À l’invitation de la coopération française au Cameroun, la revue d’art L’Œil a consacré un hors-série sur l’art contemporain et le patrimoine culturel du Cameroun, délocalisant du même coup sa rédaction à Yaoundé et invitant dans cette aventure des journalistes locaux.
Il
est important de s’arrêter un moment pour évaluer le chemin parcouru et jeter
un regard prospectif sur l’avenir. C’est ce que fait L’ŒIL en nous présentant le 237 sous le prisme culturel. Un pays-continent de créativité et d’audace,
de combativité et d’incroyable débrouillardise, où la théorie du danger se
conjugue partout et à tous les temps. Un pays-continent où, actualité
footballistique oblige, des Lions
Indomptables, symboles de ce fighthing
spirit, peuvent remonter la pente face à la Serbie alors qu’ils sont battus
3 buts à 1, offrant au passage le plus beau but du mondial qatari, après avoir
failli donner la crise cardiaque à tout un peuple.
J’ai
aimé parcourir ces 115 pages
consacrées à la création artistique
camerounaise. Cette création qui est à l’image du pays, bouillonnante et
énergique, pleine d’ambitions et débordante d’initiatives. Elle déconstruit les
idées reçues et reconstruit l’humanité déflagrée. Elle navigue entre des
esthétiques qui dérangent, intriguent et interrogent, dans une profusion de
matières et un éclaboussement d’idées. Elle dit l’éternelle rupture et le
perpétuel besoin de renouvellement. Plaisir
pour les sens, essence pour l’intellect, nourriture pour l’âme. Un pur
régal, en somme.
Au
fil des pages, j’ai re-découvert Elsa
Kané. Alors qu’elle brosse les portraits croisés des deux Hervé, Youmbi et Yamguen, j’ai vu davantage sa
plume mature, ses écrits à la Libé et son style affiné, dans une belle
navigation entre portrait, reportage, interview, enquête et analyse. Le texte
fait appel à tous les sens de la critique d’art, ou presque : la vue, le
goût, l’ouïe, l’odorat, le toucher. Dans un contexte où les journalistes
culturels manquent cruellement d’espace où donner libre cours à leur
épanchement, on peut imaginer que le plaisir que la journaliste du quotidien Le Jour a eu à écrire ce texte est
aussi grand que celui que j’ai eu à le dévorer.
Autre
re-découverte, le gentil et très longtemps incompris Jean-Michel Dissaké Dissaké, brossé au kaléidoscope par un Landry Mbassi en pleine forme. Ce
portrait d’un artiste qui a su briser les codes et trouver un équilibre entre esthétique et engagement m’a donné envie de faire un tour, que
dis-je, un pèlerinage dans son antre
à Nkolndongo à Yaoundé. Moi qui suis constamment en recherche d’équilibre, j’y
trouverais surement des réponses. Ou pas. Tout le bonheur du monde étant dans
l’inattendu, selon les mots de Jean
d’Ormesson, en citation.
Le
magazine nous présente plusieurs générations d’artistes qui vont à la quête de l’ailleurs, tout en restant bien
enracinés dans l’ici. Jeunes ou plus
âgés, ils ont déjà marqué d’une pierre blanche leur existence : du
vénérable Joseph Francis Sumegne à
l’indémontable Koko Komegne, du
prolifique Barthélemy Toguo à la
toute jeune Leuna Noumbiboo, en
passant par Joël Mpah Dooh, Dieudonné Fokou, Max Lyonga, Wilfried Mbida
et j’en passe. Autant d’artistes qui interrogent la complexité de l’humain et
vont en quête d’identité.
Arrêt
obligatoire sur l’œuvre monumentale de Barthelemy
Toguo, qui, de Mbalmayo et Bandjoun,
a su s’imposer dans le monde entier. Son travail qui me séduit à chaque fois
comme au premier jour, reste dans un questionnement de l’universel, dans un
imaginaire où homme et nature interrogent les croyances et ne font plus qu’un,
où l’invisible domine largement le visible. Et parce que les morts ne sont pas
morts, le travail et l’héritage de Goddy
Leye sont revisités par la curatrice Viviane
Maghela. De même que l’œuvre de Sumegne, marquée par la statue de La Nouvelle liberté qui trône depuis 1996
au rond-point Deido à Douala et qui, s’inscrivant dans l’espace public, a
suscité bien des réflexions collectives.
L’Œil
questionne aussi la scène artistique dans un récent foisonnement d’initiatives.
Une scène bouillonnante avec ses espaces culturels totalement dans la résistance et des artistes en résilience. De Doual’art de Marilyn Douala
Manga Bell qui naît dans les années 90 au milieu des revendications
populaires pour la démocratie et la liberté d’expression au La’akam de Kouam Tawa créé à Bafoussam en 2022, et qui porte l’hommage à deux
artistes qu’on n’a pas fini de pleurer : Wakeu Fogaing et Louis Marie
Noubissi Tchoupo, à Omaj à
Douala, en passant par la Galerie Mam de Marème Malong et le CIPCA de Fabiola Ecot Ayissi, deux figures importantes.
Toutes
ces initiatives font qu’aujourd’hui, « le
Cameroun commence à devenir un pivot de la création », selon les mots de
Marylin Douala Manga Bell, présidente de Doual’art. Un secteur que des
entrepreneurs commencent à investir. C’est le cas de Diane Audrey Ngako, fondatrice de Douala Art Fair et de la galerie Logmo + Makon, qui veut contribuer à structurer le secteur en
éduquant au passage les futurs collectionneurs, à la faveur d’un contexte où le
commerce international des arts africains est en nette progression. Ce qui
augure de lendemains meilleurs pour les artistes qui pourront vivre décemment
de leur art.
Loin
du débat sur la restitution des œuvres d’art
à l’Afrique, ce hors-série fait le choix éditorial de s’intéresser au
patrimoine des quatre aires culturelles du Cameroun, si bien présentées par Rachel Mariembe, chef du département
Patrimoine et Muséologie à l’Institut des Beaux-arts de Nkongsamba. Avec un
focus sur la Route des chefferies, à
l’initiative d’une Saison culturelle du
Cameroun à Paris inédite et ambitieuse qui a permis de mettre en lumière, à
l’international, ce formidable programme de préservation et de valorisation du
patrimoine culturel, naturel et créatif du Cameroun, dont l’ambition est de
conduire l’Homme vers la réappropriation de son identité.
Plusieurs
pages sont consacrées à la redécouverte de l’exposition « Sur la route des
chefferies du Cameroun. Du visible à l’invisible », dont le
commissariat général a été assuré du 5 avril au 17 juillet 2022 au Musée du quai Branly à Paris par Sylvain Djache Nzefa, coordonnateur
général de la Route des chefferies, et qui a marqué l’histoire culturelle du
Cameroun avec ses 250 œuvres exposées
et près de 230.000 visiteurs. Le
magazine nous conduit aussi dans les chefferies
où la tradition et la création se nourrissent l’une et l’autre pour rester
vivantes ; dans des cases
patrimoniales (musées communautaires) qui ne sont pas centrées sur les
objets mais plutôt sur leurs usages ; et dans des pratiques rituelles qui ouvrent la voie à la « spiriculture ».
Ce
magazine est au final une invitation de l’Institut Français du Cameroun à « vivre les cultures ».
Invitation lancée par son infatigable directeur, Yann Lorvo, qui prend le bras quand on lui donne la main, tant il demande
toujours mieux et plus, et tant en deux ans, il a amené des projets de l’ombre
à la lumière. Et on prend l’ambassadeur
de France au mot, lui qui promet d’investir plus de moyens aux échanges
culturels France-Cameroun.
Aucune
œuvre humaine n’est ni parfaite, ni exhaustive. Et si « une seule main ne peut pas attacher un paquet », une
seule main ne peut pas non plus attacher deux paquets à la fois. La littérature
apparaît dans ce magazine presque entièrement consacré aux arts visuels et au
patrimoine culturel comme un Bassogog à la Coupe du Monde. La plume de
l’excellent Serge Pouth n’arrive
qu’à faire un rapide tour d’horizon qui me laisse complètement assoiffée. On ne
saurait passer si rapidement sur les œuvres de Léonora Miano, Imbolo Mbue, Gaston Paul Effa, Eugène Ebode et tant
d’autres. Impossible aussi de raconter une Djaili
Amadou Amal en 500 signes. Comment ne pas entendre le silence assourdissant
de l’absence d’un Patrice Nganang ou
d’un Anne Cillon Perri? Il faudrait
tout un hors-série sur la littérature camerounaise. Au rang des prochains
chantiers aussi, l’effervescence actuelle que l’on peut observer à l’œil nu
dans les domaines de la musique, du cinéma et de l’audiovisuel, qui mérite d’être analysée et documentée.
En
attendant, je vais soigneusement archiver ce magazine dans ma bibliothèque, à
côté du catalogue de l’exposition « Africa remix » en 2005,
du beau livre « Les civilisations du Cameroun » réédité en 2021 par la Route des chefferies, et de « Cameroun,
la culture sacrifiée », le hors-série d’Africultures paru en 2004. Un hors-série qui m’a donné l’envie
d’écrire sur les arts et la culture, encouragée par la plume de tant d’aînés :
Yvette Mbogo, Tony Mefe, Venant Mboua,
Dorine Ekwe, Jean-Marie Mollo Olinga, Mérimée Pandja, Alexie Tcheuyap, Haman
Mana, Célestin Monga, Joseph Fumtim et j’en oublie. La rédaction de ce
hors-série de L’Œil, constituée de jeunes pousses du journalisme culturel au
Cameroun me rassure : la relève est assurée.
https://fr.calameo.com/read/0062018193e74c5273ba9?authid=7QCdSKLTRTkB&page=1