Léonora Miano
«Elvis dans Graceland de Chris Abani »
« Graceland » parle du lien brisé entre un fils et son père, qui ne parviennent pas à se rejoindre. Livré à lui-même, Elvis songe à sa mère, lit beaucoup, se laisse parfois embarquer dans des aventures rocambolesques par ses amis, jeunes et démunis comme lui, rêvant d’une autre vie. C’est un texte sur l’intimité des Subsahariens, modifiés par l’Histoire et devant s’inventer une manière propre d’exister, ce que cherche à faire Elvis. Le raffinement de la culture Ibo est célébré comme il se doit, mais les contradictions, les dilemmes de l’Afrique postcoloniale sont au cœur du texte. Les personnages, celui d’Elvis en particulier, sont travaillés avec une grande finesse, l’auteur s’attachant à restituer leur complexité. La fragilité d’Elvis, son sens artistique, son opiniâtreté à trouver son espace d’expression m’ont beaucoup touchée. Ce roman, tout comme « Half of a yellow sun » de la nigériane Chimamanda Ngozi Adichie, devrait devenir un classique.
Note : Née en 1973 à Douala, Léonora Miano vit et travaille en France. Nouvelliste, elle est aussi l’auteure de quatre romans dont « Contours du jour qui vient » chez Plon, prix Goncourt des lycées en 2006.
Patrice Kayo
« Koumé de Ville cruelle lutte contre l’injustice »
Dans « Ville cruelle » de Mongo Beti, le personnage Koumé m’a beaucoup impressionné. C’est un jeune homme qui lutte contre les injustices sociales et l’exploitation du petit peuple par les commerçants grecs. Il se révolte et il va même jusqu’à tuer son patron grec qui ne payait pas les salaires des ouvriers et se contentait de donner, de temps en temps, un peu d’argent à l’Eglise. Et le prêtre, parlant de lui, l’appelait le saint homme. Cela montre la collusion entre le colonialisme et l’exploitation du petit peuple avec l’Eglise. Koumé incarne vraiment la jeunesse de l’époque, une jeunesse qui se révolte, qui refuse de se résigner, qui lutte pour la conquête de sa dignité, pour la justice sociale ; qui va jusqu’à tuer ce qui incarne cette injustice sociale.
Aujourd’hui, les personnages ne sont plus les mêmes mais sous la forme moderne, il y a toujours des gens qui exploitent le petit peuple, il y a aussi d’autres Koumé mais ils sont plus résignés, ils ne luttent plus beaucoup pour changer leur condition. Il n’y a plus de commerçants grecs mais il y a des commerçants autochtones qui font pire que les grecs : beaucoup de gens travaillent et n’ont pas de salaire ou sont mal payés. La situation, à mon sens, n’a pas changé. C’est pourquoi il faut qu’il y ait, en grand nombre, d’autres Koumé qui agissent ensemble pour abattre cette bourgeoisie qui est plus cruelle aujourd’hui qu’à l’époque coloniale.
Note : Né à Bandjoun en 1942, Patrice Kayo est anthologiste et poète. Il est l’auteur de « Recueil de la poésie populaire» en 1964, « Fables des montagnes » en 1998 et « Tout le long des saisons », recueil de nouvelles paru en 2001, entre autres.
Stella Engama
« L’araignée de René Philombe ose défier Dieu »
« L’araignée de René Philombe ose défier Dieu »
Sans réfléchir, je dirai René Philombe, l’un des écrivains de la littérature camerounaise les plus prolifiques, mort le 7 octobre 2001. Le personnage principal dans le livre intitulé « Nnan Nden Bobo », réédité par le Crac de David Ndachi Tagne, est une araignée.
Dans cette histoire, cette araignée ose défier Dieu-Créateur dans son pouvoir autoritaire de décider du sort de tout un chacun. L’araignée prend sur lui, au nom de tous les êtres vivants, de s’ériger en procureur de Dieu. J’ai vu la puissance du génie de Philombe quand l’araignée demande à Dieu au nom de quoi, de façon arbitraire, il fait naître une personne et décide de la faire périr, pourquoi il fait les uns beaux et les autres laids. Un jour, au cours d’une fête, l’araignée porte plainte à Dieu. Puisque Dieu ne peut pas être juge et partie, un jury est donc mis en place. Des personnes qui sont handicapées arrivent à tout de rôle et accusent Dieu de les avoir fait ainsi, en disant « C’est Dieu qui l’a voulu ». Au moment où les juges doivent prononcer la sentence contre Dieu, celui-ci décide que désormais, l’araignée n’aura plus de résidence fixe, il vivra en errance. C’est pourquoi on voit les araignées errer sur les murs des maisons.
Sur le plan symbolique, Réné Philombe trouve que Dieu est le plus grand dictateur. Il va s’attaquer à Dieu-créateur et à la parousie car, pour lui, Dieu a déjà jugé les hommes. Son conte est quelque peu anticlérical. Pendant l’époque coloniale, il a d’ailleurs été interdit par les missionnaires. Il me fait penser au livre « En attendant le vote des bêtes sauvages » d’Ahmadou Kourouma.
Note : Née à Yaoundé en 1955, Stella Engama est poète et romancière. Auteure entre autres de la trilogie « Une siècle d’agonie », elle est actuellement la présidente de l’association « Les amis de la littérature ».
Marie Claire Dati Sabze
« Merci à F. L. Oyono pour les chaussures de Meka ! »
Quel est ce livre que j’ai lu autant de fois avec le même plaisir que « Le vieux nègre et la médaille » (1957, ndlr) de Ferdinand Oyono? A Doum, les paysans dans leurs habitudes : le matin, on va derrière la case, on s’accroupit, une truie attend impatiemment... Meka entre et s’assoit chez la vendeuse d’arki et l’histoire commence : il a donné - peut-être pas bon gré - ses terres à la Mission catholique ; ses fils sont morts à la guerre aux côtés des Français ; le commandant Blanc l’a convoqué. Et qui dit que cet affrontement des intérêts des deux continents s’est arrêté aujourd’hui, 50 ans après les indépendances ? Les habitants de Doum n’ont pas de problème. Le Blanc est le seul problème.
Drôle et humain, notre Meka. Sa veste est trop longue, ses orteils sont retournés vers le ciel ! Pourquoi veut-on qu’il mette des chaussures ? On veut qu’il soit présentable, pour une fois dans sa vie. Et devant tous ses hôtes, il apprend à porter des chaussures, et à marcher avec ! Tout le monde aime Meka, moi aussi. Notre Meka sera à la hauteur : et de mettre du sable et de l’eau dans les chaussures pour les élargir, toute la nuit.
Et le lendemain, devant tous les siens et les Blancs, il est à l’honneur, pour le présent et la postérité… Oui mais s’il pouvait leur dire ! Ses pieds ! Qu’est ce qu’on a ri de Meka! Qu’est ce qu’il a souffert sous le soleil, Meka, pour finir en prison, la médaille, perdue bêtement! Merci, Ferdinand Oyono. A cause de ce livre palpitant, nous sommes heureux de ce que nous faisons tous les jours : nous t’appelons le Vieux Nègre. Avec notre cœur.
Note : Née à Edéa, Marie Claire Dati Sabze a écrit plusieurs recueils de poèmes dont « Les écarlates » (Sopecam, 1992), « Les caillots de vie » (Puf, 2001). Actuellement, elle poursuit sa carrière de traductrice en Egypte.
Jean-Claude Awono
« La Grande royale est un personnage de race »
« La Grande royale est un personnage de race »
Le personnage qui m'a le plus frappé dans mon expérience de la littérature africaine est La Grande Royale de Cheikh Hamidou Kane. Près de 50 ans après la publication de « L'Aventure ambiguë » (1961, Julliard), je n'ai rien perdu de mon admiration pour ce personnage de race que ni le temps, ni l'espace ne peuvent déconstruire, et qui participe du génie que le romancier sénégalais a eu de créer des personnages dont les noms relèvent d'une rare poésie: Maître Thierno, Samba Diallo, etc. La Grande Royale est, de tous, la plus impressionnante pour diverses raisons : la manière dont elle fait irruption dans le récit. Le premier trait qu'on découvre d'elle ce sont ses "deux bras puissants" ainsi que son "grand visage altier" qui font que le narrateur observe un arrêt sur trois pages et 25 phrases pour la décrire. Il y a ensuite ses atouts physiques et sa filiation.
Âgée de 60 ans, elle mesure 1m80 et est la sœur aînée du chef des Diallobé. Son autorité est telle que là où il fait preuve de compréhension, elle "tranche par voie d'autorité". Femme d'initiative, elle a des positions progressistes, fermes et lucides qui tranchent avec la posture conservatrice de l'ordre traditionnel. C'est elle qui prend la décision courageuse d'engager les Diallobé dans la voie de la modernisation qu'impose le monde nouveau apporté par l'Occident violent et impitoyable. Son "sermon" sur la place du village est l'un des plus grands discours jamais tenus par un personnage africain. Sa lucidité et son réalisme constituent des atouts dont nous devons aujourd'hui encore nous armer pour résoudre l'équation de notre inscription dans le monde actuel.
Note : Né à Sa’a en 1969, Jean-Claude Awono est poète, anthologiste et président de l’association La Ronde des poètes. Il est l’auteur de plusieurs recueils dont « A l’affût du matin rouge », paru en 2006 chez Clé.
Pabe Mongo
« Samba Diallo de Cheick Hamidou Kane »
« Samba Diallo de Cheick Hamidou Kane »
Je dirai Samba Diallo, le personnage principal de « L’Aventure ambiguë » de Cheick Hamidou Kane. Il me marque pour au moins deux raisons : la première, c’est le moment où je le découvre. Je suis jeune, à l’âge je me je pose beaucoup de questions. Je suis en classe de terminale au collège La Retraite où la philosophie et la littérature font mariage, et les deux s’emparent du jeune homme que je suis. La seconde, le personnage de Samba Diallo est alors à l’image de ce que j’étais à l’époque. Il porte le rêve que nous avions tous : celui d’aller en Europe, d’acquérir des connaissances. Mais son aventure est ambiguë parce qu’à travers ses vicissitudes, qu’à un moment donné, il n’est plus tout à fait africain mais il ne peut jamais devenir totalement européen, un peu comme dit le proverbe : « Le tronc d’arbre a beau demeurer dans l’eau, il ne sera jamais crocodile ».
Cheik Hamidou Kane |
C’est un roman initiatique où les deux maîtres autour de lui, cette Grande royale et ce professeur initiatique, se posent la question de savoir s’il faut vraiment envoyer leurs enfants à ces écoles-là. Et l’idée positive qu’il y a là c’est qu’on les y envoie pour voler le savoir, apprendre à lier le bois au bois pour faire des édifices de bois, comme dit la Grande royale, apprendre l’art de vaincre sans avoir raison. Vous avez là tout le problème de la colonisation qui a mis en affrontement deux civilisations : une civilisation africaine que Senghor a qualifiée d’affective et une civilisation hellène qui, elle, est matérialiste. J’avais le sentiment que toute la problématique de la négritude était résumée dans cet ouvrage-maître qui est véritablement un chef d’œuvre.
Note : Pabe Mongo est l’auteur de « Père inconnu » (Edicef, 2001) qui fut inscrit au programme scolaire. Il est aussi le président de la section camerounaise de l’Association des écrivains de langue française.
Guillaume Nana
« La Grande royale est une femme pragmatique »
« La Grande royale est une femme pragmatique »
Le personnage qui m’a le plus marqué c’est celui de la Grande royale dans « L’Aventure ambiguë » de Cheick Hamidou Kane. Ceci parce que, tout en représentant le passé de l’Afrique dans toute sa richesse et sa splendeur culturelle et traditionnelle, elle a compris, avec l’arrivée de l’Occident en Afrique, qu’il fallait savoir composer avec le colon sans s’aliéner nous-mêmes, c’est-à-dire en prenant chez eux ce qui est positif et en rejetant ce qui ne l’est pas. C’est une femme pragmatique, consciente. Le problème est réel aujourd’hui encore, car 50 ans après les indépendances, nous devons toujours nous demander si ce que nous prenons chez l’autre va dans le sens de nos intérêts. Dans le contexte africain, c’est un roman qui fait fi du temps, il est d’hier et d’aujourd’hui par rapport à la pertinence de sa thématique.
Note : Guillaume Nana est fonctionnaire en service au ministère de la Culture. Il a écrit en 2005 le roman « Grains de poussière » qui est inscrit au programme des classes de 4ème. « Le cri muet » vient de paraître chez Clé.
Marie-Rose Abomo-Maurin
« Toundi dans Une vie de boy est un être naïf »
« Toundi dans Une vie de boy est un être naïf »
Le personnage qui m’a beaucoup marqué dans la littérature c’est Toundi, dans « Une vie de boy » de Ferdinand Oyono (1956, ndlr). C’est un être complètement naïf qui quitte sa société pour essayer de trouver une place dans la société occidentale et qui devient le souffre-douleur de tout le monde.
Il se pose, à travers lui, la question de savoir si on peut trouver du bonheur en quittant les siens pour aller dans une société qu’on ne connait pas tout à fait.
Ce qui me marque le plus chez Toundi c’est sa naïveté. Il est naïf et en même temps, il est le symbole de celui qui croit qu’il passe dans le cheminement qu’il a enclenché. Il finira par trouver le malheur, c’est un personnage tragique.
Note : Marie-Rose Abomo-Maurin est née à Sangmelima. Professeur de lettres en France, elle a écrit deux essais sur la littérature orale et sur la langue boulou. Elle vient de publier chez Ifrikiya un recueil de nouvelles, « Des prénoms comme un chapelet de cauchemars ».
Anne Cillon Perri
« Maître Tierno dans L’Aventure ambiguë incarne l'islam »
« Maître Tierno dans L’Aventure ambiguë incarne l'islam »
Je souhaite faire une clarification préalable pour dire que le concept de littérature négro-africaine, à mon avis, est problématique, dans la mesure où on ne sait pas très bien de quoi on parle. Est-ce qu’il s’agit de la littérature d’auteurs Noirs ? Est-ce qu’il s’agit d’écrivains vivant en Afrique ?
Néanmoins, tous les personnages m’ont intéressé parce que je les ai traqués d’un livre à l’autre, du début à la fin. Lequel m’a le plus marqué ? Je dirai peut-être maître Tierno dans « L’Aventure ambiguë » de Cheich Hamidou Kane, parce qu’il correspond parfaitement à la perception que j’ai de l’Islam.
Note : Agé de 49 ans, Anne-Cillon Perri est poète, nouvelliste et romancier. Il a publié « Sur les rues de ma mémoires » à Proximité, suivi d’autres œuvres à Ifrikiya. Il est par ailleurs administrateur civil principal.
Aimé Mathurin Moussy
« Banda de Ville cruelle s’exprime sans état d’âme »
« Banda de Ville cruelle s’exprime sans état d’âme »
Dans la littérature de mon enfance et celle qui m’a bercé à l’école, c’est Banda de « Ville cruelle » de Mongo Beti (publié en 1954 à Présence africaine sous le nom d’Eza Boto, ndlr).
Pour moi, c’est l’Africain qui s’exprime sans état d’âme. Or, l’africain c’est l’émotivité, la recherche permanente d’équité. Banda incarne pour moi le personnage anticolonialiste qu’il faille avoir aujourd’hui dans notre société qui est sclérosée par la néo-colonisation.
Mongo Beti |
Car, le problème de la colonisation a peut-être été dépassé mais le problème de la néo-colonisation est toujours d’actualité, même si elle est plus soft. Ce livre est une forme de négritude qui s’exprimer dans un carré camerounais, c’est une forme d’exercice de la parole et de la liberté. Le personnage de Banda est même encore plus d’actualité aujourd’hui, parce que les problèmes qu’il y avait il y a 50 ans ont amplifiés : la démographie, le tribalisme, les sectes...
Note : Né en 1966, Aimé Mathurin Moussy est journaliste. Il vient de publier chez L’Harmattan le recueil de nouvelles, « Sorcier d’Obala ». Actuellement, il vit et travaille en France.
François Nkeme
« La Grande royale incarne l’esprit de changement »
« La Grande royale incarne l’esprit de changement »
Le personnage le plus important de la littérature africaine est la Grande royale de « L'aventure ambigüe » de Cheikh Hamidou Kane. Pour moi, elle incarne bien l'esprit nouveau qui doit conduire le changement et le développement de l'Afrique lors de la rencontre avec l'Occident, supérieur sur le plan technologique. Elle dit : « L'école des Blancs n'est pas une bonne chose, mais mon sentiment est que nous devons y envoyer nos enfants ».
C'est un sentiment d'humilité devant la supériorité d'une autre façon de concevoir l'univers, une façon que nous n'aimons pas mais que nous devons apprendre à comprendre et à connaître, au risque de disparaître. Y a t-il un sentiment plus noble que celui de reconnaître que nous devons apprendre et nous mettre à l'école pour notre survie ? La décision de la Grande royale est pleine d'humilité et dérange la société traditionnelle qui veut perpétrer à l'infini son cycle, car elle dit que le monde change et que rien sur terre n'est éternel. Les traditions de demain sont la résultante des orientations d'aujourd'hui. N'est-ce pas nous les ancêtres de demain?
Note : François Nkeme s’est fait connaître du public avec son 2ème roman « Le cimetière des bacheliers » (Proximité, 2002). Auteur de trois ouvres, il est dirige les éditions Ifrikiya à Yaoundé.
Lottin Wekape
« Koumé de Ville cruelle est un modèle pour la jeunesse »
« Koumé de Ville cruelle est un modèle pour la jeunesse »
Je ne suis pas resté insensible au combat valorisant que Mor-Zamba mène pour s’affranchir d’un pouvoir dictatorial au service de la cause occidentale. Toutefois, c’est au personnage Koumé de « Ville Cruelle » d’Eza Boto que va toute ma sympathie. Devenu un classique dans les lettres francophones, ce roman n’est pas loin d’une allégorie nationale. Il a d’ailleurs activement participé au processus de conscientisation des Africains sur les ravages de la colonisation, ainsi que sur la nécessité de se libérer de l’ogre colonial.
Koumé est le symbole vivant de cette lutte anticolonialiste dont dépend la survie de la nation. Téméraire dans une société grignotée par la lâcheté et la peur, véritable insoumis dans un univers ubuesque où de loques humaines nourries de fouet et d’humiliation rasent désespérément les murs dès qu’apparaît l’homme blanc, agissant plus qu’il ne parle, Koumé représente, durant les années 50, une chance de conquête de l’indépendance qu’espère alors vivement l’Afrique. Il me semble d’ailleurs qu’au moment où le continent se rend de plus en plus compte que le bilan de 50 années d’indépendance est désastreux, ce personnage attachant et en guerre contre les différentes iniquités peut être un moyen pour la jeunesse camerounaise d’envisager l’avenir du pays avec plus d’audace.
Note : Né en 1968 à Yaoundé, Lottin Wekape prépare un doctorat en lettres au Canada. Romancier et dramaturge, il compte 11 ouvrages dont « Chasse à l’étranger » (nouvelles) et www.romeoetjuliette.unis.com.
"Okonkwo dans Things fall apart de Chinua Achebe"
Il y a beaucoup de personnages qui m’ont marqué. Mais j’ai surtout été captivé par Okonkwo, le héros du roman « Things fall apart » (Clé, 1968 ndlr) de l’écrivain nigérian Chinua Achebe. Okonkwo c’est quelqu’un dont le père était paresseux, et lui, il a tout fait pour se démarquer de son père et faire oublier sa filiation. Pour cela, il a perdu son humanité, car il ne voulait pas montrer le moindre amour pour autrui, il fallait qu’il soit sévère pour montrer qu’il était un homme.
Malheureusement pour lui, il est mort tragiquement, en se suicidant, parce qu’il n’a pas supporté l’arrivée du Blanc et les bouleversements qui ont suivis.
Un autre personnage que j’ai aimé c’est le lion, dans « Le lion et la perle» (1971, ndlr). Dans cette pièce de théâtre, le lion est vieux et polygame, il tombe amoureux d’une jeune fille du village, Sidi. Le jeune instituteur du village est lui aussi amoureux de Sidi. Mais il n’arrive pas à lui montrer son amour, et elle va se marier au vieux lion. Malgré sa vieillesse, le lion a la sagesse et il a réussi à épouser la jeune fille
Note : Bole Butake est enseignant et dramaturge. Vice doyen chargé de la scolarité à l’université de Yaoundé I, il est l’auteur de pièces de théâtre dont « Lake God » et « Shoes four men in arm ».
Hervé Madaya
« Loukoum de Calixthe Beyala me fascine »
« Loukoum de Calixthe Beyala me fascine »
La plupart des romans africains que j’ai lus mettent en action des héros plus grands que nature. Je pense par exemple à Birahima dans « Allah n’est pas obligé » d’Ahmadou Kourouma (2000, Seuil, ndlr)…
Je suis un peu embarrassé mais le personnage que j’ai le plus aimé c’est le petit prince africain de Calixthe Beyala, Loukoum. Pourquoi ? Parce que je suis fasciné par la différence. De race, de culture, de personnalité. Un petit africain qui sillonne les rues de Belleville, avec son français et sa culture, qui n’a rien à voir avec les habitudes occidentales, ça captive.
Dans ces romans qui s’intitulent « Maman a un amant » et « Le petit prince de Belleville », le héros raconte sa vadrouille, la vie conjugale de ses parents, immigrés ouest-africains en France. Il donne l’impression de vagabonder alors que ses mots d’enfant sont comme de petits doigts qui se fichent malicieusement dans des blessures d’adultes : les difficultés d’intégration après le dépaysement, le racisme, le désespoir qu’apporte la stérilité, la peur de vieillir seul, l’adultère, etc.
Je trouve que les écrivains africains sont créatifs et fantaisistes. Leurs livres sont souvent pleins d’émotions, de vie, de couleurs. Et il n’est certainement pas facile de camper un personnage enfant aussi enrichissant que Loukoum.
Note : Né en 1977 à Lolodorf, Hervé Madaya est un jeune auteur qui est encore à son premier roman, « Sur les traces de Saer » (Ifrikiya, 2009). Il a récemment remporté le 1er prix roman du concours littéraire Le Cameroes 2010.
Marcellin Vounda Etoa
« Un personnage est un être de papier qui vit dans la tête d’un écrivain »
« Un personnage est un être de papier qui vit dans la tête d’un écrivain »
Critique littéraire, il explique aussi pourquoi la littérature de la période des indépendances a marqué profondément les esprits.
Pour comprendre la notion de personnage, il faut ramener la littératre à ce qui la caractérise. Les principaux genres littéraires sont le roman, le théâtre et la poésie. Et la fonction de la littérature, du roman et du théâtre notamment, c’est de reproduire le monde. Le premier élément pour parler de littérature c’est le caractère fictif, le deuxième élément, c’est la création. Un personnage est un être semblable à la personne humaine mais qui n’a d’existence qu’à l’intérieur d’une œuvre et dans la tête d’un écrivain. C’est donc être de papier. Au point où certains auteurs, à une époque donnée, faisaient cet avertissement : « toute ressemblance avec un personnage existant ou ayant existé n’est que pure coïncidence ».. Une œuvre littéraire, un roman notamment, n’est pas un acte innocent. L’auteur veut communiquer soit une vision du monde, soit une émotion. Il veut faire adhérer à quelque chose. Pour y parvenir, il se sert donc d’un certain nombre d’outils dont le principal est le personnage qui va incarner toutes les idées, toutes les valeurs et contre-valeurs qu’il veut communiquer. C’est pour cela que le personnage est l’élément central de toute œuvre littéraire, du roman et du théâtre notamment.
Comment comprendre que la littérature africaine pré et post indépendances ait autant marqué les esprits, contrairement à celle contemporaine ?
On peut comprendre ce phénomène de deux manières. Premièrement, la nouveauté : il n’y avait pas, avant, une culture et une tradition littéraire. Du coup, tout le monde était focalisé vers ces personnages. La deuxième raison c’est que, comme c’était des faits rares, ils étaient forcément marquants. Il y avait aussi une médiatisation qui fait que jusqu’aujourd’hui, d’Afrique du Sud en Afrique du Nord, on connaît les personnages de Mongo Beti, parce qu’il y avait un seul créneau à partir desquels ces œuvres, qui étaient des pièces rares, étaient diffusées. Il y avait également cet aspect consensuel sur la pertinence des sujets, c’est-à-dire qu’avant les indépendances, la seule chose qui méritait de retenir l’attention c’était comment s’émanciper de la tutelle coloniale. Maintenant que la colonisation est dépassée, il y a comme une espèce d’éclatement de pôles d’intérêt. Aujourd’hui, il y en a qui parlent de l’immigration, d’autres qui parlent de la protection de l’environnement, de la question de genre, du néocolonialisme… Cette multiplication de sujets fait que l’attention est éclatée et dispersée sur ces différents axes-là.
Dossier réalisé par Stéphanie Dongmo
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