Il aurait voulu être
philosophe. Il aurait pu être agriculteur. Il aurait dû être coiffeur. Mais il
est metteur en scène. Le nom de Martin Ambara est viscéralement collé au
théâtre qu’il pratique en tant que comédien, metteur en scène, dramaturge,
animateur d’atelier et promoteur d’un laboratoire de recherche théâtrale, Othni.
Il aurait pu s’accommoder de produire des œuvres confortables, conformistes, compréhensibles
pour le commun des mortels. Mais il ne veut pas d’un chemin bitumé, plutôt d’un
sentier de pierre où il peut s’inventer.
Sa dernière création, "Sur les traces de Djeki la Njambe",
a été représentée à Othni du 3 au 5 mai 2018. Dans cette pièce créée avec la
compagnie de danse Fleur de lotus de Bertrand Moada Yakana, Ambara revient sur
un sujet qu’il explore ces dernières années : les mythologies. En
l’occurrence une épopée sawa, peuple du littoral camerounais, sur les origines
du monde.
La
difficile enfance
La vie de Martin Ambara
n’a pas été un long fleuve tranquille. Né à Yaoundé le 11 février 1970, il est
fils unique. A 6 ans, sa mère quitte le foyer conjugal. Son père, resté seul
avec un enfant, décide de l’envoyer vivre dans son village, Ndjolé, à l’Est
Cameroun. Il y passe quatre ans avant de revenir à Yaoundé. A 16 ans, Ambara
perd son père. Commence alors pour lui une vie de ballotements. Il doit arrêter
sa scolarisation en classe de Terminale faute d’argent, alors qu’il est amoureux
de la philosophie et veut en faire son métier.
Le temps qu’il a
désormais lui permet d’écouter la radio. Il se nourrit des contes d’Evina
Ngana, dit « Awoula woula, histoire - raconte», dans le cadre de son
programme « Au coin du feu » diffusé à la Radio nationale. En 1999,
Martin Ambara envisage de retourner au village s’établir dans une cacaoyère. Il
finit par gérer travailler dans une cafétéria tournedos (Gargote installé sur
le trottoir où l'on mange en plein air le dos tourné à la route) au
centre-ville.
Entre-temps, à force
d’écouter les pièces à la radio, il s’est laissé attraper par la fibre du
théâtre. Il a envie de s’y lancer. Il se souvient toujours de ce spectacle de
conte donné par Evina Ngana à laquelle il a assisté dans les années 80 au
palais des congrès, après avoir harcelé son père toute une semaine durant pour
obtenir de lui les 500Fcfa du ticket d’accès. Il commence par répéter avec le
Théâtre indépendant d’Epée à Mony Akwa, avant de rejoindre l’Alabado Théâtre de
François Bingono Bingono. En 2002, il participe au stage de formation à la mise
en scène organisé par les Francophonies en Limousin au Bénin.
L’année suivante,
Ambara décide d’arrêter le théâtre : « on
n’était pas rémunéré, le théâtre ne rapportait pas et il y avait des problèmes
dans la rétribution des comédiens. Or, à l’époque, je louais une chambre et
j’avais une fille, j’avais besoin d’argent », se souvient-il. En
parallèle, Ambara continue à gérer son kiosque à café pour vivre. La Communauté
urbaine de Yaoundé entreprend de chasser les vendeurs qui pullulent les rues
dans le centre-ville. Le kiosque à café en paie les frais. Martin décide alors
de se faire coiffeur. Il ouvre un petit salon au marché du Mfoundi et
s’établit, laissant le théâtre derrière lui.
Le
retour sur scène
Wakeu Fogaing le décide
à venir travailler avec lui à Bafoussam, au sein de la compagnie Feugham.
Martin s’y installe début 2004. L’année d’après, Jean Mingele de la compagnie
N’goti organise un atelier à laquelle il participe avec sa pièce « Acte neuf scène dernière » qui
sera remarquée. Une nouvelle porte s’ouvre à lui. Il travaille avec Roland
Fischet en 2005 à la création de la pièce « Animal »
qui est jouée en France et en Suisse. En 2006, il réalise la
mise en espace de « La Mort vient
chercher chaussure » de Dieudonné Niangouna à la 1ère édition du
programme Écritures d’Afrique de la Comédie française à Paris, qui connaîtra
plus tard du succès au festival Le Recréatrales à Ouagadougou où il présente
aussi la pièce « Roméo et Juliette…
Assez », qu’il a fait éditer cette année aux éditions Proximité.
Ambara est lauréat du
programme « Visa pour la création » de CulturesFrance, dans le cadre duquel il écrit
« L’Épique des Héroïques ».
Pièce qui interroge le mvet du Cameroun, le Mahabarata de l’Inde et la
mythologie grecque. En mars 2010, Ambara inaugure le laboratoire théâtre Othni
avec sa pièce « Osiriades SG
2.1 ». « Quand Othni ouvre,
je me rends compte que j’en avais vraiment besoin. Ici, j’ai la liberté de
faire ce que je veux », dit-il. C’est un lieu d’expérimentation du
théâtre tel qu’il le rêve, de la matérialisation de ses idées.
Il veut décloisonner le
théâtre et travaille sur la plastique avec le plasticien Alioum Moussa, sur la
kinésie des corps avec le danseur Bertrand Yakana et sur la vidéo avec Wilfried
Nakeu. Bien au-delà de ces disciplines artistiques, au-delà même de l’humain,
Martin Ambara veut explorer l’invisible, déconstruire le corps qui limite
l’homme : « Le point qui ouvre
sur l’invisible n’est pas exploré. A ce moment-là, la définition du corps
n’obéit pas aux mêmes règles, d’où sa déconstruction. Le théâtre c’est pousser
la réflexion loin, en effaçant la peur, le qu’en dira-t-on»,
argumente-t-il.
Le
théâtre pour l’âme humaine
Le comédien Jacobin
Yarro décrit le travail d’Ambara dans son essai intitulé « 50 ans de pratique théâtrale au
Cameroun », à paraître en 2018 : « Martin Ambara se démarque par une liberté et une approche très
élitiste. Il a l’audace d’aller puiser dans les mythes et traditions les plus
lointains, universels ou localisés, qu’il adapte au théâtre. Ses créations sont
de vrais produits d’un laboratoire de recherche fondés sur l’hypothèse selon
laquelle, le public peut aimer même les choses qu’il ne connaît pas, si on
choisit la bonne posture pour les lui faire découvrir».
Le comédien Wakeu
Fogaing avec qui il a cheminé durant plusieurs années, qualifie son parcours
d’exceptionnel « dans la mesure où il
s’est fait une identité propre à lui. Son travail expose les valeurs du
quotidien enveloppées dans le langage d’initiés pas souvent à la portée de
tous. Son travail est surtout pour une élite d’initiés et de cultivés. Le
manque de culture théâtrale du public ici le met dans une sorte d’inconfort
artistique puisque sa réelle valeur n’est ni connue du public, ni connue de
l’administration en charge de la culture».
Ambara tient à
préciser : « Mon théâtre n’est
pas compliqué, c’est la société qui l’est et l’être humain complexe. Nous
sommes ambigus en tant qu’Africains, des siècles d’histoire ont érigé en
nous le conflit. Pour comprendre le théâtre que je fais, il faut déconstruire ces
siècles d’histoire. Sur un plateau, il se joue dans enjeux de vie des êtres
humains, on ne peut pas se permettre de proposer des platitudes. J’écris pour
l’âme humaine, il faut savoir lâcher prise pour sentir le théâtre».
L’Allemagne
dans son parcours
Martin Ambara a trouvé
en l’Allemagne un pays d’adoption. Cette terre qui lui a donné une famille (une
épouse et deux enfants) et du financement. Il a bénéficié du fonds Turn qui
soutient la coopération artistique entre l’Allemagne et l’Afrique. Ambara a
ainsi travaillé avec le Kainkollektiv de Fabian Lettow et Mirjam
Schmuck sur la pièce « Fin de
machine. Exit Hamlet », le premier opéra germano-camerounais sur la
«mémoire de l'esclavage» représentée à Dusseldorf, Berlin et Munich en 2016.
Avec le dramaturge
allemand Heiner Mulher et d’autres troupes, il a initié des discussions :
« Avec les Allemands, je suis plus
libre, on a des rapports d’ouverture d’esprit. La posture française n’est pas
la même. En Allemagne on finance un projet et non un sujet, ça te pousse à
t’améliorer ». Déjà, Ambara pense à son prochain projet, prévu pour
2019. « Mvet Beyeme », une
pièce contemporaine sur la structure du mvet. Le projet devrait se faire avec
le théâtre allemand House Ball, qui donne à voir, à Berlin, le travail des
immigrés.
Ambara a su porter haut
le théâtre au-delà des frontières camerounaises. Wakeu Fogaing le
confirme : « Ambara Martin est
l’un des authentiques maîtres du théâtre contemporain camerounais. Son travail
dans les textes épiques mythiques et dogmatiques transcende les identités
superficielles d’aujourd’hui dans des espaces de confrontations entre des
valeurs anciennes, contemporaines et virtuelles. Voilà pourquoi le Cameroun lui
doit déjà des médailles».
Stéphanie
Dongmo
NB :
article écrit en juin 2018 pour Nachtkritik, le site des critiques de théâtre allemands.
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