Ce
genre artistique est le fait de quelques plasticiens mais reste incompris du
grand public. Les Rencontres d'art visuels de Yaoundé, qui rassemblent tous les
deux ans des performeurs camerounais et étrangers, se sont donnés pour objectif
de le vulgariser.
Christian Etongo fait une performance. |
Dans un quartier
populaire de Yaoundé, par un après-midi ensoleillé du mois d'avril, un homme
surgit dans la rue et commence à se déshabiller. Un cercle de badauds l'entoure
immédiatement. Est-il fou, se demande quelqu'un. Non, répond un autre, c'est un
artiste contemporain qui fait une performance. Performance, un mot nouveau pour
la plupart des personnes dans le public. Serge Olivier Fokoua, le promoteur du
festival Rencontres d'arts visuels de Yaoundé (Ravy) qui a organisé cette
manifestation au quartier Essos, explique que le but est de vulgariser la
performance artistique au Cameroun, où le genre reste peu connu et peu
pratiqué. "La performance dans la
rue répond au besoin de créer un pont solide entre le public et les
artistes", ajoute Landry Mbassi, le commissaire de cette 3e édition
des Ravy (du 2 au 8 avril 2012). La rue devient ainsi un espace de diffusion
dans un pays où il en existe trop peu.
Mais c'est quoi la performance ?
Considéré par les Ravy
comme le performeur le plus prolifique du Cameroun, Christian Etongo a sa
définition : "Selon les
académiciens, la performance c'est l'action exécutée par un artiste en temps
réel devant un public. Pour moi, la performance c'est l'action", tout
simplement. Stéphane Tchonang est metteur en scène et auteur d'un mémoire
intitulé "Mise en scène théâtrale et performance au Cameroun". Pour
lui, la performance est "une expression artistique qui relève plus des
arts plastiques que du théâtre et dans laquelle les artistes utilisent leurs
corps comme moyen d'expression. Il y a très peu de mise en scène et beaucoup
d'improvisation". Serge Olivier Fokoua va plus loin en affirmant que "la performance est une façon de mieux
dire ce que les tableaux ou les sculptures figées n'ont pas fini de dire".
L'artiste utilise l'espace et tout son contenu, souvent son propre corps qui se
confond à l'œuvre d'art, pour s'exprimer devant un public qui participe de
façon plus ou moins passive.
Mais la performance, c'est aussi le règne de l'éphémère. Car, comment conserver une œuvre dans laquelle il y a très peu de mise en scène au-delà de son expérience ? Le plasticien Joseph Francis Sumegne, met en garde contre cette façon d'exprimer spontanément ce qu'on n'a pas pu dire par élaboration : "soyez vigilant avec ce que l'on appelle art contemporain. Demandez-vous qu'est-ce qui va survivre après vingt ans. Car, l'art c'est ce qui peut affronter le temps en instruisant". Dix-huit ans après son élévation, sa sculpture baptisée "La statue de la nouvelle liberté" se dresse encore fièrement au rond-point Deido à Douala. Mais qui se souvient de sa dernière performance à la 2e édition des Ravy en mai 2010 ?
Tout
est performance ?
Face à l'œuvre de
Christian Etongo, qui s'est fait poser une perfusion tout en sirotant une bière
et en menant une discussion à bâtons rompus avec le public sur la démocratie,
le journaliste culturel Claudel Tchinda reste dubitatif : "Si la performance est considérée comme de l'art, cela veut dire
que l'infirmière qui fait une injection est une artiste. Le simple fait de se
déplacer le matin pour aller au boulot, c'est donc de la performance".
Stéphane Tchonang abonde dans le même sens : "Nous sommes dans une société de spectacle. C'est à se demander où
se situe la frontière entre la performance et la vie. Jésus Christ, en portant
sa croix pour Golgotha, a utilisé son corps pour s'exprimer. C'est de la
performance". Christian Etongo ne dit pas le contraire mais reste
prudent : "Tout est performance et
en principe, n'importe qui peut faire de la performance. Il y a de la
performance dans un concert de jazz, dans une pièce de théâtre, dans la lecture
d'un poème… Mais la performance étant une catégorie de l'art, il faut avoir une
base artistique et construire le message à passer". Critique d'art et
directeur du centre d'art contemporain Africréa à Yaoundé, Malet Ma Njami Mal
Jam vient trancher, en soutenant que la performance est le fait de plasticiens.
Ici, l'artiste utilise tous les médiums à sa
disposition et travaille de façon conceptuelle. L'œuvre d'art n'est plus faite
pour être belle mais surtout pour susciter la réaction et le débat. Si les
thèmes abordés par les performeurs camerounais invités aux Ravy varient, ils
ont cependant l'engagement en commun. Ainsi, Christian Etongo a travaillé sur
la démocratie et les relations entre les institutions financières mondiales et
l'Afrique, Jean Gérard Bessala s'est intéressé à la longévité politique au
Cameroun et Dieudonné Fokou s'est penché sur la destruction de l'environnement.
D'après Stéphane Tchonang, la performance est forcément engagée : "l'artiste est le thermomètre de la
société et le performeur est volontiers subversif. La performance est un rituel
: les artistes lavent les péchés du monde en public".
Rappel
historique
Cette mouvance de l'art contemporain, né dans
les années soixante aux "États-Unis, est arrivée au Cameroun dans les
années quatre-vingt-dix, à la faveur de plusieurs facteurs, comme l'explique
Mal Jam : la publication d'un numéro spécial que la Revue Noire consacre à
l'art au Cameroun en1994 ; le début de l'expatriation des plasticiens
contemporains, la création des galeries d'art contemporain, la participation
des artistes aux grandes biennales dans le monde. Il ajoute qu'après la
décennie 1995-2005, la scène est restée assez décousue : "les meilleurs éléments se sont expatriés ; parmi les nouveaux, on
n'a pas encore vu de gens capables de les transcender". Dans ce cercle
étroit, il cite volontiers Barthélemy Toguo, Pascale Marthine Tayou, Bili
Bidjocka, Joël Mpah Dooh, Pascal Kenfack, Joseph Francis Sumegne… Stéphane
Tchonang allonge la liste avec Goddy Leye et Émile Youmbi. Depuis 2008, l'art
performance repart à la conquête d'un public, boosté par les Rencontres d'arts
visuels de Yaoundé qui le mettent au centre des manifestations. Six ans après,
Serge Olivier Fokoua est fier de constater : "nous avançons lentement,
mais sûrement".
Artistes
meurt-la-faim
Parce que leurs œuvres sont difficilement
vendables, la plupart des performeurs camerounais ont une autre carrière. La
performance est donc un aboutissement pour ces artistes qui viennent de la
danse (Etongo), de la mode (Bessala), de la sculpture (Fokou), de la peinture
(Salifou Lindou) et du théâtre (Silvain Yimga). Pour Christian Etongo, il est
impossible de vivre de l'art de la performance au Cameroun. Il avoue cependant
que sa pratique lui a apporté la visibilité nécessaire pour obtenir de
certaines institutions étrangères le financement de ses recherches artistiques.
Serge Olivier Fokoua est catégorique : "l'artiste
n'est pas un commerçant ; il est celui qui travaille pour défendre un concept,
une idée. Se faisant, la récompense peut suivre". Celle-ci peut être
la mise en valeur de l'artiste ou un contrat décroché. Mal Jam, lui, croit dur
comme fer que si l'artiste est excellent, son travail va devenir une valeur
marchande. Cela passe par la formation, la maîtrise du circuit de diffusion et
la promotion.
Une action de promotion qui devra amener le public à mieux comprendre la performance artistique et à y adhérer. "De toutes les façons, l'art c'est aussi le sens et chacun y comprend quelque chose, à sa manière", défend Stéphane Tchonang. Une vision que ne partage pas entièrement Mal Jam pour qui l'art est avant tout une affaire d'initiés : "N'importe qui peut contempler une œuvre d'art, mais seuls les initiés la comprennent en profondeur. Un minimum d'initiation est requis à la base. C'est pourquoi, en l'absence d'une école des beaux-arts au Cameroun, l'école doit participer à l'éveil du goût et les médias doivent prendre leurs responsabilités pour transmettre un sens critique qui nous aidera tous à mieux apprécier l'art."
Stéphanie Dongmo
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