samedi 13 septembre 2014

Cinéma : A la limite des mondes visible et invisible

« Dankumba » a été présenté en ouverture du Festival du film de Masuku le 13 août 2014 au Gabon, et un hommage rendu à son réalisateur. Le Malien Bakary Diallo est décédé dans le crash du vol d’Air Algérie le 24 juillet à l’âge de 31 ans, en compagnie de son confrère camerounais Lorenzo Mbiahou.

 


Un arbre centenaire. Un village traversé par une route poussiéreuse. Des pieds d’homme. L’eau qui crépite sur le sol. Le sable qui vole dans le vent. Le bruit du rasoir qui tond une tête. Les incantations d’une mère... Le tout est un savant agencement de scénettes, de gestes, de lieux et d’images. Des cartes postales empreintes de beaucoup de poésie. Mais aussi de mysticisme.

Le court-métrage retrace, en quelque sorte, la journée presque ordinaire d’un homme, un traditionnaliste, dans un village ordinaire d’Afrique. Ainsi que les infinis croisements de destins qui forment une vie. Ses gestes sont méthodiques, son pas cadencé. Dankumba désigne un rituel accompli dans la région de Kayes, au Mali. Bakary Diallo en a fait le titre de son avant-dernier film. Il pose la question du sacré et des superstitions, à la limite des mondes visible et invisible.

Une scène du film
Car ici, tout est signe et symbole. Des sacrifices posés au milieu de la route et qui effraient les petits mendiants aux cheveux enterrés dans le sol, en passant par le traditionnaliste qui, à son réveil, prend le soin de poser sur le sol d’abord le pied droit, et seulement ensuite le gauche. Ces gestes partent des croyances répandues dans toute l’Afrique subsaharienne selon lesquels se lever du pied gauche gâche la journée, et que les sorciers peuvent atteindre une personne à partir de ses cheveux.

Même les bruits familiers comme le chant de petits mendiants ou le caquètement d’une poule semblent prendre, ici, une signification particulière. D’autant plus que le montage lent, réalisé par Bakary Diallo lui-même, assisté de Fréderic Dupont, finit de jeter le spectateur dans une ambiance initiatique. Pour un peu, on croirait replonger dans le poème « Souffle » de Birago Diop : « Ecoute plus souvent / Les choses que les êtres / La voix du feu s’entend / Entend la voix de l’eau / Ecoute dans le vent / Le buisson en sanglot… »

Bakary Diallo
En 12mn, le film parle peu mais dit beaucoup. Dans la dernière scène, le traditionnaliste remet à l’endroit un pied de sandale retourné avant de continuer sa route. Comme pour remettre une Afrique tourmentée sur le droit chemin. Un chemin qui serait l’animisme ? « Dankumba » est sorti à la vielle de la crise au Mali, menacé par l’intégrisme religieux. Qui est encore le sort de bon nombre de pays africains.

Prix « Les amis du Fresnoy », Studio national des arts contemporains de Tourcoing en France en 2011, « Dankumba » prédisait à Bakary Diallo un brillant avenir cinématographique. Le destin en a décidé autrement.
Stéphanie Dongmo

Fiche technique
Scénario-Réalisation : Bakary Diallo
Production : Le Fresnoy
Pays : Mali
Année : 2011

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