Habiter la frontière de Léonora Miano a paru le 1er
novembre chez L’Arche. C’est un recueil de conférences dans lequel l’écrivaine qui
se définit comme une « subsaharienne occidentalisée » part de sa propre
expérience pour parler de l’identité des Afrodescendants et de la France noire
d’aujourd’hui. Elle invite à lire les auteurs
subsahariens selon leur esthétique et non selon la couleur de leur peau. Article paru sur Africultures.com.
Il arrive un moment où les
écrivains ressentent le besoin de remonter le cours de leur vie pour se
raconter, partager leurs fêlures et leurs obsessions, comme dans une thérapie
de groupe. A 75 ans, Maryse Condé vient de publier sa biographie (La vie sans fards, JC Lattès). A 39 ans,
Léonora Miano lâche quelques confessions. Rien de bien croustillant. Mais des
explications à son écriture, des justifications de ses combats actuels. Jamais
l’écrivaine camerounaise naturalisée française ne s’est laissé approcher
d’aussi près dans ses précédents ouvrages : six romans, deux recueils de nouvelles,
un texte théâtral.
Habiter
la frontière est un recueil de six conférences données entre
2009 et 2011 dans trois universités américaines, mais aussi au Danemark, au
Brésil et en France. Léonora Miano y écrit le blues, invite à habiter la
frontière, dit comment lire les écrivains subsahariens, confie les noires
réalités de la France et présente les perspectives des Afrodescendants. Parce
que le travail de l’artiste est le fruit d’une histoire personnelle, elle
explique son intérêt pour les questions liées à l’identité des Subsahariens,
mais aussi des Afrodescendants. Notamment la rencontre avec deux livres qui
vont bouleverser sa vie d’adolescente : Cahier d’un retour au pays natal d’Aimé Césaire et La prochaine fois, le feu de James
Baldwin. Elle vit alors dans sa chair les souffrances des Caribéens et
Afro-américains et se sent proche de leur hybridité culturelle. Au point
d’écrire : « je suis bel et bien devenue
noire en plongeant dans les textes des auteurs afrodescendants ».
Lire
les auteurs subsahariens
Invitée à l’université de
Michigan aux Etats-Unis en octobre 2010 pour donner une conférence sur le thème
« L’état de la littérature africaine », elle exhorte les Occidentaux
à cesser de noyer les identités derrière la couleur de la peau pour regarder
l’Afrique comme ce qu’elle est : un continent constitué de peuples divers
aux cultures variées. Elle réclame, pour elle et pour les écrivains
subsahariens de sa génération, d’être lu d’une manière qui prenne en compte son esthétique, hors des grilles
africaines. Car « la plante ne se
réduit pas à ses racines, mais ces dernières peuvent être remportées,
s’épanouir dans un nouveau sol ».
Léonora Miano consacre beaucoup
de pages pour parler de la France noire et décrit une situation peu
reluisante : « Etre Noir en
France aujourd’hui, c’est avant tout être dans une situation d’impouvoir. C’est
ne pas maîtriser sa propre image, puisqu’elle est fabriquée par d’autres (…)
Etre Noir en France et parler des Noirs, c’est constituer une menace (…) Etre
Noir en France c’est se voir refuser de s’approprier ses grandes figures ».
A la France qui se plaît à penser qu’elle est un pays de Blancs, Miano dit qu’elle
est hybride, ayant été transformée au contact des autres peuples, même si elle
les a dominés. Habiter la frontière pour ce pays serait de mettre en relation
ces deux parts de lui-même, ses enfants Blancs et Noirs. L’écrivaine se
revendique une identité frontalière, du fait de sa multi-appartenance : « je suis, depuis toujours, une
Afro-occidentale parfaitement assumée, refusant de choisir entre ma part
africaine et ma part occidentale ».
Les problématiques de ce recueil se
retrouvent, pour la plupart, dans Blues
pour Elise, Tels des astres éteints et
Afropean soul, à plus ou moins faible
dose. Ici, elles sont énoncées de manière plus approfondie qui permet de mieux
comprendre l’univers esthétique et les enjeux du combat que Léonora Miano mène depuis
2010 à travers l’association Mahogany, dont l’objectif est de permettre le
dialogue entre Subsahariens et Afrodescendants. Pour qu’enfin, l’Afrique se
regarde avec amour et tende la main à ses enfants perdus.
Stéphanie
Dongmo
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