Editorial: Un
défi à relever
Sur le continent
africain, les festivals de films spécialisés sur l’environnement se comptent
sur les doigts de la main. Les rares qui existent rencontrent d’énormes
difficultés spécifiques qui ont contraint certains festivals à fermer leurs
portes. Les films n’attirent pas les foules, les organismes d’aide aux
productions filmiques les soutiennent peu, à cheval qu’ils sont entre
l’environnement et le cinéma.
Pourtant, les enjeux
environnementaux en Afrique sont énormes, du souillage du Delta du Niger en
passant par l’assèchement à 80% du Lac Tchad. Les effets des changements
climatiques n’ont pas de frontière et se font ressentir rudement :
températures élevées cause de déforestation, rareté et mauvaise qualité de
l’eau entraînant des maladies hydriques, insécurité alimentaire source de
pauvreté, migrations provoquant des nuisances, etc.
La protection de la
nature est une cause planétaire et nous concerne tous, appelés que nous sommes
à devenir des éco-citoyens. Le cinéma est un excellent canal pour véhiculer ce
message, martelé à l’occasion de festivals dont le but est d’inciter les
populations à adopter les bonnes pratiques et leur permettre de s’adapter aux effets du dérèglement du climat. Ces
rencontres sont aussi un appel aux cinéastes de prendre en compte les
préoccupations environnementales dans leurs productions, sans forcément verser
dans l’intervention sociale.
Le Festival du film de
Masuku veut relever ce défi à partir de Franceville, ville située à près de 800
Km de la capitale gabonaise. Quoi de plus normal dans un pays recouvert à 75% par
la forêt ? D’autant plus que la découverte,
en 2008, de fossiles prouvant l’existence d’organismes multicellulaires il y a
2,1 milliards d’années à Franceville, fait du Gabon le berceau de la vie sur
terre. Le Festival du film de Masuku, dont la seconde édition s’est
tenue du 13 au 17 août 2014 à Franceville, est donc un défi pour le Gabon et,
partant, pour l’Afrique centrale.
Notre travail est
d’attirer l’attention sur de telles initiatives, porteuses de sens et de vie
pour nous et pour les générations à venir. Nous espérons contribuer ainsi à
poser les bases d’un développement humain durable.
Masuku
cherche ses marques
La
seconde édition de l’évènement spécialisé sur la nature et l’environnement
s’est déroulée du 13 au 17 août 2014 à Franceville, à près de 800 km de
Libreville, la capitale gabonaise. Malgré une programmation riche, le festival
cherche encore son public et doit convaincre les cinéastes gabonais.
|
Projection à Franceville |
La carte blanche
consacrée à Jean-Claude Cheyssial annonçait déjà la couleur de cette seconde
édition du Festival du film de Masuku, nature et environnement. Cinq
documentaires du réalisateur français ont été programmés hors compétition. Des
films qui amènent le spectateur au cœur d’une forêt gabonaise luxuriante pour lui
faire découvrir ses traditions, mythes et spiritualité.
Cette année, la
programmation a été plus diversifiée et ouverte à l’international. C’est le
film Siggil, un court métrage fiction
du Français Rémi Mazet (20mn, 2010) qui remporte l’unique distinction du
festival, le Prix du public. Autre film remarqué, A la recherche des origines ? 2 milliards d’années d’histoire
(44mn, 2013) d’Abdelkader El Albani. Un documentaire qui retrace la découverte,
près de Franceville, de fossiles en excellent état qui prouvent l’existence
d’organismes pluricellulaires il y a 2,1 milliards d’années. Jusque-là, on
supposait que la vie multicellulaire était apparue sur la terre il y a
seulement 600 millions d’années. A l’ouverture du festival le 13 août, un hommage
a été rendu à Bakary Diallo, dont le film Dankumba
(12mn, 2001) était en compétition
officielle. Le réalisateur malien est
décédé dans le crash d’Air Algérie le 24 juillet dernier, en compagnie de son
confrère camerounais Lorenzo Mbiahou.
Concurrence
Cependant, les 18 films
annoncés dans le programme n’ont pas été tous diffusés. Nadine Otsobogo, la
déléguée générale du festival par ailleurs réalisatrice et chef maquilleuse,
l’explique par la présence d’autres écrans dans la ville : « Cette année à Franceville, au mois
d'août, il y a eu au moins trois projections organisées par d’autres
structures, ce qui n’était pas du tout prévu pour nous. C’était assez compliqué
à gérer ».
En effet, dans le cadre
de la caravane « Beaufort cinéma plein air », la Société des
Brasseries du Gabon (Sobraga) organise une tournée nationale de projections du
28 juillet au 13 septembre 2014, à raison de trois soirées par ville. A
Franceville, la caravane a coïncidé avec le festival Masuku. Les deux
évènements ont pour partenaire l’Institut gabonais de l’image et du son (Igis).
Nadine Otsobogo est quelque peu amère : « C’est bien qu’il puisse y avoir plusieurs festivals ou
caravanes au Gabon mais c’est dommage que dans une ville comme Franceville, il
y ait plusieurs écrans pendant la même période. Nous ne sommes pas en
concurrence. Notre but est que le public puisse aimer le cinéma et qu’à la
longue, on ouvre des salles. Nous encourageons les gens à s’unir pour proposer
le meilleur de la culture gabonaise et internationale puisqu’on a le même but,
et non pas se disperser à mettre plusieurs festivals, plusieurs écrans dans le
même pays, la même ville pendant la même période. Il faut qu’on puisse être
cohérents », regrette-t-elle.
D’autant plus
que la caravane de la Sobraga a installé, en plein cœur de Potos, quartier le
plus chaud de la ville, un écran géant de 10x7m et diffusé des films gabonais
(des classiques et des productions récentes). Faisant du coup passer le
festival, avec son écran de 4x3m et ses films pas toujours grand public, au
second rang. Le festival de Masuku s’en ai tiré avec à peine une trentaine de
spectateurs à chaque projection, en dehors de la soirée d’ouverture.
Directeur de
l’Igis, Imunga Ivanga précise que si l’institut est partenaire des deux
évènements, il n’en est pas l’initiateur : «
nous n'avons donc aucune influence sur les dates choisies par les deux
structures. Le Festival du Film de Masuku est construit autour d'une thématique
bien précise : la question de la nature et l'environnement. Cela se veut très
ciblé. L'opération de la société Sobraga vise, elle, à un divertissement total.
Cela laisse donc le choix au public».
Annulations
|
François Onana |
La rareté du
public accentuée par le fait que le programme des projections s’élaborait au
jour le jour, ce qui ne permet pas de fidéliser le public. Par ailleurs, sur ses affiches, le
festival annonçait d’autres activités : des conférences, des ateliers de
formation et un marché du film. Un seul atelier s’est tenu, animé par François
Onana, scénariste et réalisateur gabonais. L’année dernière, au cours de la
première édition du festival, les spectateurs s’était montré intéressé à
acquérir des copies des films pour les partager avec leurs familles. Le marché
du film devait essentiellement être consacré à productions gabonaises sorties
en Dvd. Il n’a pas eu lieu.
Cette seconde édition
du festival du film de Masuku avait pour marraine Danny Sarazin, directrice du
Festival international du film animalier et sur l’environnement qu’elle
organise depuis 1996 à Rabat au Maroc. Deux évènements qui ont pour but de
sensibiliser, à travers l’image, le grand public sur la préservation de la
faune et de la flore. Imunga Ivanga est cependant optimiste : « le festival est jeune et il va grandir
d'années en années. Il en a le potentiel. Et ses initiateurs ont la volonté et
du talent. Le succès suivra naturellement. C'est un travail de longue haleine.
C'est toujours un combat de rallier le public mais un festival s'apprécie
également sur d'autres aspects ».
Nadine Otsobogo
« Le public est timide à la thématique de l’environnement »
Déléguée générale du Festival du film de Masuku, elle
fait le bilan de cette 2ème édition et annonce les couleurs de la
prochaine.
Quel bilan faites-vous de cette 2ème édition du Festival du film
de Masuku ?
Le bilan est assez positif car à la 1re édition, on n’avait pas
eu autant de film ni autant d’engouement. Notre parrain de l’année dernière [Le
ministre sénégalais de l’Environnement, Ndlr] n'avait pas pu se déplacer. Cette
année, nous avons eu une marraine qui était là. Elle a apprécié les films et
l’initiative. Des bénévoles ont fait le déplacement depuis Libreville pour nous
soutenir. Il y a des choses à améliorer évidemment, mais c’est positif,
sincèrement, dans l’ensemble. Je dis un grand bravo à tout le comité
d'organisation de ce festival.
Certains invités, annoncés au départ, ne sont pas arrivés. Le marché du
film annoncé a été annulé. Que s’est-t-il passé ?
On n’avait pas tenu compte de l’administration tout simplement. Certaines
personnes n’ont pas eu le temps pour les visas, les délais étant justes. C’est
le cas du tunisien Habib Ayeb qui s’est désisté tout en nous encourageant. A la
première édition, il n’y avait pas d’invités internationaux. C’était donc la
première fois qu’on était confronté à ça. Par ailleurs, on s’est rendu compte
que c’était un peu tôt pour le marché du film, on l’avait annoncé pour les
réalisateurs gabonais d’abord et ils se sont désistés au dernier moment, alors
qu’ils avaient donné leur accord de principe.
Que comptez-vous faire justement pour conquérir la confiance des
professionnels du cinéma gabonais qui semblent bouder ce festival ?
Bouder c'est un grand mot! Pour l'instant, je
crois qu'ils ne s'y retrouvent pas. On se méfie en général de ce qui est
nouveau, et nous n'avons pas à conquérir ces personnes. Le but de notre
association est la culture pour tous. Et l'environnement, c'est l'affaire de
tous. On a eu beaucoup moins de partenaires que l’année dernière.
Cette année aussi à Franceville, au mois d'août, il y a eu au moins trois
projections organisées par d’autres structures, ce qui n’était pas du tout
prévu pour nous. Nous ne sommes pas en concurrence, nous encourageons les gens
à s’unir pour proposer le meilleur de la culture gabonaise et internationale
puisqu’on a le même but, et non pas se disperser à mettre plusieurs festivals,
plusieurs écrans dans le même pays, la même ville pendant la même période. Il
faut qu’on puisse être cohérents.
Le public est resté timide, comment entendez-vous l’intéresser pour les
prochaines éditions ?
Le public est plutôt timide à la thématique de
l'environnement, je pense. Mais vous avez remarqué quand nous avons projeté les
films de Jean-Claude Cheyssial, le public était assez intéressé, certainement parce
que c'est filmé au Gabon. Donc, nous allons revoir notre programmation et, avec
les conseils de Danny Sarazin, notre marraine, multiplier les initiatives sur
l'environnement tout au long de l'année.
Y a-t-il des difficiles particulières à l’organisation d’un festival à
thème ?
Certainement. Déjà organiser un festival n'est pas une petite affaire, mais
en plus, avoir une thématique, c'est pas facile. C’est très dur, j’apprends
juste que les gens ont parfois la langue bien pendue, ils promettent beaucoup
et à la fin, rien du tout. Ce festival, c’est comme une petite niche mais
l’environnement qui est notre quotidien. C’est beaucoup plus sain de parler de
ce quotidien. Le Gabon, l’Afrique, le monde est un bel environnement que l'on
doit protéger, et notre sensibilisation passe par l'image. On a l'impression
que c'est restreint mais c'est vaste.
En deux ans, avez-vous le sentiment que vous avez contribué à faire prendre
conscience de la nécessité de protéger l’environnement ?
Ça va prendre du temps mais je sais que petit à petit, les gens vont capter
et comprendre. A un moment donné, ils vont se dire : on veut autre chose,
un environnement sain, une ville propre, des forêts protégées. Je suis
persuadée de ça.
Que peut-on attendre déjà de ce festival l’année prochaine ?
Déjà, les réalisateurs qui n'ont pas pu se déplacer seront réinvités, les
films qui n'ont pas pu être projetés seront reprogrammés. Ce festival est comme
un bébé. L’année prochaine, il aura 3 ans, il pourra, on l'espère, se mettre
debout et marcher.
Dossier réalisé par Stéphanie Dongmo