lundi 15 septembre 2014

Dossier: le Festival du film de Masuku cherche ses marques

Editorial: Un défi à relever

Sur le continent africain, les festivals de films spécialisés sur l’environnement se comptent sur les doigts de la main. Les rares qui existent rencontrent d’énormes difficultés spécifiques qui ont contraint certains festivals à fermer leurs portes. Les films n’attirent pas les foules, les organismes d’aide aux productions filmiques les soutiennent peu, à cheval qu’ils sont entre l’environnement et le cinéma.
Pourtant, les enjeux environnementaux en Afrique sont énormes, du souillage du Delta du Niger en passant par l’assèchement à 80% du Lac Tchad. Les effets des changements climatiques n’ont pas de frontière et se font ressentir rudement : températures élevées cause de déforestation, rareté et mauvaise qualité de l’eau entraînant des maladies hydriques, insécurité alimentaire source de pauvreté, migrations provoquant des nuisances, etc.

La protection de la nature est une cause planétaire et nous concerne tous, appelés que nous sommes à devenir des éco-citoyens. Le cinéma est un excellent canal pour véhiculer ce message, martelé à l’occasion de festivals dont le but est d’inciter les populations à adopter les bonnes pratiques et leur permettre de s’adapter aux effets du dérèglement du climat. Ces rencontres sont aussi un appel aux cinéastes de prendre en compte les préoccupations environnementales dans leurs productions, sans forcément verser dans l’intervention sociale.
Le Festival du film de Masuku veut relever ce défi à partir de Franceville, ville située à près de 800 Km de la capitale gabonaise. Quoi de plus normal dans un pays recouvert à 75% par la forêt ? D’autant plus que la découverte, en 2008, de fossiles prouvant l’existence d’organismes multicellulaires il y a 2,1 milliards d’années à Franceville, fait du Gabon le berceau de la vie sur terre. Le Festival du film de Masuku, dont la seconde édition s’est tenue du 13 au 17 août 2014 à Franceville, est donc un défi pour le Gabon et, partant, pour l’Afrique centrale.

Notre travail est d’attirer l’attention sur de telles initiatives, porteuses de sens et de vie pour nous et pour les générations à venir. Nous espérons contribuer ainsi à poser les bases d’un développement humain durable.
 

Masuku cherche ses marques  

La seconde édition de l’évènement spécialisé sur la nature et l’environnement s’est déroulée du 13 au 17 août 2014 à Franceville, à près de 800 km de Libreville, la capitale gabonaise. Malgré une programmation riche, le festival cherche encore son public et doit convaincre les cinéastes gabonais.
 
Projection à Franceville

La carte blanche consacrée à Jean-Claude Cheyssial annonçait déjà la couleur de cette seconde édition du Festival du film de Masuku, nature et environnement. Cinq documentaires du réalisateur français ont été programmés hors compétition. Des films qui amènent le spectateur au cœur d’une forêt gabonaise luxuriante pour lui faire découvrir ses traditions, mythes et spiritualité.

Cette année, la programmation a été plus diversifiée et ouverte à l’international. C’est le film Siggil, un court métrage fiction du Français Rémi Mazet (20mn, 2010) qui remporte l’unique distinction du festival, le Prix du public. Autre film remarqué, A la recherche des origines ? 2 milliards d’années d’histoire (44mn, 2013) d’Abdelkader El Albani. Un documentaire qui retrace la découverte, près de Franceville, de fossiles en excellent état qui prouvent l’existence d’organismes pluricellulaires il y a 2,1 milliards d’années. Jusque-là, on supposait que la vie multicellulaire était apparue sur la terre il y a seulement 600 millions d’années. A l’ouverture du festival le 13 août, un hommage a été rendu à Bakary Diallo, dont le film Dankumba (12mn, 2001) était en compétition officielle. Le réalisateur malien est décédé dans le crash d’Air Algérie le 24 juillet dernier, en compagnie de son confrère camerounais Lorenzo Mbiahou.
Concurrence
Cependant, les 18 films annoncés dans le programme n’ont pas été tous diffusés. Nadine Otsobogo, la déléguée générale du festival par ailleurs réalisatrice et chef maquilleuse, l’explique par la présence d’autres écrans dans la ville : « Cette année à Franceville, au mois d'août, il y a eu au moins trois projections organisées par d’autres structures, ce qui n’était pas du tout prévu pour nous. C’était assez compliqué à gérer ».
En effet, dans le cadre de la caravane « Beaufort cinéma plein air », la Société des Brasseries du Gabon (Sobraga) organise une tournée nationale de projections du 28 juillet au 13 septembre 2014, à raison de trois soirées par ville. A Franceville, la caravane a coïncidé avec le festival Masuku. Les deux évènements ont pour partenaire l’Institut gabonais de l’image et du son (Igis).
Nadine Otsobogo est quelque peu amère : « C’est bien qu’il puisse y avoir plusieurs festivals ou caravanes au Gabon mais c’est dommage que dans une ville comme Franceville, il y ait plusieurs écrans pendant la même période. Nous ne sommes pas en concurrence. Notre but est que le public puisse aimer le cinéma et qu’à la longue, on ouvre des salles. Nous encourageons les gens à s’unir pour proposer le meilleur de la culture gabonaise et internationale puisqu’on a le même but, et non pas se disperser à mettre plusieurs festivals, plusieurs écrans dans le même pays, la même ville pendant la même période. Il faut qu’on puisse être cohérents », regrette-t-elle.
D’autant plus que la caravane de la Sobraga a installé, en plein cœur de Potos, quartier le plus chaud de la ville, un écran géant de 10x7m et diffusé des films gabonais (des classiques et des productions récentes). Faisant du coup passer le festival, avec son écran de 4x3m et ses films pas toujours grand public, au second rang. Le festival de Masuku s’en ai tiré avec à peine une trentaine de spectateurs à chaque projection, en dehors de la soirée d’ouverture.

Directeur de l’Igis, Imunga Ivanga précise que si l’institut est partenaire des deux évènements, il n’en est pas l’initiateur : « nous n'avons donc aucune influence sur les dates choisies par les deux structures. Le Festival du Film de Masuku est construit autour d'une thématique bien précise : la question de la nature et l'environnement. Cela se veut très ciblé. L'opération de la société Sobraga vise, elle, à un divertissement total. Cela laisse donc le choix au public».

Annulations
François Onana
La rareté du public accentuée par le fait que le programme des projections s’élaborait au jour le jour, ce qui ne permet pas de fidéliser le public. Par ailleurs, sur ses affiches, le festival annonçait d’autres activités : des conférences, des ateliers de formation et un marché du film. Un seul atelier s’est tenu, animé par François Onana, scénariste et réalisateur gabonais. L’année dernière, au cours de la première édition du festival, les spectateurs s’était montré intéressé à acquérir des copies des films pour les partager avec leurs familles. Le marché du film devait essentiellement être consacré à productions gabonaises sorties en Dvd. Il n’a pas eu lieu.

Cette seconde édition du festival du film de Masuku avait pour marraine Danny Sarazin, directrice du Festival international du film animalier et sur l’environnement qu’elle organise depuis 1996 à Rabat au Maroc. Deux évènements qui ont pour but de sensibiliser, à travers l’image, le grand public sur la préservation de la faune et de la flore. Imunga Ivanga est cependant optimiste : « le festival est jeune et il va grandir d'années en années. Il en a le potentiel. Et ses initiateurs ont la volonté et du talent. Le succès suivra naturellement. C'est un travail de longue haleine. C'est toujours un combat de rallier le public mais un festival s'apprécie également sur d'autres aspects ».
 

Nadine Otsobogo

« Le public est timide à la thématique de l’environnement »

Déléguée générale du Festival du film de Masuku, elle fait le bilan de cette 2ème édition et annonce les couleurs de la prochaine.

 


Quel bilan faites-vous de cette 2ème édition du Festival du film de Masuku ?
Le bilan est assez positif car à la 1re édition, on n’avait pas eu autant de film ni autant d’engouement. Notre parrain de l’année dernière [Le ministre sénégalais de l’Environnement, Ndlr] n'avait pas pu se déplacer. Cette année, nous avons eu une marraine qui était là. Elle a apprécié les films et l’initiative. Des bénévoles ont fait le déplacement depuis Libreville pour nous soutenir. Il y a des choses à améliorer évidemment, mais c’est positif, sincèrement, dans l’ensemble. Je dis un grand bravo à tout le comité d'organisation de ce festival.

Certains invités, annoncés au départ, ne sont pas arrivés. Le marché du film annoncé a été annulé. Que s’est-t-il passé ?
On n’avait pas tenu compte de l’administration tout simplement. Certaines personnes n’ont pas eu le temps pour les visas, les délais étant justes. C’est le cas du tunisien Habib Ayeb qui s’est désisté tout en nous encourageant. A la première édition, il n’y avait pas d’invités internationaux. C’était donc la première fois qu’on était confronté à ça. Par ailleurs, on s’est rendu compte que c’était un peu tôt pour le marché du film, on l’avait annoncé pour les réalisateurs gabonais d’abord et ils se sont désistés au dernier moment, alors qu’ils avaient donné leur accord de principe.

Que comptez-vous faire justement pour conquérir la confiance des professionnels du cinéma gabonais qui semblent bouder ce festival ?

Bouder c'est un grand mot! Pour l'instant, je crois qu'ils ne s'y retrouvent pas. On se méfie en général de ce qui est nouveau, et nous n'avons pas à conquérir ces personnes. Le but de notre association est la culture pour tous. Et l'environnement, c'est l'affaire de tous. On a eu beaucoup moins de partenaires que l’année dernière. Cette année aussi à Franceville, au mois d'août, il y a eu au moins trois projections organisées par d’autres structures, ce qui n’était pas du tout prévu pour nous. Nous ne sommes pas en concurrence, nous encourageons les gens à s’unir pour proposer le meilleur de la culture gabonaise et internationale puisqu’on a le même but, et non pas se disperser à mettre plusieurs festivals, plusieurs écrans dans le même pays, la même ville pendant la même période. Il faut qu’on puisse être cohérents.
Le public est resté timide, comment entendez-vous l’intéresser pour les prochaines éditions ?
Le public est plutôt timide à la thématique de l'environnement, je pense. Mais vous avez remarqué quand nous avons projeté les films de Jean-Claude Cheyssial, le public était assez intéressé, certainement parce que c'est filmé au Gabon. Donc, nous allons revoir notre programmation et, avec les conseils de Danny Sarazin, notre marraine, multiplier les initiatives sur l'environnement tout au long de l'année.

Y a-t-il des difficiles particulières à l’organisation d’un festival à thème ?
Certainement. Déjà organiser un festival n'est pas une petite affaire, mais en plus, avoir une thématique, c'est pas facile. C’est très dur, j’apprends juste que les gens ont parfois la langue bien pendue, ils promettent beaucoup et à la fin, rien du tout. Ce festival, c’est comme une petite niche mais l’environnement qui est notre quotidien. C’est beaucoup plus sain de parler de ce quotidien. Le Gabon, l’Afrique, le monde est un bel environnement que l'on doit protéger, et notre sensibilisation passe par l'image. On a l'impression que c'est restreint mais c'est vaste.

En deux ans, avez-vous le sentiment que vous avez contribué à faire prendre conscience de la nécessité de protéger l’environnement ?
Ça va prendre du temps mais je sais que petit à petit, les gens vont capter et comprendre. A un moment donné, ils vont se dire : on veut autre chose, un environnement sain, une ville propre, des forêts protégées. Je suis persuadée de ça.  

Que peut-on attendre déjà de ce festival l’année prochaine ?
Déjà, les réalisateurs qui n'ont pas pu se déplacer seront réinvités, les films qui n'ont pas pu être projetés seront reprogrammés. Ce festival est comme un bébé. L’année prochaine, il aura 3 ans, il pourra, on l'espère, se mettre debout et marcher.

Dossier réalisé par Stéphanie Dongmo

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