Soirée de clôture des Ecrans Noirs |
Je n’ai plus envie
d’écrire sur les Ecrans noirs, dont la 18ème édition s’est déroulée
du 19 au 26 juillet 2014 à Yaoundé. Comment écrire sur ce festival de cinéma sans parler
des énormes couacs qui le tirent vers le bas chaque année un peu plus? Que
dire de plus que je n’aie déjà dit à la suite des éditions précédentes ? Je
pourrais réchauffer mon article de l’année dernière et le resservir que le
lecteur n’y verrait que du feu, tant les problèmes se sont inscrits dans la
continuité. Mais je déteste la redondance.
Que dire en effet de la
programmation où sont absents les films africains récents qui tournent en ce
moment dans les festivals ? Que dire des espaces (Salle Sita Bella, Douala)
déprogrammés, comme cela est devenu coutume à ce festival, sans aucune
explication ? Que dire des films inscrits au programme et finalement pas
projetés pour indisponibilité ? Que dire de la qualité absolument
inacceptable des projections à la salle de la Cnps? Que dire des plaintes pour
non payement et de l’ardoise des dettes du festival qui semble se rallonger
d’année en année ? Que dire même des prix vidés de leur intérêt premier
qui est financier, vu que le festival n’a ni notoriété, ni bonne presse
suffisante pour lancer un film ? Que dire des programmes disponibles
seulement plusieurs jours après le début du festival et du catalogue arrivé
à la fin de l’évènement ? Que dire de l’annulation des projections en
plein air au village du festival pour coupure d’électricité alors qu’un groupe
électrogène se loue à 10 000 Fcfa la journée à Yaoundé, prix
négociable ? Si on devait citer tous les couacs, on y sera encore demain. Une
liste non exhaustive de faux pas qui annoncent une catastrophe.
Ce festival me déçoit à
la hauteur de l’affection que je lui porte. Les Ecrans noirs sont l’une des
raisons pour lesquelles je suis devenue journaliste culturelle. Ils ont
constitué pour moi une motivation puissante pour décrocher le baccalauréat,
alors unique porte de sortie du coin perdu de mon enfance pour la grande ville.
Chaque année, au mois d’août, mes cousines et moi nous retrouvions au village
pour des réunions familiales. Elles me racontaient alors la montée des marches des
Ecrans noirs et parfois, me montraient une photo prises au sortir du Cinéma
Abbia, ce qui était un évènement exceptionnel dans nos petites existences. Je
les écoutais les yeux luisants d’envie, en rêvant du jour où, moi aussi, je
serai des leurs. Mon rêve est devenu réalité.
Mon oncle douanier,
alors en service à l’aéroport international Yaoundé-Nsimalen, arrivait, je ne
sais par quelle relation, à obtenir des invitations pour l’ouverture et la
clôture du festival. A l’époque, ces invitations valaient encore quelque chose.
Nous les lui arrachions pratiquement des mains, trop heureuses d’avoir
l’occasion de mettre nos tenues soirée oubliées au fond de la penderie après la
fête du nouvel an ou le lointain mariage d’un parent. Alors que mes cousines ne
s’intéressaient qu’à la montée des marches, moi, je voulais voir le maximum de
films.
Et je le faisais, aussi
souvent que mes maigres ressources me permettait de payer l’entrée à
la salle. Mon intérêt pour « les films par nous, vus par les nôtres »
vient sans doute de là. Je n’oublierai jamais des films comme « Karmen gei », « Madame brouette »,
« Les couilles de l’éléphant »
et « Le prix du pardon » qui m’ont maintenu éveillée longtemps
après la projection, et qui ont, par la suite, fait irruption dans mes rêves.
Après, je suis devenue
journalise et dans les rédactions où je suis passée, c’est tout naturellement
que je me suis portée volontaire pour couvrir les Ecrans noirs. Depuis lors,
chaque année sans discontinuer, j’écris sur le festival. Même quand je n’avais
pas forcément d’espace où publier ces articles, il me semblait que couvrir les
Ecrans noirs était pour moi un devoir, auquel je me soumettais de bon cœur. Je
parlais des films en compétition et des innovations, je donnais la parole aux
organisateurs, je recueillais les avis des festivaliers mais je parlais aussi
des couacs. Surtout des couacs d’ailleurs, plus souvent que je n’aurais voulu.
Mais cette année, je
refuse d’écrire sur les Ecrans noirs. Il me semble que je n’ai plus rien à dire.
Ma parole de journaliste n’est pas entendue et je refuse d’être un tonneau
vide. Mais je ne peux taire ma déception qui est grande. Ce festival dont j’ai
rêvé longtemps a perdu de sa superbe et surtout, de son essence. En dehors de la montée
et de la descente des marches, Ecrans noirs n’est plus qu’un squelette sans
chair.
Bassek Ba Kobhio, promoteur du festival |
Une chose étonnante
d’ailleurs quand on sait que le financement du gouvernement du Cameroun à
l’endroit de ce festival va croissant. Il est passé de 51 millions de Fcfa en
2012 à 70 millions de Fcfa en 2014. Au même moment que les problèmes sont
passés d’importants à énormes. Il est devenu « une affaire publique
camerounaise », selon les mots de Bassek Ba Kobhio, son délégué général.
Une affaire publique qui doit donc rendre des comptes au contribuable
camerounais. Une affaire publique dont la responsabilité va au-delà du fait de tenir édition après édition.
Après 18 ans
d’existence, je refuse d’excuser l’amateurisme de ce festival, sa négligence et
ses dettes. Mais surtout son peu de respect pour les cinéastes, les
festivaliers et le public. Je suis particulièrement indignée par le fait que les
organisateurs des Ecrans Noirs semblent considérer que tout est acquis. Mais s’il
est une chose que la vie nous apprend c’est que rien, en ce bas monde, n’est
jamais définitivement acquis. Ni le public, ni le financement, ni même les
amitiés. Plusieurs promoteurs culturels l’ont appris à leurs dépens, à l’exemple
d’Ambroise Mbia dont le festival, les Rencontres théâtrales internationales du
Cameroun (Retic), a fini par sombrer après 17 ans de débrouillardise et de
résistance.
Ceci est un appel au
secours : il faut sauver les Ecrans noirs, lui redonner ses lettres de
noblesse pour permettre à des milliers de personnes de continuer à rêver, pour
qu’il continue à être une motivation puissante dans la vie des gens.
Lui donner de la chair
ne passera pas par des activités bouche-trous comme les compétitions de danse
ou l’élection de miss. Lui donner de la chair sera de faire venir des films
récents de qualité, de mieux communiquer, d’améliorer la qualité technique des
projections, de respecter les cinéastes et le public. Si on veut tenir la
route, organiser un festival demande beaucoup de rigueur. Sinon, la chute n’est
pas loin. Stéphanie Dongmo
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