samedi 15 septembre 2012

Jean-Marie Mollo Olinga : Le critique cinématographique doit être cultivé



Journaliste et critique cinématographique, il vient de publier « Eléments d’initiation à la critique cinématographique » aux éditions L’Harmattan Cameroun. Il parle des problèmes de la jeune critique africaine à qui cet essai pédagogique est destiné. 


Jean-Marie Mollo Olinga
 Qu’est-ce que votre livre apporte de nouveau ?
Ce que mon livre apporte de nouveau c’est une espèce de structuration d’un article de critique de film. Je crois que ça n’existait pas avant. Mon livre se propose d’aider les jeunes qui veulent se lancer dans ce métier, parce que c’en est un, de les accompagner en balisant le terrain, en leur montrant les écueils à éviter et en leur disant ce qu’il faut faire pour une critique bien faite. Je ne veux pas que les jeunes qui ont fini de lire mon livre aient la prétention de se proclamer critiques, c’est plutôt un appel à davantage de travail. Il faut s’auto-investir parce qu’on n’enseigne pas la critique dans les écoles comme on enseigne le journalisme. C’est donc pour que ces jeunes-là aillent fouiller dans les livres spécialisés sur le son, la caméra, l’écriture du scénario, l’histoire du cinéma, les mouvements cinématographiques… Il faut qu’ils travaillent davantage. C’est au bout de cela qu’ils auront peut-être la prétention de se désigner critiques cinématographiques. C’est un livre qui donne des outils pour être un critique compétent. 

Vous dites que la critique de cinéma doit prendre en compte l’aspect culturel des films…
Je veux qu’en faisant la critique, les jeunes essaient de se décomplexer parce que, jusque-là, nous avons une critique imposée par les Occidentaux qui regardaient nos films après avoir chaussé leurs lunettes. Mais aujourd’hui, il faut réparer cela. Ils ont essayé de nous faire croire que le jeu doit être naturel. Je dis non ! Le jeu au cinéma est culturel. Sinon, on aurait la même réaction devant les mêmes évènements. Un exemple : dans le film « Une vie brisée » de Jude Ntsimenkou, une femme perd son fils unique envoyé en Europe pour y poursuivre ses études. Quand on lui annonce la mort par assassinat de cet enfant, elle se roule par terre et  crie sa douleur. Les Occidentaux diraient que c’est un jeu théâtral mais moi, je dis non. C’est ainsi qu’on pleure un fils en Afrique, c’est culturel. Les Occidentaux, face aux mêmes évènements, de tamponneraient tout simplement le visage et parleraient de dignité. On fait le cinéma comme on vit. Donc, il faut faire prévaloir la culture, en évitant le piège du repli identitaire. 

Publier un livre sur la critique, c’est encourager les jeunes à se lancer dans la critique cinématographique. Peut-on vivre de ce métier en Afrique ?
Absolument, j’encourage les jeunes à faire de la critique. Maintenant, peut-on vivre de la critique en Afrique ? Oui si le politique le veut, parce que la critique est une matière qu’on peut enseigner dans des universités. D’ailleurs, il y a une université à Paris qui a un module critique cinématographique. On peut introduire le même module ici pour les étudiants en art et même à l’école de journalisme. On pourrait intéresser les jeunes journalistes à la critique cinématographique, ça viendrait combler un vide. Le cinéma est d’autant plus aimé qu’il est bien critiqué. Et c’est le travail du critique d’apporter l’éclairage sur les ombres qui se seraient glissées dans la compréhension d’une œuvre filmique par le spectateur.


La 1ère de couverture du livre
 C’est un livre qui peut intéresser les décideurs parce qu’il y a des postes à créer dans les universités, au niveau même des écoles primaires. Le cinéma doit être enseigné à la base, il faut une formation à ceux qui pourraient dispenser ce genre d’enseignements. Je crois qu’il y a là un filon à exploiter pour les décideurs. Je n’ai pas arrêté de le seriner : le cinéma chez nous, c’est-à-dire au Cameroun et en Afrique, est caractérisé par les financements extérieurs. On peut arrêter avec ça tout simplement en instituant des journées de cinéma dans nos écoles primaires une fois par semaine, que les enfants sortent de leurs classes pour aller regarder des films faits par des Camerounais moyennant par exemple 100 francs. Nous avons des écoles où il y a 5000 élèves. Cela donnerait la possibilité au cinéaste de faire des films ne serait-ce que tous les six mois et de donner du travail à tous les corps de métiers qui rentrent dans la fabrication d’une œuvre filmique.

Certains cinéastes africains comme Djo Munga, l’auteur de « Viva Riva !», estiment qu’il n’y a pas de critique de cinéma en Afrique en ce sens que les gens qui écrivent sur les films ne sont pas outillés pour le faire. Que leur répondez-vous ?
Je leur demande de lire simplement mon livre. Je ne sais pas sur quoi il se base pour affirmer cela. Les gens qui écrivent sur les films ne sont pas formés mais est-ce qu’il y a des écoles de cinéma ? Je crois que Djo Munga devrait plutôt prendre un abonnement au site de la Fédération africaine de la critique cinématographique [www.africiné.org] pour voir les œuvres qui sont critiquées. Je crois qu’il y a des critique de cinéma, il y a des gens que quand ils écrivent, ils savent de quoi ils parlent, où ils vont.

Quels sont les problèmes de la jeune critique africaine ?
C’est d’abord la documentation. Il y a un problème d’ouvrages didactiques qu’on ne trouve pas aisément. Deuxièmement, il y a le problème d’accès aux films qui est réel, parce qu’on doit pouvoir accéder aux films en quantité et en qualité. Malheureusement, ce n’est pas toujours le cas. Le critique n’a pas besoin d’être cinéaste mais d’avoir une culture cinématographique et une culture générale. 

Quelle est la différence entre la critique de cinéma et la critique cinématographique ?
La critique de cinéma est un peu réductrice alors que la critique cinématographique comprend aussi bien l’histoire, la philosophie, l’anthropologie… En fait, la critique cinématographique est beaucoup plus englobante que la critique de cinéma. D’ailleurs, j’y ai consacré un paragraphe dans mon livre.
Propos recueillis par Stéphanie Dongmo

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