Parmi les temps forts annoncés de cette troisième édition des RADO, qui s’est tenue du 24 au 29 avril, figurait un « face à face producteurs-diffuseurs » tout à fait prometteur. Le match a bien eu lieu mais il n’a pas tenu toutes ses promesses, faute de combattants du côté des diffuseurs. Un seul participant, issu d’une chaîne privée, a en effet, accepté de faire face à des dizaines de producteurs souvent amers ou vindicatifs. La télévision nationale (CRTV), n’était représentée que par l’un de ses réalisateurs.
Cette absence quasi-totale des chaînes camerounaises n’a pas empêché les producteurs et réalisateurs présents d’étaler leurs griefs : indifférence de la télévision nationale à leur égard, non respect d’une législation qui exige pourtant 70 % de programmes locaux à l’antenne et qui prévoit explicitement que la CRTV ait recours au secteur de la production indépendante ; absence de politique de coproduction et même d’achat de programmes locaux ; opacité des critères sur lesquels se fondent les quelques achats constatés malgré tout.
Les choix, selon plusieurs participants, seraient faits « à la tête du client » à la CRTV et sur des critères encore moins avouables (ethniques) dans telle chaîne privée. Quand un responsable des programmes se montre, néanmoins, intéressé par un projet, le refrain, selon les producteurs présents au RADO, serait toujours le même : pas d’argent ! Et Lorsque la télévision nationale propose d’apporter du matériel et des techniciens, cette offre est jugée sans intérêt par la plupart des producteurs qui possèdent souvent leur propre matériel et craignent de travailler avec des techniciens qui n’auront aucun compte à leur rendre.
Du dialogue de sourds surgissent pourtant, parfois, des embryons de solution. Un producteur de série est parvenu à s’entendre avec la CRTV sur la mise à disposition d’un studio inemployé. La palme de l’astuce et du pragmatisme revient à un réalisateur de la CRTV. Face à l’impossibilité d’obtenir tout le budget nécessaire au tournage d’une série et d’un téléfilm, il a pris le parti de financer lui-même les cachets des comédiens. Il est parvenu à rentrer dans ses frais en organisant une projection unique du film qui a rassemblé 800 personnes, grâce aux spots de promotion diffusés par la CRTV.
Si encourageant soit-il, à certains égards, cet exemple montre à quel point il est difficile de se faire une place sur l’antenne d’une télévision publique africaine, même pour un réalisateur « maison » ayant l’avantage d’être déjà « dans la place ».
Dans ce contexte, le directeur de la télévision nationale tchadienne avait fait figure de messie lorsque, venu participer à l’édition 2011 des RADO, il avait conclu plusieurs contrats d’achat de programmes camerounais, à des prix tout à fait encourageants.
Hélas, sa nomination, peu de temps après, au poste de ministre de la culture, s’est soldée par un « manque de suivi » par la télévision tchadienne desdits contrats, dont aucun n’avait été honoré un an plus tard.
On comprend à quel point les producteurs indépendants peuvent se sentir désarmés, d’autant qu’aucun d’entre eux ne « fait le poids » face à la concurrence des programmes étrangers. Aucune fiction camerounaise ne parvient à cumuler tous les atouts qui assurent le succès des séries les plus prisées par les chaînes publiques africaines, à savoir les feuilletons latino-américains ou indiens (qualité technique impeccable, prix de vente très bas, grand nombre d’épisodes).
Dans ce contexte, la Banque d’Images de l’Afrique centrale (BIMAC), créée par Rémi Atangana, l’organisateur des RADO, prend tout son sens. Cette entreprise de collecte et de diffusion de programmes a d’abord été soutenue par l’UNESCO (Fonds international pour la diversité culturelle) avant de recevoir l’appui de la Francophonie pour la diffusion de ses programmes.
La BIMAC a obtenu des mandats de distribution de plusieurs producteurs, ce qui lui a permis de constituer un catalogue plus facile à proposer aux diffuseurs que des œuvres dispersées, d’autant que la Banque d’images se réserve le droit de « calibrer » certains programmes pour les adapter aux normes techniques ou aux formats (durée) exigés par les diffuseurs. Reste à savoir si les programmes en question sont adaptés (ou adaptables) à une diffusion télévisée. On a pu voir, lors des RADO 2012, quelques œuvres qui semblent difficilement normalisables ou formatables.
L’influence des vidéos nigérianes se fait sentir, avec ses avantages et ses inconvénients : effets percutants, audace parfois sans limites mais un niveau technique plus proche de la « qualité VCD » (le format de diffusion – infra-DVD – propre au marché vidéo africain) que des normes « broadcast » des télévisions.
Certains des auteurs qui se tournent spontanément vers la BIMAC sont des semi-professionnels ; d’autres proposent des œuvres parfois créatives mais difficiles à placer (sexe, violence, scènes blasphématoires, comme dans les œuvres d’Alphonse Ongolo, qui a sillonné les océans sur des navires de commerce avant de se reconvertir dans la production de films d’horreur – un genre pratiquement inexistant jusqu’ici en Afrique francophone et totalement absent des télévisions).
En l’absence de marché vidéo réellement organisé au Cameroun et, faute d’un réseau de salles de projection, la production indépendante a peu de chances d’être diffusée hors des télévisions. Or, sur le petit écran, le formatage est le corollaire inévitable de la consommation passive d’images par toutes les catégories de public.
Les indépendants rêvent de la liberté du cinéaste sans en avoir les moyens techniques, artistiques ou financiers mais, pour atteindre un public, beaucoup devront se plier aux exigences des télévisions. Encore faut-il que ces exigences soient formulées clairement. Plusieurs producteurs présents aux RADO ont appelé de leurs vœux une plus grande transparence dans les critères de choix des programmes par les télévisions. Certains se disent prêts à obéir à des cahiers des charges. Encore faut-il que ceux-ci soient formulés clairement par les diffuseurs.
Les RADO 2012 ont également donné lieu à des échanges sur la disparition du cinéma camerounais. Noureddine Saïl, directeur du Centre Cinématographique Marocain (CCM) a fait une intervention remarquée, plaidant pour une renaissance du cinéma, malgré la fermeture des dernières salles camerounaises en 2009. Pour lui, c’est la production de films locaux qui doit être la première préoccupation. Sans ce préalable, toute tentative de relance d’un réseau de salles est illusoire. Il a cité l’exemple de son pays qui, avec 25 longs-métrages par an, peut enfin envisager une relance de la fréquentation et voit le nombre d’écrans repartir à la hausse après des années de déclin (plusieurs nouveaux multiplexes sont en construction ou en projet à et Rabat, Tanger, Fès et Agadir).
Le patron du CCM a insisté sur la nécessité d’une production abondante, d’où pourront émerger quelques œuvres d’envergure internationale. Contre ceux qui préfèrent le choix de l’élitisme, prétendant qu’il vaut mieux se contenter de quelques chefs d’œuvres, il a cité l’écrivain Rabindranath Tagore : « Si vous fermez la porte à toutes les erreurs, la vérité restera dehors ». Noureddine Saïl a réaffirmé l’engagement du Maroc en faveur du cinéma d’Afrique subsaharienne, rappelant que, sous son impulsion, 35 films ont été coproduits par le Centre Cinématographique Marocain depuis « Moolaadé » en 2004. Mais le Cameroun n’est plus au programme depuis 2007, année de sortie des « Saignantes » de Jean-Pierre Bekolo et de « Mah Saah-Sah » de Daniel Kamwa. « Un pays qui ne produit pas au moins un long-métrage par an n’existe pas », a martelé Noureddine Saïl.
Cette absence quasi-totale des chaînes camerounaises n’a pas empêché les producteurs et réalisateurs présents d’étaler leurs griefs : indifférence de la télévision nationale à leur égard, non respect d’une législation qui exige pourtant 70 % de programmes locaux à l’antenne et qui prévoit explicitement que la CRTV ait recours au secteur de la production indépendante ; absence de politique de coproduction et même d’achat de programmes locaux ; opacité des critères sur lesquels se fondent les quelques achats constatés malgré tout.
Les choix, selon plusieurs participants, seraient faits « à la tête du client » à la CRTV et sur des critères encore moins avouables (ethniques) dans telle chaîne privée. Quand un responsable des programmes se montre, néanmoins, intéressé par un projet, le refrain, selon les producteurs présents au RADO, serait toujours le même : pas d’argent ! Et Lorsque la télévision nationale propose d’apporter du matériel et des techniciens, cette offre est jugée sans intérêt par la plupart des producteurs qui possèdent souvent leur propre matériel et craignent de travailler avec des techniciens qui n’auront aucun compte à leur rendre.
Du dialogue de sourds surgissent pourtant, parfois, des embryons de solution. Un producteur de série est parvenu à s’entendre avec la CRTV sur la mise à disposition d’un studio inemployé. La palme de l’astuce et du pragmatisme revient à un réalisateur de la CRTV. Face à l’impossibilité d’obtenir tout le budget nécessaire au tournage d’une série et d’un téléfilm, il a pris le parti de financer lui-même les cachets des comédiens. Il est parvenu à rentrer dans ses frais en organisant une projection unique du film qui a rassemblé 800 personnes, grâce aux spots de promotion diffusés par la CRTV.
Si encourageant soit-il, à certains égards, cet exemple montre à quel point il est difficile de se faire une place sur l’antenne d’une télévision publique africaine, même pour un réalisateur « maison » ayant l’avantage d’être déjà « dans la place ».
Dans ce contexte, le directeur de la télévision nationale tchadienne avait fait figure de messie lorsque, venu participer à l’édition 2011 des RADO, il avait conclu plusieurs contrats d’achat de programmes camerounais, à des prix tout à fait encourageants.
Hélas, sa nomination, peu de temps après, au poste de ministre de la culture, s’est soldée par un « manque de suivi » par la télévision tchadienne desdits contrats, dont aucun n’avait été honoré un an plus tard.
On comprend à quel point les producteurs indépendants peuvent se sentir désarmés, d’autant qu’aucun d’entre eux ne « fait le poids » face à la concurrence des programmes étrangers. Aucune fiction camerounaise ne parvient à cumuler tous les atouts qui assurent le succès des séries les plus prisées par les chaînes publiques africaines, à savoir les feuilletons latino-américains ou indiens (qualité technique impeccable, prix de vente très bas, grand nombre d’épisodes).
Dans ce contexte, la Banque d’Images de l’Afrique centrale (BIMAC), créée par Rémi Atangana, l’organisateur des RADO, prend tout son sens. Cette entreprise de collecte et de diffusion de programmes a d’abord été soutenue par l’UNESCO (Fonds international pour la diversité culturelle) avant de recevoir l’appui de la Francophonie pour la diffusion de ses programmes.
La BIMAC a obtenu des mandats de distribution de plusieurs producteurs, ce qui lui a permis de constituer un catalogue plus facile à proposer aux diffuseurs que des œuvres dispersées, d’autant que la Banque d’images se réserve le droit de « calibrer » certains programmes pour les adapter aux normes techniques ou aux formats (durée) exigés par les diffuseurs. Reste à savoir si les programmes en question sont adaptés (ou adaptables) à une diffusion télévisée. On a pu voir, lors des RADO 2012, quelques œuvres qui semblent difficilement normalisables ou formatables.
L’influence des vidéos nigérianes se fait sentir, avec ses avantages et ses inconvénients : effets percutants, audace parfois sans limites mais un niveau technique plus proche de la « qualité VCD » (le format de diffusion – infra-DVD – propre au marché vidéo africain) que des normes « broadcast » des télévisions.
Certains des auteurs qui se tournent spontanément vers la BIMAC sont des semi-professionnels ; d’autres proposent des œuvres parfois créatives mais difficiles à placer (sexe, violence, scènes blasphématoires, comme dans les œuvres d’Alphonse Ongolo, qui a sillonné les océans sur des navires de commerce avant de se reconvertir dans la production de films d’horreur – un genre pratiquement inexistant jusqu’ici en Afrique francophone et totalement absent des télévisions).
En l’absence de marché vidéo réellement organisé au Cameroun et, faute d’un réseau de salles de projection, la production indépendante a peu de chances d’être diffusée hors des télévisions. Or, sur le petit écran, le formatage est le corollaire inévitable de la consommation passive d’images par toutes les catégories de public.
Les indépendants rêvent de la liberté du cinéaste sans en avoir les moyens techniques, artistiques ou financiers mais, pour atteindre un public, beaucoup devront se plier aux exigences des télévisions. Encore faut-il que ces exigences soient formulées clairement. Plusieurs producteurs présents aux RADO ont appelé de leurs vœux une plus grande transparence dans les critères de choix des programmes par les télévisions. Certains se disent prêts à obéir à des cahiers des charges. Encore faut-il que ceux-ci soient formulés clairement par les diffuseurs.
Les RADO 2012 ont également donné lieu à des échanges sur la disparition du cinéma camerounais. Noureddine Saïl, directeur du Centre Cinématographique Marocain (CCM) a fait une intervention remarquée, plaidant pour une renaissance du cinéma, malgré la fermeture des dernières salles camerounaises en 2009. Pour lui, c’est la production de films locaux qui doit être la première préoccupation. Sans ce préalable, toute tentative de relance d’un réseau de salles est illusoire. Il a cité l’exemple de son pays qui, avec 25 longs-métrages par an, peut enfin envisager une relance de la fréquentation et voit le nombre d’écrans repartir à la hausse après des années de déclin (plusieurs nouveaux multiplexes sont en construction ou en projet à et Rabat, Tanger, Fès et Agadir).
Le patron du CCM a insisté sur la nécessité d’une production abondante, d’où pourront émerger quelques œuvres d’envergure internationale. Contre ceux qui préfèrent le choix de l’élitisme, prétendant qu’il vaut mieux se contenter de quelques chefs d’œuvres, il a cité l’écrivain Rabindranath Tagore : « Si vous fermez la porte à toutes les erreurs, la vérité restera dehors ». Noureddine Saïl a réaffirmé l’engagement du Maroc en faveur du cinéma d’Afrique subsaharienne, rappelant que, sous son impulsion, 35 films ont été coproduits par le Centre Cinématographique Marocain depuis « Moolaadé » en 2004. Mais le Cameroun n’est plus au programme depuis 2007, année de sortie des « Saignantes » de Jean-Pierre Bekolo et de « Mah Saah-Sah » de Daniel Kamwa. « Un pays qui ne produit pas au moins un long-métrage par an n’existe pas », a martelé Noureddine Saïl.
Puisse le Cameroun renouer avec l’existence…
Pierre Barrot
Source: AICP
Pierre Barrot, diplômé de l'École Supérieure de Journalisme de Lille, a été journaliste professionnel pendant 17 ans, travaillant en particulier pour l'agence de presse SYFIA et pour les magazines télévisés "Intertropiques", puis "Baobab", diffusés par Canal France International et TV5. Il a ensuite été l'initiateur et le producteur exécutif de la série télévisée africaine "Taxi Brousse" (Prix des Droits Humains au festival "Vues d'Afrique" de Montréal en 2001 et prix de la meilleure série au festival "Cinéma Tout-Ecran" de Genève en 2003). Il a publié en 1993 (avec Seydou Drame) le roman "Bill l'espiègle" (Ed. Lieu commun) et a coordonné "L'Afrique côté cuisine" (Syros), paru en 1994. Il a également collaboré au manuel "Le métier de journaliste en 30 questions-réponses" (Gérard Ponthieu, GRET, 1998). Pierre Barrot a vécu en Afrique de l'Ouest durant dix ans et fut attaché audiovisuel régional de l'Ambassade de France au Nigeria puis attaché culturel à Alger. (Africultures)
Hyper intéressant votre article,ça change un peu des autres sujets banals qu'on trouve souvent dans le net..par contre votre article va surement plair à tout le monde quoi que ce soit leurs âges ou leurs pensées..bonne continuation !!
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