mercredi 3 juin 2020

Des micros-trottoirs pour la paix au Cameroun

En Mars 2020, l'association Cinéma Numérique Ambulant Cameroun a publié, sur sa chaîne YouTube, une série de cinq micros-trottoirs sur la paix qu'elle a réalisé dans cinq régions du Cameroun, dans le cadre de son projet "Ciné-débat pour la paix", mis en oeuvre depuis septembre 2019 avec le concours du Consortium Culture at Work et le financement de l'Union Européenne. 
Découvrez ces cinq vidéos (15mn x 5) ci-dessous. Les populations du Nord-Ouest, Littoral, Centre, Sud-Ouest et Ouest s'expriment librement sur la crise anglophone et ses conséquences dans leur quotidien. 

Région de l'Ouest




Région du Sud-Ouest



Région du Littoral



Région du Nord-Ouest

Région du Centre

Théâtre: MARTIN a encore fait son AMBARA

La pièce Hamlet Machine de ce metteur en scène camerounais a été représenté le samedi 14 mars à l'Institut Goethe de Yaoundé, dans le cadre de la célébration des 10 ans de l'espace culturel Othni dont il est le promoteur. Pièce écrite par Heiner Müller. Distribution : Philémon Blake Ondoua, Oumarou Aboubacari dit Béto, Rass Nganmo, Bertrand Yakana, Félicité Asseh et Hermine Yollo. Mon commentaire. 

Une première version de ce travail avait déjà été présentée à Yaoundé début 2014 avec le Kainkollectiv, sous le titre Fin de machine/Exit Hamlet. Ambara a actualisé la pièce et nous a conduit chez les morts, avec des personnages du passé, que traversent ceux du présent.

La critique de l'exploitation du Noir par le Blanc depuis des siècles, était forte: Esclavage, colonisation, assassinats avec des conséquences actuelles, dont la crise des migrants, la crise anglophone...

Pour le reste, il y a longtemps que j'ai renoncé à comprendre l'esthétique d'Ambara. J'ai aimé la mise en scène, la scénographie, le jeu des comédiens. C'était fort, intense, puissant. Cette façon d'utiliser le corps comme objet de revendication et de re-appropriation.

Martin Ambara s'est, depuis longtemps, affranchi des canons. Ce soir, ce n'était pas que du théâtre, mais un ensemble de genres mis ensemble pour créer une soupe qui, à certains moments, m'a semblé trop salée : musique, danse, vidéo, performance, accrobatie, il fallait avoir les sens en alerte.

Au passage, Ambara n'a pas manqué de faire la critique de la chrétienté; mieux, de la catholicité, devenue au fil de ses œuvres la signature sans laquelle Martin ne serait pas Ambara.
Stéphanie Dongmo

Cinéma : Tous responsables !


Critique du court-métrage « Angles », écrit et réalisé en 2018 par le Camerounais Frank Thierry Lea Malle, qui revient sur un drame devenu banal à force d’être récurrent : les accidents de la circulation, sur une intrigue originale et agréablement décalée.

Un policier corrompu. Une amante impatiente. Un chauffeur irresponsable. Un camion vétuste. La rencontre de ces éléments provoque un grave accident de la route qui laisse plusieurs morts sur le carreau. Le générique du film annonce déjà la couleur : noire. Puis, on voit des pieds de femme hésitants avancer dans une morgue. Le sol rougi de sang raconte la déchéance des corps. Des jeunes. Le fer de lance de la Nation. Debout, une femme ayant identifié le corps de sa fille lève les bras et ouvre la bouche, pour ne laisser s’échapper qu’un gémissement. Ce gémissement, plus assourdissant qu’un cri, nous plonge définitivement dans le drame.
Tout le film est construit autour de l’accident, le nœud de l’intrigue. Si l’accident est omniprésent, le film ne le montre pas. Le réalisateur a choisi d’opérer une distanciation symbolique du drame. Des Sms affichés en surimpression de l’image dévoilent les préoccupations des personnages et l’objet de leurs quêtes. Le montage repose sur des fragments de temps et d’actions qui nous racontent ce qui s’est passé avant et après l’accident à travers des flashbacks et des flashforwards. Le passé, le présent et le futur s’entremêlent. Avec, à chaque fois, la précision de l’heure par rapport à l’accident. Cela donne au film un souffle, tient en haleine le spectateur qui doit, du coup, fournir un minimum d’effort pour le saisir.

Frank Thierry Lea Malle a utilisé les ficelles du documentaire pour donner une bonne dose de réalisme à cette fiction et créer la proximité avec le spectateur. Le film allie cinéma et reportage, illustré par des plans larges de la vie quotidienne dans des quartiers de Yaoundé. On peut aussi entendre un débat radiophonique portant sur l’accident, ainsi que des populations qui donnent leurs avis en voix off. Mais la pauvreté de ces images et les intentions pédagogiques étalées dans le off viennent alourdir le rythme de la narration.
Angles met le doigt sur les problèmes sociaux au Cameroun : corruption, clientélisme, absence d’une couverture santé, argent-roi.  Le chauffeur, rôle magnifiquement interprété par Rigobert Tamwa dit Eshu, en est le parfait serviteur, lui qui tient la bourse qui ouvre toutes les portes : celui de la visite technique pour un camion dont la portière ne se ferme qu’à grands coups, d’un contrôle policier et même du lit d’une femme.

Les femmes ici semblent toute puissantes, d’une puissance parfois destructrice. Par leur détermination à obtenir ce dont elles ont besoin, pas pour elles-mêmes mais pour leurs enfants, elles mettent les hommes en mouvement. La maternité leur donne des ailes, le sexe faible devient fort. Illustration : dans une séquence, un duel oppose le policier qui s’apprête à aller au travail à sa femme (Virginie Ehana présente dans la quasi-totalité des films de Lea Malle), qui veut de l’argent pour amener leur enfant malade à l’hôpital. L’homme dit qu’il attend son salaire et sa femme lui demande de faire comme les autres policiers, l’essentiel étant de ramener des sous à la maison.La femme est assise sur le lit et son mari debout. Bien que moins grande que lui et filmée en plongée, elle domine et écrase son mari filmé pourtant en contre-plongée, tout au long de l’affrontement verbal. L’homme, policier de surcroit et donc garant de la loi, finit par céder et à verser dans la corruption. Pourtant, bien que décrites comme des Eves donnant des pommes à des Adams, c’est encore les femmes qui, à travers un débat télévisé, vont réfléchir aux solutions pour faire cesser les accidents.
Dans un pays riche de ses langues et confronté à la montée du tribalisme, Lea Malle a choisi de faire valoir trois langues nationales, qui sont parlées aux côtés du français. Une réappropriation linguistique qui est la bienvenue au moment où, au Cameroun, le slogan officiel est « le vivre ensemble » face aux divisions tribales.
Lea Malle
Le discours de l’auteur de ce film est clair : nous sommes tous responsables ! L’Etat a failli, c’est évident. Cela s’illustre par le panneau annonçant l’entrée à Yaoundé la capitale, qui est plantée dans un tas d’ordures. Cela s’illustre par le policier qui attend toujours son premier salaire longtemps après sa prise de service. Cela s’illustre par le responsable de la visite technique qui, malgré l’écriteau « Non à la corruption » plaqué dans son bureau et la photo encadrée du Président de la République, un Paul Biya toujours jeune, il délivre des certificats des visite technique sans examen du véhicule.
Face donc à la faillite du pouvoir, Frank Thierry Lea Malle en appelle à la responsabilité de chacun. Tous les personnages du film sont responsables de l’accident, directement ou indirectement, ils sont tous des angles d’une même réalité. L’heure n’est donc plus à la recherche d’un coupable mais dans la reconnaissance de notre part de responsabilité. Un discours qui fait sens au moment où la pandémie du Covid-19 a révélé l’interdépendance des hommes.
Angles est construit en cercle. Il s’ouvre sur un tableau noir avec en fond sonore une prière à Dieu dite par une femme. Il se termine par un tableau noir avec en fond sonore le bruit du camion qui démarre et s’élance pour aller commettre son forfait. La boucle est alors bouclée, le serpent s’est mordu la queue. La prière a été dite mais le miracle ne s’est pas produit. A chacun d’être une solution.
Stéphanie Dongmo