Plusieurs dizaines de jeunes, plus vidéastes
que cinéastes et plus amateurs que professionnels, filment sans formation et
produisent des œuvres saluées localement mais très peu connues à l’étranger. Les
difficultés sont prononcées, les professionnels désarmés, l’Etat essaie d’y
trouver des solutions. L’espoir est permis.
Vu de l’étranger, le cinéma tchadien est porté par deux figures
majeures : Mahamat Saleh Haroun, icône mondiale du cinéma africain et Issa
Serge Coelo qui, en plus d’être cinéaste, dirige l’unique salle du pays. Certains se
souviennent encore d’Edouard Sailly, premier cinéaste tchadien dont le film Le troisième jour (1966, 15mn,
35mm, noir/blanc) a été primé au Festival africain et malgache de
Saint-Cast, en 1966. Vu de
plus près, il existe plusieurs dizaines de réalisateurs qui se lancent dans le
cinéma, avec des moyens du bord. Mal connu et peu vendu à l’étranger, le cinéma
tchadien cherche encore ses marques.
En avril 2014, Mariam (87’,
2012, Tchad), long-métrage réalisé par Moussa Tidjani et Oumar Moussa Abakar, a
reçu le premier prix du Festival international du cinéma indépendant de
Bafoussam (Ficib) au Cameroun, malgré d’importantes faiblesses techniques et
esthétiques. Cette distinction, somme toute modeste, a fait la Une des médias
tchadiens et suscité l’engouement général des plus hautes autorités du pays.
La mobilisation qui s’est spontanément faite autour de ce prix témoigne
de l’intérêt que porte aujourd’hui le pays tout entier au cinéma. Depuis 2006
que Daratt de Mahamat Saleh Haroun a reçu le Prix spécial
du jury à la Mostra de Venise, le 7ème art est un vecteur de
visibilité pour le Tchad. Il a contribué à faire oublier l’image de pays de
guerre que le Tchad trimbale depuis la chute de François Tombalbaye, son
premier président au début des années 70. Une image qui s’éclairci un peu plus
à chaque distinction. Le Prix du jury consacré à Un homme qui crie du même réalisateur, en 2010 au festival de
Cannes, a été une consécration.
Cette distinction a non seulement amené l’Etat à s’intéresser au cinéma,
mais elle a aussi été un puissant coup de fouet pour beaucoup de Tchadiens qui
se sont alors lancés dans le cinéma indépendant comme on se jette à l’eau. Avec
pour seul bagage leur envie de filmer et l’espoir, avoué ou non, d’être un jour
célébré à leur tour. Chacun de ces jeunes loups aux dents longues porte plusieurs casquettes : scénariste,
acteur, réalisateur, cadreur, monteur, etc.
Des projets, ils en ont plein la tête et cherchent frénétiquement des
moyens de les réaliser. Leurs productions ne bénéficient pas d’une audience à
l’échelle internationale mais au niveau local, la Télévision nationale leur
ouvre une tribune pour véhiculer leurs productions
Qui est cinéaste et qui ne l’est pas ?
Cyril Danina |
Avec 15 ans de carrière derrière lui, Cyril Danina, formé en réalisation
à la Fémis de Paris en 1999 et par ailleurs Secrétaire général Afrique centrale
de la Fédération panafricaine des cinéastes (Fepaci), fait office de pont entre
cette nouvelle génération et les aînés que sont Mahamat Saleh Haroun et Issa
Serge Coelo. Deux cinéastes qu’il a d’ailleurs accompagnés comme assistant-réalisateur
respectivement sur Abouna (2002, 84’) et N’Djaména
city (2008, 90’).
Il est amer : « Etre
cinéaste au Tchad, ce n’est même plus un métier, ça ne veut rien dire car tout
le monde l’est. Les jeunes se lèvent un matin, ils écrivent une histoire, la
réalise aussitôt et ils se disent cinéastes. Nous autres qui nous disons
réalisateur, qui vivons de cela, sommes en train de lutter pour qu’il y ait une
distinction des métiers. Le cinéma a ses exigences et il faut les respecter ».
S’ils ont le mérite d’exister, les films de cette nouvelle génération, en
général des vidéos, souffrent d’énormes faiblesses techniques et
esthétiques : tournage sans scénario, décors pauvres, jeu théâtral des
acteurs, séquences trop longues, intrigue plate ou inexistante, mise en scène
sans relief, qualité d’image et de son médiocre, etc. Beaucoup de films sont
tournés en arabe local et sortent avec un sous-titrage en français,
catastrophique dans la plupart des cas à cause des fautes d’orthographe et de
grammaire. Les genres sont parfois flous entre la série et les films en
plusieurs parties.
Les sujets sont très souvent sociaux, tirant vers la sensibilisation sur
plusieurs causes : la polygamie, le mariage forcé, la maltraitance des
enfants, le tabagisme, les conflits agriculteurs-éleveurs, la protection de la
faune et de la flore, etc. Les réalisateurs se lancent de bon cœur dans ces thématiques
qui, s’ils plaisent aux Ong, sont en revanche peu cinématographiques.
Patrick Ndiltah, alors directeur du cinéma et du théâtre [il ne l’est
plus depuis septembre 2014, Ndlr] au Ministère de la Culture, de la Jeunesse et
des Sports, recommande de faire une nécessaire distinction entre cinéma,
production télé et image animé : « Beaucoup
des productions présentées comme telles ne méritent pas l’appellation de
film ». La plupart des réalisateurs eux-mêmes se présentent comme des amateurs,
dans l’attente du jour où ils deviendront professionnels. Comme c’est le cas
dans la plupart des cinématographies nationales du continent, ici le
financement reste le nerf de la guerre.
La débrouillardise, le maître-mot
Le Ministère de la Culture du Tchad a créé, en 2011, le Fonds national
d’appui aux artistes. Sa mission est d’appuyer financièrement les artistes dans
la réalisation de leurs projets. Dirigé par Ahmed Bokori Nima, le Fonat est
devenu opérationnel cette année. Il a ainsi octroyé, pour la première fois en
mai 2014, une subvention de 30 millions Fcfa à 57 artistes toutes disciplines
confondues, sur une base floue. Certains s’en sont tirés avec 1 millions Fcfa,
d’autres avec 200 000Fcfa. Une assistance, alors que les professionnels
réclament un accompagnement véritable.
Youssouf Djaoro |
Les critiques n’ont pas attendu pour se faire entendre. « Ce fonds d’aide, tel que c’est parti,
je n’en vois pas l’intérêt. Sur quels critères on a choisi les artistes, sur
quel critère on leur partage l’argent ? Quand on vous donne 200 000Fcfa,
quel projet vous pouvez réaliser avec ça ? On devrait mettre sur pied un
comité qui sélectionne les projets. Nous les artistes, ne sommes pas des
mendiants. On a juste besoin qu’on nous aide à réaliser nos projets»,
réagit l’acteur Youssouf Djaoro, au cinéma en ce moment dans le film Au film d’Ariane du Français Robert
Guédiguian. Youssouf Djaoro est par ailleurs le premier rôle du film Thom de Tahirou Tasséré Ouédraogo, en
tournage depuis début octobre à
Ouagadougou.
Par le passé, l’Etat tchadien a directement octroyé des
financements à des productions. Grigris
de Mahamat Saleh Haroun a par exemple été financé à hauteur de 400 millions
Fcfa, et Crédit scolaire de
Richardon Yonodjim Gattam (plus connu par son prénom) à hauteur de 4 millions Fcfa,
pour une production évaluée à 16 millions Fcfa. Le Ministère de la Culture
finance parfois les déplacements des réalisateurs dont les films sont retenus à
des festivals en Afrique subsaharienne. En outre, la Télévision tchadienne offre
des possibilités de financement. Elle achète des productions audiovisuelles locales
et fait des co-productions avec des cinéastes indépendants.
Cyril Danina, qui co-dirige la boîte de production Top communication
avec Youssouf Djaoro, reconnaît qu’au Tchad il y a beaucoup d’argent pour mener
à bien des projets « mais comment
avoir cet argent, là est toute la question ». Face à ce soutien
étatique aux modalités et procédures floues se définissant à la tête du client,
les réalisateurs-producteurs se tournent dans la débrouillardise et développent
des solutions originales, parfois surprenantes.
Yasmine Abdallah |
Richardon s’est lancé dans l’élevage et l’agriculture pour financer son
film « Déboires de l’enfant adoptif en
Afrique » (26’, 2011) : « A
Bongor, j’ai cultivé 8 hectares et récolté 23 sacs de sorgho et 42 sacs de riz,
le tout pour 800 000 francs. Total qui m’a donné 5 fûts de gasoil pour le
tournage. J’ai loué le matériel à 750 000 francs, à raison de 250 000
franc la journée pendant trois jours. J’ai dû vendre une partie du carburant
pour nourrir l’équipe sur le plateau », témoigne-t-il. Chanteuse,
actrice et auteure de films (Diablesse
en 2010, Cohabitation en 2013),
Yasmine Abdallah, l’une des rares tchadiennes qui évoluent dans le cinéma
depuis Zara Mahamat Yacoub dans les années 90, exploite, elle, l’argent gagné
dans la musique. D’autres comme Moussa Tidjani ou Aboubacar Sow, auteur de la
série Tv Gawal, économisent sur les
salaires qu’ils gagnent dans leurs emplois alimentaires, pour financer leurs
productions.
Pour sortir de la débrouillardise, Patrick Giraudo préconise : « la seule manière d’exister c’est de
sortir du pays, de rentrer dans les réseaux internationaux, de se faire repérer
et d’être légitimé. Après, les portes s’ouvrent, l’argent arrive».
Le public suit
Pourtant, ces films à petits budgets, faits à la va-vite sans beaucoup
d’exigence, plaisent au public tchadien. Les Dvd se vendent, le Cinéma le
Normandie leur ouvre grand les portes. A charge pour l’équipe du film de
communiquer pour faire venir les gens et en retour, elle reçoit 50% des
recettes d’entrée. Ces productions arrivent quelque fois à remplir la salle de
440 places du Normandie, pour un coût d’entrée raisonnable (1000Fcfa, au lieu
de 3000Fcfa pour les grosses productions). Le public, constitué en majorité
d’amis, de parents et de connaissances arrive déjà conquis.
Cinéma le Normandie |
D’après Issa Serge Coelo, directeur du cinéma le Normandie, « Les films tchadiens ont beaucoup de
potentiel, ils ont une factuelle, des histoires un peu différentes et le public
se reconnaît dans les histoires racontés et dans les acteurs». Cyril Danina
« Age d’or » (16 épisodes, 13’,
2009reste relatif: « C’est
étonnant d’entendre des gens te dire qu’ils ont trois longs métrages à
leur actif. Chaque film constitue autour de lui son public formé de proches,
d’amis. Du coup, on a l’impression que ça marche bien. Or, ces films ne peuvent
pas faire des festivals car ils ne répondent pas aux normes du cinéma ».
Car les films de cette nouvelle génération s’exportent peu. Leurs
faiblesses techniques et esthétiques, la langue et même les choix des sujets
très locaux, constituent autant de barrières face auxquels beaucoup d’aspirants
réalisateurs jettent l’éponge. De plus, en l’absence de relais médiatiques, leur
travail passe presque inaperçu. Directeur de l’Institut français du Tchad (Ift),
Patrick Giraudo affirme qu’il « y a
très peu de critique sur tout ce qui est objet culturels. Il y a peu de
journalistes culturels, ils rendent très peu compte des spectacles et leur
regard reste factuel, de dire que tel film s’est déroulé à tel moment. Je n’ai
pas lu de critique au sens propre, d’analyse esthétique ».
Une nouvelle vague ?
En 2012, à partir de l’exposition Grandes figures des cinémas d’Afrique produite par
la cinémathèque Afrique à Paris, l’Ift a organisé une exposition présentant
des portraits des acteurs du cinéma tchadien depuis les années d’indépendance,
sous le titre : « Le cinéma
tchadien, une nouvelle vague ? » Un clin d’œil au cinéma
français. Patrick Giraudo explique qu’on en est encore loin, même s’il y a des
personnalités qui se distinguent et qui font des films de grande qualité. « Ces personnalités, ou elles sont
particulièrement géniales, sortent du lot et peuvent exister seule comme
Mahamat Saleh Haroun, ou alors il y a une nécessité de construire des
collectifs. Il y a des choses qui ne sont pas anodines, de grands talents
mais qui sont trop parcellaires et surtout, très mal identifiés par les
Tchadiens», ajoute-t-il.
Patrick Ndiltah, le directeur du théâtre et du cinéma, soutient que « la politique cinématographique
actuelle du Tchad est d’encourager les jeunes à aimer ce métier, l’Etat met des
moyens à leur disposition pour la production, un effort est fait au niveau de
la diffusion avec le cinéma Le Normandie. Notre direction essaie aussi de les
accompagner en leur donnant des conseils et en faisant la promotion de leurs
films. Les autorités tchadiennes ont pris conscience de l’importance du
cinéma et le ministère de la Culture l’a inscrit le cinéma au cœur de son
programme».
La première étape de cette prise de conscience a été la réouverture, en
2011, du cinéma le Normandie, après plus de 30 ans de fermeture. Une autre
étape a été la création du Fonds national d’appui aux artistes (Fonat). La
prochaine grande étape sera la création d’une école sous-régionale de cinéma, projet
confiée à Mahamat Saleh Haroun par le président de la République, Idriss Deby
Itno. Le projet pourrait bien prendre forme en 2015. Abdoulaye Ngarduidima, Ministère tchadien de la Culture |
Face à ces actions, Abdoulaye Ngarguidina, le Ministre de la Culture, de
la Jeunesse et des Sports, est laudateur : «l’avenir du cinéma tchadien est radieux à la lumière des initiatives
que nous voyons. Nos cinéastes sont plein d’initiative, ils ont du génie et je
crois que le capital le plus précieux c’est l’homme. Or, nous avons des hommes
dynamiques, entreprenants. Nous n’avons pas peur, notre cinéma va progresser.
Gagner l’étalon de Yennenga au Fespaco, ce n’est qu’une question de
temps ».
Réunion entre les réalisateur et Patoudem |
Malgré cet enthousiasme et cette bonne volonté affichée,
beaucoup restent à faire. En séjour à N’Djaména en juillet 2014 pour le
lancement officiel du magazine Excellence
que dirige Gata Kitoko, le distributeur et exportateur camerounais Jean
Roké Patoudem a eu une rencontre avec une vingtaine de jeunes professionnels du
cinéma. A la suite de cette rencontre, il a reçu une dizaine d’œuvres qui
souffrent tous de la production et de l’absence de financement. « Produire
un film de A à Z reste un secteur de formation qui n’est malheureusement pas
enseigné en Afrique. Il y a un potentiel humain sur place qui manque cruellement
d’encadrement», témoigne-t-il.
Mais il y a de l’espoir. Et cet espoir est palpable, d’après Jean Roké
Patoudem, « dans la mesure où le
gouvernement est entrain de moderniser son Office National de Télévision et que,
bientôt, la TNT va arriver au Tchad et face à la demande des programmes, les
Tchadiens vont se mettre au travail ». En attendant, le Tchad a
accueilli, en octobre à N’Djaména, un premier festival de cinéma national,
Toumaï Film festival. Une plate-forme créée par le réalisateur Pépian Toufdy
pour promouvoir le cinéma tchadien et africain. De plus, un Cinéma Numérique
Ambulant se met en place, sous la coordination du comédien et réalisateur Aboubakar
Sow, pour amener le cinéma partout dans tout le pays.
De plus, fin septembre-début octobre 2014, une résidence d’écriture au
film documentaire de création a été organisé à N’Djaména dans le cadre du
programme Africadoc par l’Association des réalisateur tchadiens, en partenariat
avec le ministère tchadien de la culture et l’Institut français à N’Djaména.
Cette résidence, animée par Jean-François Hautin a rassemblé huit jeunes
réalisateurs. Deux d’entre eux ont été sélectionnés à la fin, ils iront, début
décembre aux Rencontres Tënk de Saint-Louis au Sénégal où ils pourront
présenter leurs projets documentaires à des producteurs et diffuseurs
européens.
Aboubakar Sow |
A côté de ces projets, Issa Serge Coelo pose les préalables pour sortir
la tête de l’eau : « Il faut
commencer par la formation des réalisateurs, des distributeurs et des
producteurs. Deuxièmement, il faut un fonds tripartite entre le ministère de la
Culture, le ministère de la Communication et des sponsors privés qui puissent
mettre de l’argent dans une caisse commune pour qu’on commence à faire des
films. Deux ou trois salles de cinéma de plus à N’Djaména et en province et les
choses vont commencer à démarrer ». Des ambitions sommes toutes
modestes pour un cinéma précaire qui a appris à se contenter de peu.
Stéphanie Dongmo à N’Djaména