mercredi 27 août 2014

Chronique : Il faut sauver le festival Ecrans Noirs


Soirée de clôture des Ecrans Noirs
Je n’ai plus envie d’écrire sur les Ecrans noirs, dont la 18ème édition s’est déroulée du 19 au 26 juillet 2014 à Yaoundé. Comment écrire sur ce festival de cinéma sans parler des énormes couacs qui le tirent vers le bas chaque année un peu plus? Que dire de plus que je n’aie déjà dit à la suite des éditions précédentes ? Je pourrais réchauffer mon article de l’année dernière et le resservir que le lecteur n’y verrait que du feu, tant les problèmes se sont inscrits dans la continuité. Mais je déteste la redondance.
Que dire en effet de la programmation où sont absents les films africains récents qui tournent en ce moment dans les festivals ? Que dire des espaces (Salle Sita Bella, Douala) déprogrammés, comme cela est devenu coutume à ce festival, sans aucune explication ? Que dire des films inscrits au programme et finalement pas projetés pour indisponibilité ? Que dire de la qualité absolument inacceptable des projections à la salle de la Cnps? Que dire des plaintes pour non payement et de l’ardoise des dettes du festival qui semble se rallonger d’année en année ? Que dire même des prix vidés de leur intérêt premier qui est financier, vu que le festival n’a ni notoriété, ni bonne presse suffisante pour lancer un film ? Que dire des programmes disponibles seulement plusieurs jours après le début du festival et du catalogue arrivé à la fin de l’évènement ? Que dire de l’annulation des projections en plein air au village du festival pour coupure d’électricité alors qu’un groupe électrogène se loue à 10 000 Fcfa la journée à Yaoundé, prix négociable ? Si on devait citer tous les couacs, on y sera encore demain. Une liste non exhaustive de faux pas qui annoncent une catastrophe.

Ce festival me déçoit à la hauteur de l’affection que je lui porte. Les Ecrans noirs sont l’une des raisons pour lesquelles je suis devenue journaliste culturelle. Ils ont constitué pour moi une motivation puissante pour décrocher le baccalauréat, alors unique porte de sortie du coin perdu de mon enfance pour la grande ville. Chaque année, au mois d’août, mes cousines et moi nous retrouvions au village pour des réunions familiales. Elles me racontaient alors la montée des marches des Ecrans noirs et parfois, me montraient une photo prises au sortir du Cinéma Abbia, ce qui était un évènement exceptionnel dans nos petites existences. Je les écoutais les yeux luisants d’envie, en rêvant du jour où, moi aussi, je serai des leurs. Mon rêve est devenu réalité.
Mon oncle douanier, alors en service à l’aéroport international Yaoundé-Nsimalen, arrivait, je ne sais par quelle relation, à obtenir des invitations pour l’ouverture et la clôture du festival. A l’époque, ces invitations valaient encore quelque chose. Nous les lui arrachions pratiquement des mains, trop heureuses d’avoir l’occasion de mettre nos tenues soirée oubliées au fond de la penderie après la fête du nouvel an ou le lointain mariage d’un parent. Alors que mes cousines ne s’intéressaient qu’à la montée des marches, moi, je voulais voir le maximum de films.
 
Et je le faisais, aussi souvent que mes maigres ressources me permettait de payer l’entrée à la salle. Mon intérêt pour « les films par nous, vus par les nôtres » vient sans doute de là. Je n’oublierai jamais des films comme « Karmen gei », « Madame brouette », « Les couilles de l’éléphant » et « Le prix du pardon » qui m’ont maintenu éveillée longtemps après la projection, et qui ont, par la suite, fait irruption dans mes rêves.
 
Après, je suis devenue journalise et dans les rédactions où je suis passée, c’est tout naturellement que je me suis portée volontaire pour couvrir les Ecrans noirs. Depuis lors, chaque année sans discontinuer, j’écris sur le festival. Même quand je n’avais pas forcément d’espace où publier ces articles, il me semblait que couvrir les Ecrans noirs était pour moi un devoir, auquel je me soumettais de bon cœur. Je parlais des films en compétition et des innovations, je donnais la parole aux organisateurs, je recueillais les avis des festivaliers mais je parlais aussi des couacs. Surtout des couacs d’ailleurs, plus souvent que je n’aurais voulu.

Mais cette année, je refuse d’écrire sur les Ecrans noirs. Il me semble que je n’ai plus rien à dire. Ma parole de journaliste n’est pas entendue et je refuse d’être un tonneau vide. Mais je ne peux taire ma déception qui est grande. Ce festival dont j’ai rêvé longtemps a perdu de sa superbe et surtout, de son essence. En dehors de la montée et de la descente des marches, Ecrans noirs n’est plus qu’un squelette sans chair.
Bassek Ba Kobhio, promoteur du festival
Une chose étonnante d’ailleurs quand on sait que le financement du gouvernement du Cameroun à l’endroit de ce festival va croissant. Il est passé de 51 millions de Fcfa en 2012 à 70 millions de Fcfa en 2014. Au même moment que les problèmes sont passés d’importants à énormes. Il est devenu « une affaire publique camerounaise », selon les mots de Bassek Ba Kobhio, son délégué général. Une affaire publique qui doit donc rendre des comptes au contribuable camerounais. Une affaire publique dont la responsabilité va au-delà du fait de tenir édition après édition.
Après 18 ans d’existence, je refuse d’excuser l’amateurisme de ce festival, sa négligence et ses dettes. Mais surtout son peu de respect pour les cinéastes, les festivaliers et le public. Je suis particulièrement indignée par le fait que les organisateurs des Ecrans Noirs semblent considérer que tout est acquis. Mais s’il est une chose que la vie nous apprend c’est que rien, en ce bas monde, n’est jamais définitivement acquis. Ni le public, ni le financement, ni même les amitiés. Plusieurs promoteurs culturels l’ont appris à leurs dépens, à l’exemple d’Ambroise Mbia dont le festival, les Rencontres théâtrales internationales du Cameroun (Retic), a fini par sombrer après 17 ans de débrouillardise et de résistance.
 
Ceci est un appel au secours : il faut sauver les Ecrans noirs, lui redonner ses lettres de noblesse pour permettre à des milliers de personnes de continuer à rêver, pour qu’il continue à être une motivation puissante dans la vie des gens.
Lui donner de la chair ne passera pas par des activités bouche-trous comme les compétitions de danse ou l’élection de miss. Lui donner de la chair sera de faire venir des films récents de qualité, de mieux communiquer, d’améliorer la qualité technique des projections, de respecter les cinéastes et le public. Si on veut tenir la route, organiser un festival demande beaucoup de rigueur. Sinon, la chute n’est pas loin.

Stéphanie Dongmo

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire