Dans
« Le temps des mutations », Séraphin Assonguo Sonwah raconte des
jeunes qui mènent la révolution à leur manière pour sortir leur village de la
misère et le mettre sur le chemin du développement.
Les espoirs de sa famille sur ses
épaules, Olivier Noutsa, 20 ans, quitte son lointain pays bamikélé pour
s’aventurer dans la luxuriante forêt du sud à la recherche d’un emploi sur le
pipe-line Tchad-Cameroun. Il échoue à Malaba où il est adopté par une famille pauvre
qui l’inscrit néanmoins au lycée pour qu’il reprenne la Terminale. « Le
temps des mutations » est la chronique des jours sans joie de ce village,
que Séraphin Assonguo Sonwah décrit avec la précision d’un chirurgien.
L’histoire de Malaba est une
litanie de maux : il n’y a pas d’électricité ni de centre de santé ;
la route dégradée passe mais le développement ne suit pas ; l’alcool tue
les habitants à petit feu; les jeunes abandonnent l’école à la saison des
pluies pour s’improviser… pousseurs de véhicules embourbés. L’auteur met en
cause des dirigeants jouisseurs, l’élite fanfaronne qui préfère donner du
poisson aux villageois au lieu de leur apprendre à pêcher. Le clergé non plus n’est
pas épargné, lui dont les extravagances hypocrites appauvrit davantage le
village.
Pour montrer le ridicule de la
situation, le roman raconte comment, après des sermons sur la boisson, Fada [le
père] Jean-Pierre lui-même mange et boit. Extrait : « Il réclama un verre
de vin de palme. Zogo lui en servit un. Quand le verre fut plein, il s’exclama
: « Ca va ! Ca va ! Oh la la ! J’en voulais juste un peu. » Au deuxième verre,
il déclara : « Je ne voulais plus boire, mais comme tu insistes je bois. » Mais
chaque fois que son verre était vide, il n’empêchait pas le catéchiste de le
servir à nouveau ».
Dans cette vie immobile et statique,
où on répète les mêmes gestes quotidiens, « l’habitude attend le réveil de
la conscience ». Ce réveil viendra sous les traits d’Obama, homonyme du célèbre auteur
américain de « Yes we can ». Etudiant venu de la capitale, il
explique aux jeunes du village que ce n’est pas Dieu qui les a abandonnés mais
l’Etat et que tous les rêves sont possibles pour inverser le cours des choses. Nourris
de ces enseignements, Olivier Noutsa, bien de déconvenues après, va comprendre
que la révolution n’est pas l’apanage du Maghreb et inciter les jeunes à organiser
la révolution de Malaba. Cette initiative va payer, puisqu’elle réussira à
mettre le village pauvre sur le chemin de la modernité.
Yes
they can
« Le temps de mutations »
est aussi une ode à l’unité nationale. Il arrive à point nommé au moment où la
question du tribalisme est en débat dans les médias au Cameroun. Cela à la
suite d’une lettre de Mgr Tonyè Bakot, l’archevêque de Yaoundé, au doyen de la
Faculté des sciences sociales et de gestion de l’Université catholique
d’Afrique centrale, sur le pourcentage des « ressortissants de l’Ouest »
inscrits dans cet établissement. L’auteur, Séraphin Assonguo Sonwah, pose le
problème du tribalisme pour enfin le dépasser.
Pour opérer cette mutation, il
s’attaque aux préjugés comme s’il découvrait la plaie pour l’examiner. Des
clichés qui fondent le tribalisme et qui peuvent être contradictoires : un
ressortissant du sud (pour emprunter les mots de l’archevêque) dira à un
ressortissant de l’ouest : « Vous avez des routes et vous travaillez beaucoup
», mais aussi «Le Bamiléké ne dort jamais. Et quand tu traites une affaire avec
lui, il cherche toujours à te rouler ». Fascination et répulsion. Les pygmées
ne sont pas mieux lotis ici, ces personnes dont la majorité ne connaît que la
définition apprise à l’école primaire : « des gens de petite taille qui vivent
de la chasse et de la cueillette ».
En réponse, Séraphin Assonguo
Sonwah explique que « personne n’est supérieur à l’autre. Chaque personne a
quelque chose à enseigner à l’autre (…) nous sommes les fils d’une même nation
et nous devons nous donner la main pour l’intérêt de notre pays ». Ultime
argument, il fait dire au catéchiste du village : « le royaume de Dieu n’a pas
de tribu. Tout le monde est fils de Dieu ».
Chargé d’études assistant au
ministère des Enseignements secondaires, Assonguo Sonwah est avant tout
pédagogue. Il fait l’éloge de l’école : « Quand vous envoyez un enfant à
l’école, c’est de l’argent que vous gardez dans une banque ». Mais surtout de
l’éducation de la jeune fille. La mise en garde d’une mère à sa fille
l’illustre : « Ne te laisse pas emporter par les plaisirs de la vie. Les
garçons de ton âge ne t’aideront qu’à te perdre. Méfie-toi surtout de ceux qui
te diront « Je t’aime. » Ma fille, aie peur du mot aimer que tu entendras à
tout bout de chemin. L’homme de ta vie t’attend quelque part. Dieu te le fera
découvrir quand tu seras prête. La seule voie que tu devras suivre à présent
est celle de l’école ». Combien de jeunes filles se sont mordu les doigts de ne
pas avoir écouté de si sages conseils ?
Un
vrai régal
Ce roman décrit avec précision
les personnages, les attitudes. Extrait : «Je n’avais jamais vu un homme aussi
concentré devant un plat (…) Chaque fois qu’il broyait un os, il levait la
tête, la penchait d’un côté, fermait les yeux et se concentrait sur l’action
qu’il accomplissait. D’un coup de langue aussi rapide qu’un essuie-glace de
Mercedes, il balayait de temps en temps ses lèvres pour ôter les miettes de
nourriture qui y étaient restées (…) Quand il avala la dernière bouchée, il
précipita gloutonnement dans son ventre un gobelet d’eau comme s’il éteignait
un incendie. Ensuite, il rota plusieurs fois avant de s’adosser sur son
fauteuil ».
Séraphin Assonguo Sonwah couche
sur du papier les souvenirs de son enfance et de ses séjours à Makouré, Bipindi et Ntui (où
il a été enseignant de français). Il plonge le lecteur dans des
situations comiques. C’est le cas des passagers d’un car de transport amenés à
pousser le véhicule dans la gadoue en prenant bien soin de mettre la calle à
chaque avancée. C’est aussi le cas de ces gens qui frottent le savon sur leur
chevelure et, une fois au marigot, utilise la mousse pour se laver tout le
corps, par soucis d’économie. Un vrai régal. L’auteur a opté pour des phrases
courtes qui facilitent la lecture et imprime une impression d’urgence au
lecteur. Urgence du développement, mais surtout urgence du changement des
mentalités.
Stéphanie
Dongmo
Séraphin
Assonguo Sonwah
Le
temps des mutations
L’Harmattan
Paris, 2010
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