jeudi 6 janvier 2011

Livre : Voici les nouveaux Français


A travers le récit de quatre destins amoureux de femmes, Léonora Miano décrit la France multiraciale d'aujourd'hui.

Dans cette vie, y a-t-il quelque chose de plus important que l'amour ? Non, serait la réponse de Léonora Miano. Parce qu' « on vit plus d'amour que d'allocation familiale », l'écrivaine camerounaise en a fait le thème central de son dernier livre, « Blues pour Élise ». Ce roman éclaté raconte l'histoire de quatre femmes qui ont fait de la recherche de l'amour l'ambition de leur vie. Elles ont la trentaine, un emploi, un logement, et pas de problèmes de papiers.

Après deux années de « jachère », Akasha est plus que jamais décidée à trouver l'amour. Elle ne veut surtout pas finir comme sa mère, canne à sucre que l'on a mâchée, pressée et recrachée. Mais quand vient l'heure de se lancer dans le speed dating [rencontres amoureuses rapides et en série, ndlr], elle reste à la rive de la vie où elle a échoué. Depuis qu'Amahoro, l'extravagante, a fait à son amant une caresse spéciale en un point éminemment intime, il a pris ses distances, persuadé qu'elle lui a caché des pans obscurs de son existence. Malaïka est de celles dont le corps potelé raconte les batailles perdues pour « entrer dans la norme ». A la veille de son mariage, elle est assaillie de doutes. Et si Kwame ne l'épousait que pour avoir les papiers ? Étrangère de sa propre famille, Shale est amoureuse d'un homme qui l'a convaincu de retourner avec lui sur le continent qui est le sien.

Léonora Miano raconte deux générations de femmes increvables et corvéables qui luttent pour sortir des clichés dans lesquels les hommes les ont enfermé pour mieux se la couler douce. A côté des quatre, il y a Elise, Fanny, Marianne, Bijou, Coco... Une flopée de personnages dont les histories s'entremêlent et se heurtent parfois, exigeant du lecteur un surcroit d'attention.

Léonora Miano a voulu faire un roman léger, tout en restant sur le récit des blessures intimes des Afropéens, un terme qui lui est cher et qu'elle a déjà développé dans « Tels des astres éteints ». Elle parle d'amour. Mais l'amour est tributaire de la société dans laquelle on vit. Aussi retrouve-t-on dans « Blues pour Elise » des thèmes engagés comme la quête identitaire, le poids des traditions, les haines ancestrales entre Caribéens et Subsahériens. Miano raconte, de l'intérieur, les déchirures intérieures, les écartèlements de femmes prises entre deux mondes, leurs difficiles « remembrements » pour que le passé devienne enfin l'Histoire, et non plus le présent perpétuel.

Pour parler d'une France multiraciale, de nouveaux Français, elle a choisi d'écrire un roman hybride où on retrouve créolismes, anglicismes, camfranglais et interludes musicaux. Ce livre dans lequel l'on swingue tour à tour avec Millie Jackson, Sandra Nkaké, Valery Boston et Casey est bon à lire avec un accompagnement musical, pour en saisir tout le sens et se laisser pénétrer par l'univers de l'auteure.

Stéphanie Dongmo


Léonora Miano

Blues pour Élise (roman)

Ed. Plon, Paris, septembre 2010

196 pages

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