Premier
prix du documentaire au festival Ecrans noirs 2014, « Une feuille dans le vent » de Jean-Marie Teno présente
la quête de vérité d’Ernestine Ouandié, mis en perspective avec l’histoire de
l’indépendance du Cameroun.
« Comment
voulez-vous qu’une feuille détachée de sa tige puisse vivre ? Je suis
comme une feuille, j’ai besoin de la branche pour vivre. Quand vous coupez la
branche, la feuille se dessèchera, le vent la fera voler à gauche, à droite, en haut, en bas et la feuille
disparaîtra un jour ». Cette phrase d’Ernestine Ouandié
résume bien toute son existence. En quelques mots, le personnage principal du film
« Une feuille dans le vent »
dit son mal-être et sa quête perpétuelle du père.
Née en 1961 au Nigéria, Ernestine
est la fille d’Ernest Ouandié, le nationaliste camerounais qui prit la tête de
l’Upc après l’assassinat de Ruben Um Nyobè en 1958 et de Félix Moumié en 1960. Dans
ce documentaire de 55mn, elle se livre entièrement. Elle y raconte son enfance
difficile et la découverte du pays de son père en 1987, après son enfance au
Ghana. Elle dénonce surtout le voile de silence qui entoure l’histoire du
Cameroun, qui, pour elle, se confond avec son histoire familiale.
Jusqu’ici, les
circonstances de la reddition d’Ernest Ouandié, exécuté à Bafoussam en 1971,
restent floues. Et aucune plaque commémorative ne fait honneur à ces martyrs,
présentés à l’époque comme des maquisards. Ernestine veut la vérité, pour
pouvoir à son tour la transmettre à ses enfants. Car pour se projeter dans le
futur, il faut pouvoir regarder son passé. « C’est
difficile de savoir qu’on doit mourir deux fois. La première fois, la vraie,
est suffisamment difficile à accepter. La deuxième mort, qui est le silence, ne
nous mènera nulle part. Quand l’histoire sera écrite, les âmes errantes
trouveront enfin la paix », dit-elle.
Ernestine Ouandié |
Un matin d’octobre
2009, Ernestine Ouandié s’en est allé rejoindre ces âmes errantes. A ce
moment-là, Jean-Marie Teno, qui l’a interviewé en 2004, pose un regard neuf sur
ses confessions. « J’ai été tellement
touché par son histoire, je ne savais pas quelle forme allait prendre ce film à
ce moment-là. Dans cette interview, pendant un long moment, elle me parle de la
métaphore de la feuille mais je ne comprenais pas. C’est quand elle est décédée
que je me suis rendu compte que ça faisait sens. J’ai trouvé en elle une
profondeur qui m’a fait penser que sa parole devra être portée», explique celui
qui a écrit, réalisé et produit « Une
feuille dans le vent ».
Kwame Nkrumah, le
premier président du Ghana, disait déjà que « les
conséquences socio-psychologiques de la colonisation sont bien plus importantes
que les conséquences politiques car elles pénètrent en profondeur l’esprit des
gens et sont plus longues à éradiquer ». Jusqu’à sa mort, Ernestine
Ouandé a porté ce fardeau dans un pays où l’histoire de l’indépendance a
toujours été éludée. Face à la caméra, cette femme belle, que l’on sent désespérément
seule dans sa quête, réclame la justice de la vérité. Sa pensée est construite
avec méthode. Sa voix et son regard sont chargés d’émotion. On la sent au bord
des larmes, mais elle ne craque pas.
Pour mettre son
histoire en perspective, Jean-Marie recourt aux images d’archives pour raconter
la lutte pour l’indépendance. Il dresse ainsi un parallèle entre la vie
d’Ernestine et celle du « Camarade Emile », son père. Les illustrations
de Kemo Sambé permettent de combler les vides de l’histoire, de sortir le
spectateur du visage d’Ernestine pour lui donner du répit. Le film tourné en
anglais et sous-titré en français, est dédié aux enfants d’Ernestine :
Boris, Ernesto et Helen.
Stéphanie
Dongmo
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