dimanche 9 septembre 2012

Roman : La liberté se conquiert



Dans « Le temps des mutations », Séraphin Assonguo Sonwah raconte des jeunes qui mènent la révolution à leur manière pour sortir leur village de la misère et le mettre sur le chemin du développement.

Les espoirs de sa famille sur ses épaules, Olivier Noutsa, 20 ans, quitte son lointain pays bamikélé pour s’aventurer dans la luxuriante forêt du sud à la recherche d’un emploi sur le pipe-line Tchad-Cameroun. Il échoue à Malaba où il est adopté par une famille pauvre qui l’inscrit néanmoins au lycée pour qu’il reprenne la Terminale. « Le temps des mutations » est la chronique des jours sans joie de ce village, que Séraphin Assonguo Sonwah décrit avec la précision d’un chirurgien. 

L’histoire de Malaba est une litanie de maux : il n’y a pas d’électricité ni de centre de santé ; la route dégradée passe mais le développement ne suit pas ; l’alcool tue les habitants à petit feu; les jeunes abandonnent l’école à la saison des pluies pour s’improviser… pousseurs de véhicules embourbés. L’auteur met en cause des dirigeants jouisseurs, l’élite fanfaronne qui préfère donner du poisson aux villageois au lieu de leur apprendre à pêcher. Le clergé non plus n’est pas épargné, lui dont les extravagances hypocrites appauvrit davantage le village. 

Pour montrer le ridicule de la situation, le roman raconte comment, après des sermons sur la boisson, Fada [le père] Jean-Pierre lui-même mange et boit. Extrait : « Il réclama un verre de vin de palme. Zogo lui en servit un. Quand le verre fut plein, il s’exclama : « Ca va ! Ca va ! Oh la la ! J’en voulais juste un peu. » Au deuxième verre, il déclara : « Je ne voulais plus boire, mais comme tu insistes je bois. » Mais chaque fois que son verre était vide, il n’empêchait pas le catéchiste de le servir à nouveau ». 

Dans cette vie immobile et statique, où on répète les mêmes gestes quotidiens, « l’habitude attend le réveil de la conscience ». Ce réveil viendra sous les traits d’Obama, homonyme du célèbre auteur américain de « Yes we can ». Etudiant venu de la capitale, il explique aux jeunes du village que ce n’est pas Dieu qui les a abandonnés mais l’Etat et que tous les rêves sont possibles pour inverser le cours des choses. Nourris de ces enseignements, Olivier Noutsa, bien de déconvenues après, va comprendre que la révolution n’est pas l’apanage du Maghreb et inciter les jeunes à organiser la révolution de Malaba. Cette initiative va payer, puisqu’elle réussira à mettre le village pauvre sur le chemin de la modernité. 

Yes they can
« Le temps de mutations » est aussi une ode à l’unité nationale. Il arrive à point nommé au moment où la question du tribalisme est en débat dans les médias au Cameroun. Cela à la suite d’une lettre de Mgr Tonyè Bakot, l’archevêque de Yaoundé, au doyen de la Faculté des sciences sociales et de gestion de l’Université catholique d’Afrique centrale, sur le pourcentage des « ressortissants de l’Ouest » inscrits dans cet établissement. L’auteur, Séraphin Assonguo Sonwah, pose le problème du tribalisme pour enfin le dépasser.

Pour opérer cette mutation, il s’attaque aux préjugés comme s’il découvrait la plaie pour l’examiner. Des clichés qui fondent le tribalisme et qui peuvent être contradictoires : un ressortissant du sud (pour emprunter les mots de l’archevêque) dira à un ressortissant de l’ouest : « Vous avez des routes et vous travaillez beaucoup », mais aussi «Le Bamiléké ne dort jamais. Et quand tu traites une affaire avec lui, il cherche toujours à te rouler ». Fascination et répulsion. Les pygmées ne sont pas mieux lotis ici, ces personnes dont la majorité ne connaît que la définition apprise à l’école primaire : « des gens de petite taille qui vivent de la chasse et de la cueillette ». 

En réponse, Séraphin Assonguo Sonwah explique que « personne n’est supérieur à l’autre. Chaque personne a quelque chose à enseigner à l’autre (…) nous sommes les fils d’une même nation et nous devons nous donner la main pour l’intérêt de notre pays ». Ultime argument, il fait dire au catéchiste du village : « le royaume de Dieu n’a pas de tribu. Tout le monde est fils de Dieu ».

Chargé d’études assistant au ministère des Enseignements secondaires, Assonguo Sonwah est avant tout pédagogue. Il fait l’éloge de l’école : « Quand vous envoyez un enfant à l’école, c’est de l’argent que vous gardez dans une banque ». Mais surtout de l’éducation de la jeune fille. La mise en garde d’une mère à sa fille l’illustre : « Ne te laisse pas emporter par les plaisirs de la vie. Les garçons de ton âge ne t’aideront qu’à te perdre. Méfie-toi surtout de ceux qui te diront « Je t’aime. » Ma fille, aie peur du mot aimer que tu entendras à tout bout de chemin. L’homme de ta vie t’attend quelque part. Dieu te le fera découvrir quand tu seras prête. La seule voie que tu devras suivre à présent est celle de l’école ». Combien de jeunes filles se sont mordu les doigts de ne pas avoir écouté de si sages conseils ?

Un vrai régal
Ce roman décrit avec précision les personnages, les attitudes. Extrait : «Je n’avais jamais vu un homme aussi concentré devant un plat (…) Chaque fois qu’il broyait un os, il levait la tête, la penchait d’un côté, fermait les yeux et se concentrait sur l’action qu’il accomplissait. D’un coup de langue aussi rapide qu’un essuie-glace de Mercedes, il balayait de temps en temps ses lèvres pour ôter les miettes de nourriture qui y étaient restées (…) Quand il avala la dernière bouchée, il précipita gloutonnement dans son ventre un gobelet d’eau comme s’il éteignait un incendie. Ensuite, il rota plusieurs fois avant de s’adosser sur son fauteuil ».

Séraphin Assonguo Sonwah couche sur du papier les souvenirs de son enfance et de ses séjours à Makouré, Bipindi et Ntui (où il a été enseignant de français). Il plonge le lecteur dans des situations comiques. C’est le cas des passagers d’un car de transport amenés à pousser le véhicule dans la gadoue en prenant bien soin de mettre la calle à chaque avancée. C’est aussi le cas de ces gens qui frottent le savon sur leur chevelure et, une fois au marigot, utilise la mousse pour se laver tout le corps, par soucis d’économie. Un vrai régal. L’auteur a opté pour des phrases courtes qui facilitent la lecture et imprime une impression d’urgence au lecteur. Urgence du développement, mais surtout urgence du changement des mentalités. 
Stéphanie Dongmo 


Séraphin Assonguo Sonwah
Le temps des mutations
L’Harmattan
Paris, 2010

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