeunes journalistes au métier de
critique cinématographique.
Mais à la périphérie dominée du
monde, comment être un critique compétent dans un contexte où il existe très
peu de salle de cinéma, où l’accès aux films africains est difficile, où les
ouvrages sur le cinéma sont rarement accessibles, où il y a plus de navets que
de bons films, où les patrons de presse ont une faible idée de l’exercice
critique, où le métier même ne nourrit pas son homme ? Nullement découragé
par ces handicaps, Mollo Olinga soutient qu’« il est temps pour les critiques
d’Afrique d’affirmer une critique africaine, non qu’elle serait la seule
authentique et légitime, mais parce qu’elle est généralement sans visibilité ».
Cette activité ne doit pas être limitée au seul film (critique de cinéma), mais
élargie à la culture générale (critique cinématographique).
Naissance
du cinéma en Afrique
Avant d’arriver
à sa leçon de critique, l’auteur procède méthodiquement par la définition des
termes et la « petite histoire du cinéma ». Il jette un pavé dans la
marre en affirmant que le cinéma n’est pas né en Afrique en 1955 avec Afrique-sur-Seine de Paulin Soumanou
Vieyra et Mamadou Sarr. « Paulin Soumanou Vieyra a manqué d’objectivité
(…) Certes, il fut le premier Africain à être inscrit au prestigieux Institut des
hautes études cinématographiques de Paris (IDHEC), mais il n’est ni le premier
cinéaste africain, ni même le premier cinéaste d’Afrique noire ». Pourtant,
Soumanou Vieyra reconnaît lui-même qu’avant son film, d’autres Africains ont réalisé,
avec les moyens du bord, un certain nombre de documentaires (In Ed Présence
Africaine, Paris, 1963, cité par Afrique
50 : singularités d’un cinéma pluriel, sous la direction de Catherine
Ruelle, L’Harmattan, 2005).
Quel est donc le premier film africain? Mollo Olinga reste prudent lorsqu’il avance que, historiquement, c’est Mouramani du Guinéen Mamadou Touré, réalisé en 1953 en France. Il précise qu’en 1951, Albert Mongita avait déjà réalisé le court métrage La leçon du cinéma au Congo Belge avec l’aide des missionnaires et laisse finalement la porte ouverte à d’autres films d’Africains qu’on pourrait retrouver dans l’histoire en remontant jusqu’en 1897.
La
critique n’est pas neutre
Ce « rectificatif »
fait, Mollo Olinga explique l’art, les mouvements, les genres, le langage
cinématographiques, bref, des clés pour « cerner la
structuration d’un film, sa dramaturgie, en comprendre le scénario ». Pour
lui, tout comme il n’y a pas d’école de critique, il n’y a pas non plus de
règles pour écrire une critique. C’est à chacun de baliser sa voie par la
pratique, en se servant de sa culture cinématographique et de sa culture
générale. Le critique africain, qui est un spécialiste de la lecture et de
l’analyse des films, écrit avec sa sensibilité africaine. Il doit juger un film
selon le contexte, les normes culturelles et le public. Mollo Olinga lui confie
aussi la responsabilité de défendre l’intégrité du cinéma de nombreux téléfilms,
vidéos et reportages que l’on qualifie trop facilement de film.
La critique cinématographique, qui
bénéficie de la liberté d’expression, n’est pas neutre. Car critiquer un film
au demeurant, c’est donner son point de vue. Il ne s’agit pas de copier la
simplicité de facebook en collant sur des films des mentions
« j’aime » ou « je n’aime plus ». Il s’agit de faire « une
critique sans complaisance mais qui n’épingle pas sans raisons » (Olivier Barlet, Cinémas africains d’aujourd’hui,
Khartala, 2010). Une critique argumentée donc. Eléments d’initiation à la critique cinématographique donne en
exemple neuf critiques écrits par Mollo Olinga, mais aussi par Baba Diop et
Olivier Barlet.
Ce premier livre de Jean-Marie
Mollo Olinga, fruit de dix années de recherche, est desservi par une mise en
page sans relief. Qui ne diminue pas sa qualité intrinsèque : rassembler en
un seul document plusieurs essais souvent rébarbatifs sur l’aspect technique
des films. L’auteur met cependant en garde : ce livre n’est pas une fin
mais un appel à davantage de travail : « Je ne veux pas que les jeunes qui ont
fini de lire mon livre aient la prétention de se proclamer critiques. Il faut
s’auto-investir, que ces jeunes-là aillent fouiller dans les livres spécialisés
sur le son, la caméra, l’écriture du scénario, l’histoire du cinéma, les mouvements
cinématographiques… C’est au bout de cela qu’ils auront peut-être la prétention
de se désigner critiques cinématographiques ». Le chemin à parcourir est encore
long.
Pour Thierno Ibrahima Dia, critique cinématographique,
enseignant de cinéma et facilitateur du site www.africine.org qui signe la
préface de ce manuel, « un tel ouvrage relève d’une absolue nécessité et
d’une urgence impérieuse ». Il vient combler un vide certain en donnant
des outils pour écrire une bonne critique cinématographique. Si son auteur le
destine aux jeunes critiques, ce livre intéresse cependant tous les
intervenants de la chaîne de fabrication d’un film. Mollo Olinga forme, tout en
réussissant l’un des exercices les plus difficiles de l’écriture : faire
court. Le succès que l’on souhaite à ce livre réussira peut-être à gommer chez
son auteur l’amertume des longues années durant lesquels il a bavé à chercher
un éditeur.
Stéphanie
Dongmo
Jean-Marie Mollo Olinga
Eléments d’initiation à la
critique cinématographique
Préface de Thierno Ibrahima Dia
L’Harmattan Cameroun
Septembre 2012
227 pages
Prix : 24 euros
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