L'ambassadeur de France au Cameroun parle du rattachement des Centres culturels français de Yaoundé et de Douala à l'Institut français de Paris à partir du 1er janvier 2012 ; il fait également le bilan de la politique culturelle de la France au Cameroun.
Vous avez annoncé, le 15 mars 2011, au cours du vernissage de l'exposition « Frontières » à Yaoundé, que les Centres culturels français de Yaoundé et de Douala allaient devenir un institut français. Concrètement, qu'est-ce qui va changer ?
Ce changement de statut est la conséquence de la réforme en profondeur de notre diplomatie culturelle voulue par le président Sarkozy. Il n’y aura plus désormais qu’un opérateur culturel. Le Centre culturel français (Ccf) de Yaoundé et celui de Douala seront fusionnés dans une seule entité : l’Institut français, enseigne unique qui fédèrera les deux établissements. Il y aura désormais une unité de direction. Le futur Institut français sera piloté par le conseiller de coopération et d’action culturelle de notre ambassade qui aura ainsi une bien meilleure vision transversale et globale de notre politique culturelle au Cameroun qu’il ne l’avait jusqu’à présent.
Pour ce qui est de notre implantation à Douala, une chose est certaine, elle sera maintenue dans ses locaux actuels en tant qu’antenne de l’institut, mais avec un dispositif rénové pour adapter ses activités et développer ses ressources propres. Nous procéderons très prochainement à la nomination de deux nouveaux directeurs chargés des antennes de Yaoundé et de Douala qui seront placés sous l’autorité du conseiller de coopération et d’action culturelle.
Qu'est-ce qui a motivé cette mutation ?
Le monde change. Il évolue et se transforme. Le rôle d’un pays ne se résume pas seulement à la force de son économie, à ses capacités militaires, à sa place dans les institutions de gouvernance internationale. Il se mesure à la « puissance douce », à ce « soft power » qui revêt davantage d’importance dans le monde d’aujourd’hui : un monde où idées, mots, savoirs, images et sons circulent à une vitesse accélérée. Les productions de l’esprit jouent désormais un rôle décisif dans cette évolution. Il nous a paru important, au Cameroun comme ailleurs, d’en tenir compte, d’abord en recentrant notre action sur ce champ immense de la culture et de la connaissance, mais également en étant davantage lisible, sous la seule bannière de ce nouvel Institut français qui sera rattaché à l’Institut français de Paris. Il s’agit de faire en sorte que notre diplomatie culturelle soit plus visible et davantage cohérente au sein d’un dispositif intégré.
Comment va s'opérer cette mutation?
Depuis le 1er janvier 2011, l’Institut français, opérateur du ministère des Affaires étrangères et européennes pour l’action extérieure de la France, s’est substitué à l’association CulturesFrance, avec un périmètre d’action élargi. Il devra à la fois promouvoir les artistes et les opérateurs culturels français à l’étranger, prendre une part active aux débats d’idées, en particulier sur les grands enjeux de société et les questions globales qui engagent notre avenir commun, mais aussi soutenir le développement culturel de pays comme le Cameroun. Nous le faisons du reste ici, à travers un « C2D Culture » qui va lancer une importante étude sur l’économie de la culture dans ce pays. Nous veillerons aussi à mettre en place des programmations visant à promouvoir la diversité culturelle en aidant les artistes camerounais et africains à mieux se faire connaître et à diffuser leurs œuvres.
Quel sera le statut du personnel, doit-on craindre une réduction des effectifs ?
On va fusionner l'ensemble des entités culturelles au Cameroun : le service de coopération de l'ambassade et les Centres culturels français de Yaoundé et de Douala. Les agents qui dépendaient de ces différentes entités vont désormais dépendre de l'Institut français du Cameroun. Il n'y aura pas de changement en terme numérique, ce sera plutôt un réaménagement.
Le 30 décembre 2010, l'Assemblée nationale française a adopté un texte relatif à l'action extérieure de la France qui crée l'Institut français, un établissement public à caractère industriel et commercial (Epic) qui reprend les activités de CulturesFrance. Qu'implique ce statut ?
Le statut d’établissement public à caractère industriel et commercial (Epic) donnera à l’Institut français une large autonomie de gestion, une plus grande liberté de manœuvre lui permettant de générer davantage d’autofinancement et d’associer plus facilement des partenaires privés à ses activités. Il s’agit de pouvoir mobiliser des fonds de toute nature. Il ne faut pas oublier que la culture, c’est aussi une industrie à part entière, un secteur économique. On a trop souvent tendance à perdre de vue l’impact financier que peuvent avoir des productions intellectuelles, que ce soit dans le domaine du cinéma, de la littérature, de l’architecture ou des arts plastiques. Ce sont des activités économiques créatrices de richesses et d’emplois.
En quoi l'Institut français sera-t-il différent de CulturesFrance ?
En créant l’Institut français, le gouvernement français a en effet souhaité confier à une même agence la promotion de l’action culturelle extérieure de la France dans tous ses domaines. L’institut reprend les missions jusque-là assurées par CulturesFrance : la promotion et l’accompagnement à l’étranger de la culture française et de la création contemporaine, le développement des échanges avec les autres cultures, le soutien à la création, au développement et à la diffusion des expressions artistiques du Sud, la diffusion du patrimoine cinématographique et audiovisuel, le soutien à la circulation des écrits et des auteurs francophones. A cela s’ajoutent trois nouvelles missions : la promotion des idées, des savoirs et de la culture scientifique et technologique française, la promotion et le soutien à l’enseignement de la langue française, le conseil et la formation professionnelle des personnels du réseau culturel français à l’étranger. Ainsi, l’Institut français aura-t-il pour vocation, non seulement de reprendre les anciennes activités traditionnelles de CulturesFrance, mais d’ancrer davantage encore sa présence et son action dans le domaine du débat d’idées et de la diffusion de la culture scientifique, avec une vision élargie de la culture, dans une optique de réciprocité qui est conforme à notre souci constant d’encourager la circulation des savoirs.
L'Institut français est placé sous la tutelle du ministère français des Affaires étrangères, alors que CulturesFrance dépendait à la fois du ministère de la Culture et du Quay d'Orsay. Est-ce à dire que l'action culturelle de la France sera plus politisée ?
L'Institut français est effectivement l’opérateur du seul ministère des Affaires étrangères et européennes pour ses actions à caractère culturel. Il a pour mission d’apporter aux orientations diplomatiques de la France le soutien et les moyens de l’action culturelle. Ce qui ne veut pas dire que le ministère de la Culture ne sera pas consulté. Évidemment, il sera associé à nos décisions. Le développement de partenariats avec cette administration, comme avec d’autres institutions, sera au cœur de notre action. l’Institut français collaborera aussi avec les organisations européennes et internationales. Il sera également à l’écoute des établissements culturels publics français et des organisations professionnelles concernées par l’exportation des industries culturelles et créatives françaises ainsi qu’avec d’autres partenaires publics et privés. Mais au-delà des aspects purement institutionnels de votre question, on ne peut pas dire que notre action culturelle « sera plus politisée » ; bien au contraire, je renverserai votre formule en observant que c’est l’action extérieure de la France, qui, à l’avenir va s’imprégner bien davantage du culturel!
D'où viendront les financements de l'Institut français?
Le budget est stabilisé jusqu'en 2013 à travers un contrat d’objectifs et de moyens. Des crédits budgétaires additionnels de 100 millions d'euros [environ 65,6 milliards Fcfa] sur cinq ans (2009-2013) accompagnent la création de la nouvelle agence. Ces nouveaux crédits permettront également de doter d'équipements numériques les instituts à l'étranger et d'accompagner leur professionnalisation.
Quelle sera la place de l'Afrique dans ce nouveau dispositif ?
Le monde africain se distingue par sa riche créativité artistique mais fait encore face à un manque de moyens matériels. On assiste, par exemple, depuis 15 ans, à une quasi disparition des lieux de diffusion du cinéma en Afrique. C’est pourquoi l’Institut français s’implique dans la diffusion et la conservation du patrimoine cinématographique africain et essaie de constituer une cinémathèque « Afrique ». Il développe aussi un projet de diffusion du cinéma français sur le continent. Ici, au Cameroun, nous sommes ainsi partenaires du festival « Ecrans Noirs » depuis sa création, et nous soutenons l’action de cinéastes de talent comme Bassek Ba Kobhio ou Joséphine Ndagnou qui s’efforcent courageusement de promouvoir le 7ème art et de faire en sorte que le Cameroun retrouve enfin des salles de cinéma. L’Institut français dispose également de programmes concernant le livre, avec une présence au salon de Paris en mars dernier.
En construisant ces opérations avec de grandes manifestations ou institutions en France et à l’international, l’Institut français participe au repérage et à la promotion des scènes artistiques, offrant la possibilité de développer des relations constructives entre les milieux professionnels français et internationaux : Rencontres africaines de la photographie à Bamako ; Danse l’Afrique danse ; L’Afrique est à la mode ; etc. Enfin, l’Institut français apporte son soutien à des projets indépendants. Ils peuvent être portés directement par des artistes et des compagnies, des partenaires étrangers ou le réseau culturel français à l’étranger, à travers un dispositif d’appel à projets dans les secteurs du spectacle vivant, des arts visuels ou encore de l’architecture. Ce nouveau dispositif est constitué de deux sessions annuelles afin de répondre avec une plus grande souplesse aux initiatives formulées en cours d’année.
Au Cameroun, quelles seront les missions de l'Institut français ?
Ces lieux de rencontres et d’échanges à Yaoundé comme à Douala sont destinés à la diffusion de la culture française, à la promotion des artistes camerounais et au rayonnement de la Francophonie comme de la diversité culturelle. Il s’agira notamment d’assurer une action culturelle de proximité en faisant de l’Institut français du Cameroun et des Alliances franco-camerounaises les instruments efficaces de la coopération culturelle autour de projets répondant aux besoins des publics locaux. A l’offre locale de spectacles et d’artistes d’excellence doit répondre une offre de prestige française, dont le développement constitue une priorité.
Parlant des Alliances franco-camerounais qui, à l'origine, sont des associations privées dépendant du droit local, quel sera leur nouveau statut ?
Le statut des alliances ne change pas, elles restent des associations privées de droit local. Une fois que le Cameroun ne comptera plus qu’un institut, celui-ci passera une convention avec les alliances. Nous avons besoin des alliances. Pour beaucoup d’entre elles, leurs acteurs sont animés d’une passion formidable et ces deux réseaux sont complémentaires.
L'Alliance de Ngaoundéré a fermé depuis quelques années...
Les alliances sont à part, parce que, bien évidemment, elles sont gérées par des associations camerounaises au Cameroun, elles ne sont pas dans le même périmètre que l'Institut français. On continuera à avoir des alliances partout où des Camerounais vont souhaiter porter ces alliances ;leur dynamisme varie en fonction de la volonté et de l'enthousiasme ou non des ressortissants qui les portent. A Ngaoundéré justement, il y a avait une alliance qui a fermé, mais on sent bien qu'il y a un frémissement et qu'elle souhaiterait renaître de ses cendres, à Garoua, Dschang, Bamenda, ça marche bien, à Buéa, ça marche moins bien. C'est à ceux qui gèrent ces alliances de leur insuffler davantage de dynamisme. Pour les alliances, on procède par subvention, et ces subventions continueront. C'est hors périmètre de l'Institut français avec en même temps une attention toute particulière apportée aux liens qui existent.
La phase expérimentale de l'implantation de l'Institut français devra se dérouler sur trois ans. 13 pays ont été choisis à cet effet, dont le Sénégal et le Ghana en Afrique. A quel niveau se situe le passage des Ccf du Cameroun à Institut français ?
En 2011, les instituts de treize pays ont été rattachés directement à l’Institut français. En s’appuyant sur cette expérience et les enseignements qui en ont été tirés, le processus se poursuit, jusqu’à l’intégration de la totalité des instituts français dans le monde. Pour le Cameroun, c’est au 1er janvier 2012 que nous verrons naître l’Institut français du Cameroun.
A ce jour, quel est le bilan de l'action culturelle de la France au Cameroun?
Notre action culturelle a pour vocation de contribuer à l’élaboration d’une politique culturelle publique ayant des effets économiques positifs (développement des entreprises culturelles et des industries créatives). Elle vise aussi à l’aménagement culturel des territoires par un partenariat basé sur le conseil et l’expertise avec le ministère de la Culture et les collectivités territoriales. Dans le cadre du C2D, des fonds ont été alloués afin d’effectuer une étude sur l’économie de la culture. Il s’agira par la suite d’en tirer les conséquences appropriées en terme de coopération.
Dans le domaine des arts plastiques, nous poursuivons avec détermination une politique d’échange avec des expositions d‘art contemporain de très haut niveau montées avec le concours d’institutions aussi prestigieuses que le Centre national des arts appliqués et le Fonds national d’art contemporain.
Promouvoir la langue française dans le contexte du bilinguisme officiel du Cameroun reste un objectif. Nous continuerons à nous appuyer sur les ressources des établissements d’enseignement à programme français et les Alliances franco-camerounaises, des opérateurs publics et privés d’enseignement et des associations francophones. Je le concède, beaucoup reste à faire. Le peu d’opérateurs culturels et surtout le manque d’infrastructures nous mettent trop souvent dans une situation de substitution. Nous souhaitons en tout état de cause accompagner les autorités camerounaises compétentes en ce domaine sans aucunement empiéter sur leur mission d’appui au développement et à la diffusion de la culture nationale.
Propos recueillis par Stéphanie Dongmo