mardi 26 juin 2012

Ambroise Mbia : « Mes 50 ans de carrière m’ont comblé »

Il est comédien, metteur en scène, enseignant de théâtre, fondateur des Rencontres théâtrales internationales (Retic) et président du Conseil régional Afrique de l’Institut international du Théâtre de l’Unesco, pour ne citer que ces titres. Agé de 70 ans, Ambroise Mbia célèbre, dès le 27 juin prochain, ses 50 ans de carrière. Cette icône du théâtre africain a laissé son empreinte aussi bien dans le cinéma que dans le théâtre. Il a notamment joué dans le film « Profession reporter » sorti en 1975, aux côtés de l’Américain Jack Nicholson, et dans « Le Cercle des pouvoirs » du Camerounais Daniel Kamwa. Ancien pensionnaire du Théâtre de France, il compte à son actif plus de 300 pièces de théâtre radiophonique, 15 films au cinéma, 30 films dans les chaînes de télévision françaises et 60 pièces de théâtre. Il nous a ouvert les portes de sa maison à Mfida, par Akono, en avril dernier. Entretien à bâtons rompus. 

Ambroise Mbia
  
Vous célébrez, dès le 27 juin 2012, vos 50 ans de carrière. Qu’est-ce que cela représente pour vous ?
50 ans de carrière, pour moi, est une étape importante parce que quand je regarde dans le rétroviseur, je me rends compte que j’ai essayé de faire mon métier, mais surtout d’aider. Je crois que je n’ai pas fait ce métier pour moi-même. J’ai commencé par apprendre mon métier et je me suis donné une ligne de conduite pour travailler comme un professionnel. Un professionnel qui devait faire du cinéma, du théâtre, de la radio, de la télévision, enseigner le théâtre, diriger et conseiller certains opérateurs culturels, participer à plusieurs manifestations de prestige comme membre du jury ou directeur artistique…  Ces 50 ans de carrière m’ont comblé parce qu’ils m’ont donné l’occasion de rencontrer des gens, des hommes de théâtre qui m’ont marqué, de partager et surtout de dire que le théâtre est un métier noble. Je ne regrette pas de l’avoir choisi. 

Quel est le programme de cette célébration ?
Je vais remonter sur les planches dès le 27 juin comme comédien dans une pièce du Congolais Emmanuel Dongala. Cette pièce intitulée « La femme et le colonel » a trois personnages. J’ai comme partenaire Florisse Adjanohoun qui est une grande comédienne béninoise. J’y ai associé un de mes fils, le comédien camerounais Ousmanou Sali qui, pour moi, a beaucoup de talent. La mise en scène sera co-signée par le Tchadien Vangdar Dorsouma et la Camerounaise Elise Mballa Meka, une ancienne du théâtre universitaire. Blazz Design va faire les costumes et Alvarez Dissaké les décors. Je donne rendez-vous au public de Yaoundé les 27, 28 et 29 juin à 20 heures à l’Institut français de Yaoundé. 

 Quel bilan faites-vous de vos 50 ans de carrière ?
J’ai aidé le maximum de personnes, c’est ça le plus important pour moi. Je suis quelqu’un qui positive, j’accepte la critique parce qu’elle me permet de me remettre en cause. Je ne peux pas dire que je ne suis pas content d’avoir choisi ce métier. J’ai tiré des leçons, j’ai compris qu’il fallait rechercher le dialogue, aller aux spectacles tous les jours pour voir le travail des autres. Je me dois d’être disponible pour donner à chaque fois un petit point de vue. Quand on fait le théâtre, c’est pour le public. Je ne fais pas le théâtre parce que j’ai envie de devenir quoi que ce soit, ou de prouver que je suis qui que ce soit. Ma préoccupation, c’est de partager avec le public et c’est ce que je vais faire. Il faut vivre avec sa conscience, la mienne est un peu tranquille en ce moment. Parce que, avoir 70 ans le 27 juin, fêter ses 50 ans de carrière et organiser en novembre les 20 ans des Rencontres théâtrales internationales du Cameroun, je prie Dieu pour que cela se réalise, pas pour moi-même, mais pour le métier que j’ai choisi et que je respecte, et pour le public qui m’a encouragé à être ce que je suis aujourd’hui.
 
Hommage à Ambroise Mbia à Tunis.
20 ans après sa création, quelle est la situation des Retic ?
C’est un festival qui a, au cours des années, donné l’occasion aux hommes de théâtre camerounais et africains en général de présenter leur travail devant d’éminentes personnalités venues aux Retic pour acheter des spectacles, accorder des bourses à ces artistes ou les former. Ce festival est à sa 20ème édition, il a connu des hauts et des bas. Il a surtout fallu que l’équipe qui travaille avec moi y mette du sien. Je la félicite parce que ce sont des jeunes qui se sont sacrifiés car nous avons connu d’énormes difficultés. Ce qui ne veut pas dire que nous avons été lâchés. Nous avons été soutenus, peut-être pas tout le temps, mais nous devons comprendre que les personnes, les organismes qui soutiennent ne sont pas des guichets automatiques et qu’ils ont beaucoup de sollicitations. Ce festival a donné l’occasion aux hommes de théâtre africains d’être présents aux grands rendez-vous internationaux. 

Les Retic peuvent-elles survivrent sans Ambroise Mbia ?
Pourquoi pas ? Pendant 20 ans, nous avons formé un certain nombre de jeunes, ceux qui sont là pourront continuer. Les Retic, ce n’est pas l’affaire d’Ambroise Mbia. On en fait son affaire parce qu’il est obligé de faire en sorte que les engagements des Retic soient honorés, comme payer les cachets des artistes. C’est une manifestation qui a, à sa tête, pas moi, mais de jeunes qui sont prêts à assurer la relève. Mon souhait est que ces jeunes connaissent moins de difficultés le jour où je ne serai plus là. Ce qui veut dire que, si un jour, les moyens peuvent permettre que ce festival soit inscrit au budget de l’Etat, ce serait l’occasion de pérenniser un projet qui est inscrit parmi les festivals internationaux représentatifs de l’Institut international du théâtre Unesco. 

Justement, en mars 2012, vous avez été élu président du conseil régional Afrique de l’Institut international du théâtre (Iit), présentez-nous cet organisme… 
L’Institut international du théâtre est un organisme qui a été créé par l’Unesco en 1948 pour développer les arts de la scène dans le monde. Pour être plus précis, il s’agit de développer le théâtre, la danse et le théâtre de rue. L’Institut international du théâtre organise chaque année deux journées mondiales : une consacrée à la danse le 29 avril et une autre au théâtre le 27 mars. C’est un réseau de plus de 100 pays à travers le monde; c’est le plus vaste réseau pour la promotion des arts du spectacle. Il se trouve qu’en Afrique, nous avons 15 pays dans les zones d’Afrique du Sud, d’Afrique du Nord, d’Afrique de l’Est, d’Afrique centrale et d’Afrique de l’Ouest. Il s’agit donc, pour Ambroise Mbia, président du conseil régional Afrique de l’Institut international du théâtre, de coordonner les activités de ces centres africains. 

Quelles sont les opportunités qu’offre cet organisme ?
L’Institut international du théâtre offre beaucoup d’opportunités. Il y a des comités spécialisés dynamiques dans tous les domaines du métier des arts du spectacle. Il y a des comités internationaux du théâtre dramatique, des jeunes praticiens du théâtre, des auteurs dramatiques, des droits de l’homme, de l’identité culturelle et du développement, des festivals internationaux… Il y a une vingtaine de comités spécialisés, et même des associations spécialisées comme celle des architectes scénographes, des régisseurs, des critiques de théâtre, du théâtre pour enfants et la jeunesse… 

Quelles sont vos priorités à la tête du conseil régional Afrique de l’Iit?
Nous avons, lors de l’élection, arrêté un organigramme : il y a un vice-président chargé des partenariats, un secrétaire général chargé de la formation et de la communication, un secrétaire général chargé des manifestations culturelles. À un mois de mon élection (avril 2012, ndlr), je ne peux pas me permettre de dire au Cameroun, je vais faire ceci ou cela. Nous avons un programme de rencontre. La prochaine aura certainement lieu au mois de juin et je pense que c’est à cette occasion-là que je pourrais parler. 

Vangdar Dorsouma co-signe la mise en scène de La femme et le colonel.
Quelle est la signification de cette nomination pour le Cameroun?
Oui, c’est vrai, je suis Camerounais, mais comprenez que ce poste n’est pas seulement là pour servir le Cameroun mais toute l’Afrique. Il ne s’agit pas de faire du favoritisme. Je peux faire un bilan des efforts qui ont été faits pour aider le Cameroun. Beaucoup de jeunes Camerounais nous en sont infiniment reconnaissants. Nous devons continuer en sachant qu’on ne m’a pas élu à ce poste pour que toutes les retombées reviennent au Cameroun. Il faut quand même nous laisser le temps de faire le travail qui nous a été assigné. Jugez-nous au bout d’un an ou deux et vous verrez certainement que nous aurons avancé, parce que nous travaillons en équipe.

Depuis 15 ans, vous êtes le président du conseil camerounais de l’Institut international du théâtre, quel est votre bilan ?
Le bilan c’est beaucoup de stages de formation destinés non seulement aux jeunes mais aussi aux aînés, à l’exemple de Alex David Nlongang, Valéry Ndongo, François Bingono, André Takou Sa’a et bien d’autres. Grâce à l’Iit, beaucoup de spectacles ont circulé, beaucoup de jeunes ont participé au congrès mondial du théâtre, la plate-forme la plus prestigieuse. Ce n’est pas à moi de faire le bilan, mais tous ces jeunes bénéficiaires vous diront qu’on a essayé de faire ce qu’on avait à faire. Moi, j’ai envie de dire que nous sommes satisfaits du travail que nous avons réalisé. Évidemment, si nous trouvons une bourse comme celle obtenue pour Daniel Nfor, qui est le premier scénographe camerounais à obtenir une bourse de I’Iit pour une formation au Japon, on ne va pas le crier sur les toits. L’essentiel pour nous c’est de faire le travail. On ne peut peut-être pas trouver dix bourses par an, mais si on en trouve deux ou trois, alors c’est pas mal. Il faut souligner qu’il n’y a pas d’enjeux financiers. L’Iit ne finance pas mais offre des possibilités. Il y a même pour tous les pays membres une contribution importante à payer chaque année. Bien sûr, les contributions ne sont pas du même montant, les Etats-Unis paient un peu plus, mais nous sommes obligés de payer pour profiter des avantages à offrir aux hommes du théâtre. On est tous dans ce bateau pour défendre le théâtre.
Propos recueillis par Stéphanie Dongmo

samedi 16 juin 2012

Festival : la mode sous toutes ses coutures

La 3ème édition du Forum des métiers de la mode et du design, organisé par Yves Eya’a, s’est achevée le 15 juin par un défilé de mode à Yaoundé.

Exposition à l'Institut français de Yaoundé. Une création de Samba Diaw.


Du 12 au 16 juin derniers, Yaoundé a accueilli le Forum des métiers de la mode et du design organisé par le Centre des créateurs de mode du Cameroun (Ccmc) que dirige Yves Eya’a. Le but de cette troisième édition était la « valorisation et le développement des industries de la mode et de création au Cameroun ». A cet effet, les créateurs ont travaillé sur un tissu en noir et blanc imposé par l’organisation, un produit de la collection Ebony de la Cicam.
Institut Goethe de Yaoundé. Les panélistes à la conférence. Photo Goethe.
Pendant six jours, des experts français et allemands ont animé des ateliers de formation à l’intention de jeunes créateurs de mode et design. Les activités ont porté sur les techniques de coupe et de couture, sur les finitions et sur les normes internationales des créations, entre autres. Au programme aussi, plusieurs expositions. Le Ccmc a accueilli des photographies du Français Sébastien Véronèse, l’hôtel Hilton une série de modèles de créateurs camerounais. Le Forum s’est ouvert le 12 juin dernier par le vernissage de l’exposition baptisée « Coup de cœur », composée de créations des stylistes camerounais Jamel O. et Maurice Leroy, et du Sénégalais Samba Diaw.

Ecole Best-Sabel de Berlin
Le 13 juin, c’était au tour de l’Institut Goethe d’accueillir une rencontre d’échanges entre des stylistes, notamment la Comorienne Sakina M’Sa, les Camerounais Jean Philippe Azegue et Juliette Ombang, et le public en général. Les échanges ont porté sur la professionnalisation des métiers de la mode, le regroupement des professionnels en association, l’intérêt du coton bio dans les créations, la valorisation et le développement des industries de mode et de création.
Professionnalisation

Pour Sakina M’Sa, « aujourd’hui, un créateur de mode n’est pas qu’un artiste, c’est aussi un chef d’entreprise. On a le droit de gagner de l’argent ». Et pour se faire, les créateurs doivent aussi mettre l’accent sur les finitions, l’enjeu étant la qualité du produit fini. Jean Philippe Azegue a déploré le fait que les créations camerounaises ne respectent pas toujours les normes internationales et peu de marques s’exportent. D’où la nécessité de créer des entreprises de couture. Il a ajouté que les créateurs camerounais soient abandonnés à eux-mêmes, en soulignant la nécessité du soutien de l’Etat d’appuyer les regroupements existants comme la Fédération camerounaise du prêt-à-porter.

Création de Juliette Ombang
Juliette Ombang, fondatrice de la marque Black Giraffe depuis 1980, s’est étendu sur l’opportunité que représente le prêt-à-porter pour les créateurs camerounais. D’ailleurs, se désole-t-elle, « 90% de ce que les boutiques vendent, c’est du prêt-à-porter importé de l’étranger. Il faut faire du prêt-à-porter pour la clientèle locale, et il y a une clientèle. Moi-même, je ne produit pas assez par rapport à la demande ». Pour elle, les problèmes de la mode au Cameroun sont de plusieurs ordres : le manque d’organisation, le manque d’infrastructures, les difficultés d’accès à la matière première et l’absence de main d’œuvre qualifiée.

Le 3ème Forum des métiers de la mode et du design s’est achevé le 16 juin par un défilé de mode à la résidence de l’ambassadeur de France au Cameroun, Bruno Gain, en présence de l’ambassadeur de la République fédérale d’Allemagne et des membres du Cercle des amis du Cameroun (Cerac). Ce défilé s’est déroulé sur le thème « Regards croisés des cultures », avec des collections de Sakina M’Sa avec l’école Notre Dame des Victoires de Mvog-Ada, de Florence Amanoga Oloumou, de Dio Ali, de Georges Boutsili Embolo, de Josiane Tchekoudjouo, de Juliette Ombang et de l’école Best-Sabel de Berlin. Avant cela, pendant le cocktail, il y a eu une projection de photographies de Sébastien Véronèse, assurée par l’équipe du Cinéma Numérique Ambulant Cameroun, qui a bravé la pluie pour installer son écran en plein air.

Yves Eya'a
Pour Yves Eya’a, l’organisateur de ce forum, l’ambition de cet évènement est de « préparer au mieux les entreprises à rejoindre le monde de la mode internationale, d’encourager les créateurs à se nourrir de l’extérieur tout en conservant leur implantation locale. L’idée de ce forum naît du souci de professionnaliser les entreprises camerounaises dans le secteur des industries créatives en générale ».

Stéphanie Dongmo  

jeudi 7 juin 2012

Jean-Marie Teno : « Toute censure est imbécile »

Réalisateur et producteur camerounais installé en France, Jean-Marie Teno est âgé de 58 ans. Le documentariste rencontré à Cannes parle de la censure des films au Cameroun, donne son avis sur le projet « Shoot in Cameroon » du ministère des Arts et de la Culture, se désole de la place congrue réservée au documentaire dans les cinématographies africaines et évoque ses projets.

Jean-Marie Teno sur la croisette.
 Quel regard portez-vous sur les films africains en compétition à cette 65ème édition du festival de Cannes ?

Il n’y en a pas beaucoup. « Après la bataille » est en compétition officielle pour la palme d’or. J’ai trouvé ce film très lucide. Dans la catégorie « Un certain regard », « La Pirogue » est un film très fort, « Les chevaux de Dieu » aussi. Ce sont des films qui posent des questions importantes.

Vous venez régulièrement à Cannes, que représente pour vous ce festival ?

Je viens à Cannes une fois tous les deux/trois ans. Je suis à Cannes pour prendre des contacts, pour savoir ce qui se passe avec les différents fonds, pour trouver des partenaires pour mes projets et pour faire mon marché. Cette année, je suis aussi venu à Cannes parce qu’un de mes amis, Moussa Touré, avait son film en compétition. Cela me fait plaisir de venir le soutenir.

Le festival c’est comme un marché où il y a plein de films, des colloques, des gens à voir. C’est un espace d’où on peut tirer beaucoup de choses. En plus, ce festival est à sa 65ème édition. Les festivals africains devraient s’inspirer de l’organisation d’un festival comme celui-ci plutôt que, trente ans après, continuer à répéter chaque année les mêmes erreurs, comme si c’était cela leur marque de fabrique.

Vous pensez au Fespaco ?

Par exemple. Je pense aussi à d’autres festivals qui ne se mettent pas dans une perspective d’avancement et d’ouverture pour permettre au festival de grandir et aux gens qui y viennent de trouver leur compte.
L'affiche du film
Cela fait bien longtemps qu’on n’a pas vu de film camerounais à Cannes. N’avez-vous pas un petit pincement au cœur de voir que d’autres films africains y sont ?

Non, je n’ai pas de pincement au cœur. Quand on fait un film, ce n’est pas seulement pour Cannes. Montrer un film à Cannes, ce n’est pas comme si c’était un couronnement parce qu’il y a beaucoup de choses inégales dans la compétition. Etre à Cannes, c’est bien car il y a une exposition. Mais on n’est pas arrivé. On a un film à Cannes et on en parle pendant un moment et puis, ça s’arrête. En même temps, être à cannes c’est le glamour.

Il y a un travail à faire au niveau du cinéma africain : mettre en place des infrastructures solides pour qu’il y ait des productions régulières, des films qui se font dans la continuité. Il faut impulser un mouvement. Le cinéma, il faut le voir sur la durée, sur ce qu’il peut apporter au pays : une visibilité, des retombées culturelles, économiques et même politiques. Parce que le cinéma a toujours servi à poser aussi de grandes questions à la société.

N’est-ce pas pour cela qu’il fait peur ?

Tout fait peur chez nous : la presse écrite, le cinéma, le fait même de penser. Et cela fait peur parce qu’il y a des gens qui sont installés là, qui mangent et considèrent toute opinion contraire comme une atteinte à leur jouissance. Il faudrait qu’on laisse le cinéma jouer son rôle de critique sociale, d’agitateur d’idées et même de provocateur. Or, quand des gens se permettent de vouloir censurer le cinéma, c’est un peu comme s’ils se disaient qu’on est dans une société parfaite et qu’ils ont toutes les solutions. Et donc, toutes ces histoires de censure dont j’entends encore parler aujourd’hui au Cameroun sont d’une autre époque. Avant qu’on pense à venir à Cannes, il faudrait d’abord laisser la liberté aux gens de créer, leur donner les moyens de créer.

A ce propos, la ministre camerounaise des Arts et de la Culture est à Cannes pour présenter le projet « Shoot in Cameroon », pour la seconde année consécutive. Une telle initiative est-elle compatible avec la censure ?

Ce qui est paradoxal, c’est que la ministre vient à Cannes depuis deux ans et c’est depuis deux ans qu’il y a une recrudescence de la censure des films au Cameroun. Il faut se demander qu’est-ce qu’elle tire de son séjour à Cannes, qui sont les gens qu’elle rencontre et quelles sont les stratégies qui sont développées par la suite. Pourquoi venir à cannes, un espace avec autant de liberté et des films qui abordent tous les sujets possibles, et retourner au pays pour plutôt renforcer une censure qui est forcément une censure imbécile, parce qu’il n’y a pas de censure qui soit juste ? Qui donne le pouvoir à quelqu’un de décider que les Camerounais peuvent voir ça ou ne peuvent pas voir ça ? C’est considérer tous les Camerounais comme étant des enfants. Et la décision revient à un fonctionnaire qui n’a aucune formation, si ce n’est le fait d’occuper un poste. Or, vous allez sur internet, vous pouvez tout voir. Les films pornographiques se vendent dans les rues de nos villes… Cela n’honore pas du tout le pays de censurer des films qui posent des questions.
Une scène du film "Lieux Saints".

Que pensez-vous du projet en lui-même qui est d’inciter les producteurs étrangers à venir tourner leurs films au Cameroun ?

C’est très intéressant d’inviter des gens à venir tourner au Cameroun. Mais je crois que la meilleure façon de faire aurait été de se réunir avec beaucoup de cinéastes. Moi, personne ne m’a abordé, et c’est à Cannes que j’entends parler de ce projet. Pense-t-on que les étrangers viendront plus tourner au Cameroun que les Camerounais eux-mêmes ?

J’ai tourné 90% de mes films au Cameroun. S’il y a une initiative qui donne des avantages à tourner au Cameroun, ça aurait été bien d’associer les cinéastes camerounais de manière à ce qu’eux-mêmes soient les premiers à en bénéficier et à promouvoir cette initiative. En même temps, c’est quelque chose qui est contradictoire. On ne peut pas être à la fois en train de censurer et inviter les gens à venir tourner chez soi. On ne peut pas dire aux gens : venez tourner au Cameroun mais surtout, ne venez pas tourner des films qui dérangent. Qui serait prêt à aller tourner dans un pays où on le censure ? Je crois que c’est là où il y a une réflexion qui n’est pas encore suffisamment aboutie. Partout dans le monde, la censure est en train de disparaître. Il faut laisser aux gens la liberté, qu’ils y aient des contre-images, que le débat commence et que les gens réfléchissent. C’est ce qui fait avancer les choses.

Quelles sont les difficultés que vous, cinéastes camerounais, rencontrez lorsqu’il est question de faire un film au Cameroun ?

Moi, j’ai affronté tout genre d’épreuves. Chaque policier dans la rue pense qu’il a autorité pour venir te demander qui t’a donné le droit de filmer, où est ton autorisation ? Moi, je répliquais : qui t’a donné l’autorisation de venir me demander mon autorisation ? Tous les quarts d’heures, je devais m’arrêter pour présenter mon autorisation à un type qui, en plus, me cassait les pieds pour me demander sa bière. Et c’est parce qu’il y a la censure que les gens se croient autorisés à penser qu’ils peuvent, à tout moment, harceler les cinéastes qui ne se sentent pas en sécurité

Après « Lieux saints », votre dernier film sorti en 2009, quels sont vos projets ?

C’est un film sur la place des pouvoirs traditionnels dans l’architecture du pouvoir, sur lequel je travaille depuis longtemps. J’ai fait beaucoup d’images, je vais essayer de le finir. Et puis, il y a un film sur le voile au Niger dont je suis en train de chercher le financement en ce moment. Après cela, je vais me lancer dans la fiction, c’est important.

Pourquoi ce besoin de revenir à la fiction ?

J’aborde mes films de différentes façons et là, j’ai envie de repartir vers la fiction. C’est bien de raconter une bonne histoire, c’est bien de diriger des acteurs, c’est bien de s’amuser un peu.



Une scène du film fiction "Clando".
Quelle est la place du documentaire dans les cinématographies africaines ?   

C’est à vous, les journalistes, de répondre à cette question. Nous, les documentaristes, sommes des marginaux là-dedans. Mais moi, je ne me sens pas marginalisé. Derrière moi, il y a une œuvre qui existe. J’ai continué à faire des films documentaires. Pas des reportages, parce que parmi les jeunes générations, il y a des gens qui prennent leur petite caméra, vont tourner n’importe quoi et appellent ça du documentaire. Moi, je fais du documentaire et non du reportage. S’ils sont marginalisés, c’est aussi parce que, quelque part, ils attaquent les problèmes sociaux comme les journalistes à la télé et ne font pas du documentaire. Donc, il faut déjà lever cette ambiguïté. Moi, je ne fais pas un travail de journaliste mais de cinéaste. Dans le documentaire, il y a une dimension réflexive qui te permet de dépasser la surface pour aller tout au fond des questions, faire un travail d’analyse assez poussé.  

Et comment se porte le documentaire africain ?

Ce n’est pas à moi de répondre à cette question. Quand j’ai lancé au Fespaco le côté documentaire qui a duré pendant un moment, on s’est rendu compte qu’il y avait de plus en plus de documentaristes qui naissaient, de plus de plus de films documentaires intéressants qui arrivaient. Il y a des gens qui sont intéressés par ce genre. Mais en même temps, ils ont besoin de se retrouver dans des espaces pour pouvoir échanger. Mais ça s’est arrêté à cause des histoires de financement et aussi parce que quelqu’un comme moi a une approche du documentaire qui est basée sur la liberté. Je crois qu’il n’y a pas de documentaire sans une liberté, de penser, d’écrire. Certains se sont dit que c’est trop dangereux que ce genre de propos continue à être véhiculé.

Donc, il fallait cadrer et c’est pour cela qu’il y a plein de structures qui se sont mis en place pour encadrer ces jeunes africains et les enfermer dans une espèce de carcan. Il y a des structures qui forment des Africains à faire du documentaire. Curieusement, parmi les formateurs, il n’y a pas de documentariste africain confirmé, parce qu’ils préfèrent leur fixer des cadres dans lesquels ils vont rentrer. Or, chaque genre correspond aussi à un propos. Ce qui a été à la base même du cinéma africain est en train d’être tué par ces formations dispensés par des gens qui ne connaissent même pas le contexte dans lequel ces films sont faits. Et donc, on peut dire que le documentaire est marginalisé parce qu’il est dans un espace qui essaie de le globaliser en le tirant constamment par le bas.

Le film documentaire, c’est une personne qui regarde le monde. Et tant que vous ne voyez pas une œuvre, vous ne voyez pas une démarche, vous ne voyez pas une réflexion. Le documentaire, contrairement à ce qu’ils pensent, ce ne sont pas des petites victoires, c’est un cheminement.
L'affiche d'un film.
Comment êtes-vous arrivé au cinéma ?

Par passion. C’est quelque chose qui m’a plu depuis tout petit, je regardais beaucoup les films hindous que j’aimais. J’ai fait des études en communication et audio-visuel, j’ai eu une maîtrise, et j’ai appris beaucoup en regardant, en lisant, en me documentant et en commençant à faire. Je n’avais pas beaucoup de modèle. J’essayais de construire mon propre modèle en fonction des questions que je me posais. Ma carrière n’est pas finie, je compte encore faire plein de films. Pour le moment, je suis content de la réaction que mes films suscitent. Pour moi, le cinéma, c’est ma réflexion sur le monde. Je regarde le monde et quand des choses ne me conviennent pas, j’en parle.

Et qu’est-ce qui, en ce moment, ne vous convient pas ?

J’ai rencontré un gars au mois de mars à Paris, Bertrand Teyou, à l’occasion de la sortie de son livre « L’archipel des pingouins ». Quand j’ai lu ce livre, j’avais les larmes aux yeux. J’avais déjà rendu visite à Puis Njawé [Fondateur du journal Le Messager décédé en 2010 aux Etats-Unis] à la prison de New Bell [prison centrale de Douala] en 1998 et il parle un peu des conditions de vie dans cette prison dans le film « Chef ! ». Il y a deux ans, j’ai rendu visite à Lapiro de Mbanga [Musicien camerounais accusé d’avoir pris une part active dans les émeutes de février 2008] dans cette même prison et j’ai vu qu’il y avait plus de monde qu’à l’époque où Puis y était. C’était comme une espèce de marché, ça sentait mauvais. Et quand j’ai lu ce qu’a écrit Teyou, j’ai constaté qu’en 15 ans d’écart, c’est devenu d’une telle inhumanité ! Parfois, on pense qu’on a touché le fond mais c’est comme si des gens vous disaient que ça peut encore être pire. Un pays qui se respecte ne peut pas continuer à accepter que des gens, quelle que soit la faute qu’ils ont commise, vivent dans ces conditions-là. C’est inhumain, c’est presque criminel. Humainement, ce n’est pas acceptable. C’est une honte pour notre pays. J’en ai la chair de poule.

Vous comptez faire un film sur ce sujet ?

Pourquoi pas ?

Propos recueillis par Stéphanie Dongmo à Cannes


Filmographie non exhaustive de Jean-Marie Teno

-          Fièvre Jaune - Taximan, 1985, cm, fiction

-          Hommage, 1985, cm, documentaire

-          La Gifle et la caresse, 1986, cm, fiction

-          Bikutsi Water Blues L'eau de misère, 1988, lm, fiction

-          Le Dernier voyage, 1990, cm, fiction

-          Mister Foot, 1991, cm, documentaire

-          Afrique, je te plumerai, 1992, lm, documentaire

-          La Tête dans les nuages, 1994, cm, documentaire

-          Clando, 1996, lm, fiction

-          Chef !, 1999, lm, documentaire

-          Le Mariage d'Alex, 2003, mm, documentaire

-          Malentendu colonial (Le), 2004, lm, documentaire

-          Lieux Saints, 2009, lm, documentaire

dimanche 3 juin 2012

Cinéma : un festival dans les foyers d’immigrés

Rendu à sa 4ème édition, il est l’initiative de l’association Attention chantier basée en France, en partenariat avec le Cinéma Numérique ambulant. Les activités se déroulent tous les week-end du mois de juin 2012.

samedi 2 juin 2012

Littérature : Didierlaurent, prix Hemingway 2012

Le nouvelliste de la tauromachie a été distingué le 25 mai dernier, au cours de la Feria de Nîmes en France.
 Nimes, 25 mai 2012. Didierlaurent interrogé par le journaliste Claude Sérillon. A côté, Marion Mazauric, directrice des éditions Au Diable Vauvert et co-fondatrice du prix Hemingway.

Nîmes, 25 mai 2012. Il est 19h et la Feria (fête populaire annuelle centrée sur la tauromachie) bat son plein, à l’issue de la Corrida (course de taureaux consistant en un combat à l’issue duquel le taureau est mis à mort). Les populations de la vile et de ses environs festoient autour de concerts en plein air, en sirotant du vin et en mangeant de la paella (plat à base de riz). Au milieu des arènes, sur le sable fin, se déroule la cérémonie de remise du prix Hemingway 2012. Pour cette 8ème édition, le prix littéraire est décerné à Jean-Paul Didierlaurent.

Cet ingénieur informatique, habitant des Hautes-Vosges, avait déjà été distingué en 2010, après avoir été trois fois finaliste. Sa nouvelle intitulée « Mosquito » raconte l’histoire d’un musicien qui découvre la tauromachie. « Je suis très heureux de recevoir le prix Hemingway pour la seconde fois. C’est la nouvelle qui m’a amené à ce monde de la tauromachie que je ne connaissais pas. Cette année étrangement, j’ai vraiment eu le sentiment que je partais du monde de la tauromachie pour pénétrer dans celui de la nouvelle », affirme Didierlaurent.

Le jury présidé par la femme de lettres Laure Adler a eu à examiner plus de 200 textes dont la moitié en espagnol, venus de France et d’Espagne, mais aussi du Guatemala, de Colombie, du Venezuela, du Mexique, du Pérou, du Salvador, de l’Uruguay, d’Argentine, du Canada, des Etats-Unis et d’Italie. D’après le comité d’organisation, « les noces de la littérature et de la Feria sont fécondes. Jamais autant d’écrivains n’ont envoyé de textes. Force est de constater que cette année, la langue espagnole prend de plus en plus d’importance. Se prête-t-elle mieux au conte ? » L’année dernière, l’organisation du prix avait eu la surprise de recevoir des textes venus du Cameroun et du Burkina Faso, des pays où la culture de la tauromachie n’existe pas.

Car, le prix Hemingway récompense une nouvelle inédite construite autour de l’univers de la tauromachie, d’un écrivain ayant déjà publié une œuvre sur quelque support que ce soit. Il est organisé depuis 2004 par l’association Les avocats du diable, sur une idée de Marion Mazauric, directrice des éditions Au Diable Vauvert. Cette maison va publier, au cours de l’année, un huitième recueil de nouvelles qui rassemblera les 26 textes finalistes. Dès 2013, le prix Hemingway sera organisé conjointement sur deux places fortes de la tauromachie, Nîmes et Madrid, avec deux jurys distincts qui désigneront un lauréat par capitale, à partir de la même sélection internationale des finalistes.

Les autorités de la ville se félicitent de l’existence de ce prix, en ce 60ème anniversaire de la Feria. « En cette année de célébration de l’un des plus grand rendez-vous de tauromachie du monde, celui de Nîmes (si proche de Madrid…), saluons d’un brindis [geste de dédicace dans le monde de la tauromachie] fraternel le grand Ernest [Hemingway, 1899-1961] qui vécut avec tant de puissance sa passion taurine », déclare Jean-Paul Fournier, le maire de Nîmes.

Stéphanie Dongmo à Nîmes