dimanche 10 juillet 2011

Droits d'auteur: Désaccords entre Ama Tutu Muna et Odile Ngaska



Le ministre de la Culture dénonce un accord Socam-Synedeboc qui affecte 25% des recettes versées par les Brasseries du Cameroun sur les ristournes des bars au Syndicat national des exploitants des débits de boissons.

Lundi, 4 juillet dernier, les responsables des quatre sociétés de gestion collectives de droits d'auteur et droits voisins (Sociladra, Socam, Scaap, Socadap) ont tenu une réunion de travail avec la présidente de la Commission permanente de médiation et de contrôle (Cpmc) au siège de cet organisme à Yaoundé. A l'ordre du jour, le partage des droits collectés auprès des usagers. Dans la cagnotte, 264 millions de Fcfa perçus ainsi qu'il suit : 50 millions Fcfa à la Crtv, 44 millions Fcfa auprès des autres usagers et 175 millions Fcfa aux Brasseries du Cameroun. Cette dernière somme comprend 155 millions Fcfa payés au titre des retenues opérées sur les ristournes des vendeurs détaillants des produits brassicoles. 25% de cet argent devrait revenir au Syndicat national des exploitants des débits de boissons du Cameroun (Synedeboc) à titre de rétribution sur les frais de recouvrement, selon les termes d'un accord signé en mai 2009 entre la Socam, mandataire des trois autres sociétés sœurs, la Cpmc et le Synedeboc. Mais cet arrangement n'a pas été respecté suite à une dénonciation du ministre de la Culture.

Spoliation des artistes

En effet, le 28 juin 2011, Ama Tutu Muna, la ministre de la Culture (Mincult), a adressé une lettre à Odile Ngaska, la présidente du conseil d'administration de la Socam, avec en objet : « Dénonciation de la prétendue convention entre la Socam et le Synedeboc ». Le ton de la correspondance est dur : « Il m'est revenu que vous vous êtes, au travers d'une prétendue convention, engagée à verser à un certain syndicat dénommé Synedeboc, 25% des redevances dues au titre du droit d'auteur à percevoir auprès des Brasseries du Cameroun ». Et d'ajouter que « si cette information s'avère vérifiée, ladite convention, en plus de ce qu'elle n'a pas été portée à ma connaissance, est en violation flagrante des dispositions légales et réglementaires en matière de répartition du droit d'auteur et des droits voisins». La ministre conclut en demandant à la Socam «de bien vouloir utiliser, dans les meilleurs délais, les voies appropriées pour mettre fin à cet engagement qui est réputé nul et de nul effet pour le ministère de la Culture, en raison de ce qu'il contribue à la spoliation des droits des artistes».

Pourtant, l'accord ainsi dénoncé porte la signature de trois parties : Adolphe Minkoa She, le président de la Cpmc de l'époque, Odile Ngaska, la présidente de la Socam, et Roger Tapa, le président du Synedeboc. Ceux-ci avaient donné une conférence de presse le 18 juin 2009 à l'hôtel Djeuga à Yaoundé pour rendre public cet accord, en présence de Mme Ashiri Kilo, conseiller technique N°,1 représentant le Mincult. Au sortir de cette rencontre, celle-ci avait d'ailleurs déclaré à Cameroon Tribune : «Nous avons enfin trouvé la paix, nous espérons que cela va durer».

Avant cela, le 26 mai 2009, une lettre d'information signée du Mincult, du président de la Cpmc, du Pca de la Socam et du président du Synedeboc informait les exploitants des débits de boisson de l'aboutissement des négociations entre ces parties. Grâce à quoi, «la redevance due au titre de droit d'auteur et de droits voisins est payée semestriellement ou annuellement, par avance, par les sociétés brassicoles sur les ristournes de leurs clients». La correspondance invite, de ce fait, les gérants de débits de boissons à signer une autorisation de retenue qui permettra aux Brasseries du Cameroun de prélever cette redevance. Le rôle du Synedeboc étant de «recueillir des autorisations écrites auprès de ses adhérents». En retour, il «percevra 25% du montant recouvré à titre de rétribution des frais sur recouvrement», dit l'accord. Mais le syndicat a été exclu du partage pour la seconde fois, après la répartition de novembre 2010.

«25%, c'est énorme »

Le problème semble se poser au niveau de la rémunération du Synedeboc. «A l'époque, le chien était affamé, maintenant, il faut revoir les choses», dit Théodore Ondigui, le Pca de la Socadap. «25%, c'est énorme. Mais il fallait bien commencer quelque part. Il faut déjà respecter les termes de notre accord et envisager, par la suite, une nouvelle négociation avec le Synedeboc, pour ne pas perdre notre crédibilité», affirme une source à la Scaap. Approchée, Paulette Mvomo Ella, la présidente de la Cpmc, n'a pas souhaité s'exprimer sur la question. En l'absence du Pca, le directeur général de la Socam, Aron Kabelok, s'est montré réservé: «On n'a pas encore répondu au ministre de la Culture, il serait donc difficile de dire quoi que ce soit». Il ajoute cependant que si l'accord est rompu, les sociétés devront revenir à l'ancien système de perception sur le terrain.

Sauf que, depuis le 8 septembre 2010, une circulaire du Mincult a mis fin aux perceptions directes des redevances au titre du droit d'auteur et des droits voisins auprès des usagers.

Historique et avantages

Les négociations pour aboutir à cet accord ont duré quatre ans. Elles sont parties d'un constat amer : les gérants de débits de boissons étaient de plus en plus réticents à payer des droits d'auteur qu'ils ne comprenaient pas toujours, faute de sensibilisation. De plus, ils se plaignaient des abus et du harcèlement des percepteurs de la Cameroon music corporation (Cmc), société gérant le domaine musical à ce moment-là. Partant du fait qu'il est plus facile pour un gérant de bar de signer une autorisation de retenue que de décaisser des sous, il a fallu trouver un accord. En sa qualité de facilitateur, le Synedeboc avait exigé que soient couverts les frais qu'il devait engager pour la mobilisation de ses adhérents. D'où les 25% décidés par la Cpmc.

D'après les responsables des sociétés de gestion collective, ce système a beaucoup apporté à la collecte du droit d'auteur. Aron Kabelok, le Dg de la Socam, explique qu'il a permis de réduire les coûts en éliminant presque les équipes de perception envoyées sur le terrain, de même qu'il a apporté une augmentation substantielle des sommes perçues. Laurain Assipolo, administrateur de la Socadap, ajoute que cet accord a permis aux autres sociétés qui gèrent la littérature et les arts dramatiques, les arts plastiques et graphiques et les arts photographiques et audiovisuels d'entrer dans répartition, en ce qui concerne les droits d'auteur collectés auprès des détaillants des produits brassicoles. Ce qui n'était pas le cas avant.

Stéphanie Dongmo


Répartition du 4 juillet 2011

Sociladra : 49 161 363 Fcfa

Socam : 98 557 813 Fcfa

Scaam : 61 082 623 Fcfa

Socadap : 31 961 089 Fcfa


Votre avis : Que pensez-vous de la menace qui pèse sur l'accord entre la Socam et le Synedeboc ?

«Privilégier le dialogue», Esso Essomba, musicien

Il n’est pas interdit de continuer les négociations pour trouver un compromis sur ce qui n’a pas marché dans ce contrat. Il faut ici privilégier les charges supportées par chacune des parties. Il y a, d’un côté, la Socam, qui doit reverser des droits aux artistes, mais il y a aussi de l’autre côté, le Syndicat des exploitants des débits de boissons, qui a un apport non négligeable. Le travail de ce syndicat aide la société des droits d’auteur à augmenter ses recettes. Moi, je crois qu’il faut choisir la voie du dialogue. Chaque partie joue un rôle important dans le processus.

«C'est normal», Tsimi Toro, musicien

Je crois qu’il est normal que le contrat entre la Socam et le Synedeboc soit rompu, car le pourcentage que prélève ce syndicat est énorme. Ce travail doit incomber aux artistes eux-mêmes. J’ai rencontré une autorité qui a posé la question de savoir pourquoi les artistes ne peuvent pas prendre leur destin en main. Il est temps que les gens ne fassent plus les choses à notre place. Nous sommes prêts à descendre sur le terrain pour répertorier les bars et les débits de boissons. Aujourd’hui, les artistes sont plus nombreux que les membres de ce syndicat. Il faut laisser les artistes faire leurs choses.

«Proposer autre chose», Verlain Didoré Kueté, réalisateur

Si le ministre de la Culture demande la rupture de cet accord sans rien proposer en échange, cela suppose que les Brasseries du Cameroun ne vont plus rien payer au titre des retenues sur les ristournes des débits de boissons. Du coup, nous nous retrouverons sans un radis de l'exploitation de nos œuvres dans les bars. Or, nos films sont diffusés à la télé, et presque tous les bars possèdent un téléviseur. Nous avons besoin de cet argent pour vivre. Le président de la République doit prendre les mesures qu'il faut afin de permettre aux artistes de vivre de leur art. La situation a assez duré, elle ne nous encourage pas à produire.

«C'est de la mauvaise foi», Ousmanou, photographe

En tant que syndicaliste [il est le secrétaire général du Syndicat national des photographes indépendants du Cameroun], je crois que c'est de la mauvaise foi. On ne peut pas prétendre ne pas connaître un accord qui a été signé en présence d'un représentant du ministère de la Culture et par la Cpmc. Cette convention devrait s'appliquer, même si elle doit être renégociée. Avant, nous les photographes ne percevions pas les droits d'auteur venant des Brasseries. Maintenant, c'est différent. C'est pourquoi cette convention a lieu d'être.


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