Une scène du film. Les candidats à l'immigration clandestine sur la pirogue. |
Elle est vieille et usée. Elle tangue dangereusement sur une mer déchaînée, au cœur d’une nuit noire. Construite en bois, elle transporte habituellement du poisson. Mais pour la circonstance, elle va transporter des hommes. 30 personnes prêtes à tout pour atteindre les côtes espagnoles, d’où elles comptent suivre les sirènes de l’Europe. Son nom de baptême est « Goor fitt », c’est-à-dire « qui n’a peur de rien ». Mais face à la rudesse des vagues, la pirogue, la star du film éponyme, aura des sueurs froides. Ses jeunes et moins jeunes occupants aussi. Survivre devient pour eux une gageure.
Si ces aventuriers qui,
pour la plupart, n’avaient jamais vu la mer avant de monter dans la fragile
embarcation ne savent pas où ils vont, en revanche, ils savent très bien où ils
ne veulent plus être. Dans des pays dirigés par des personnes aussi vieilles
que la pirogue, et entre les mains desquels la société va à vau-l’eau et
l’avenir est incertain. Ils connaissent les risques d’une telle aventure. Ils
connaissent des gens qui sont morts en mer. Mais ils connaissent aussi des gens
qui ont réussi et sont revenus construire des « maisons à étages »,
comble de la richesse dans le village de pécheurs. Alors, ils tentent leur
chance, convaincus que Dieu les aime tellement que rien ne peut leur arriver.
D’ailleurs, comme le dit Lansana, l’un des aventuriers, avec un cynisme
déconcertant, « tu reste au pays, tu as une chance sur dix de rater ta
vie ; tu pars, tu as une chance sur dix de mourir ». Entre deux maux,
ils ont choisi ce qui leur semblait être le moindre.
La caméra de Moussa
Touré se fait intimiste pour raconter la traversée. Un voyage qu’en son temps,
la Camerounaise Joséphine Ndagnou avait seulement effleuré dans « Paris à
tout prix » (2007), son long métrage sur l’immigration clandestine. Parmi
les occupants de la pirogue, Baye Laye est le seul qui ne voulait pas partir.
Le pêcheur se fait passeur pour sauver un frère et un ami. Il ne reviendra
qu’avec le frère. Car ni les prières, ni les fétiches, ne sauveront pas
certains d’une mort certaine. Avant cela, il y a eu les fous-rires, le conflit,
la violence, l’étouffement, la peur et les regrets. Que le réalisateur exprime
à travers la voix intérieure de chacun des personnages principaux, qui les
amène à faire leur mea culpa. Cette manière d’exprimer la conscience avait déjà
été utilisé par son compatriote Sembène Ousmane dans « La noire de »
(1966).
Engagement
Le film a choisi le
dialogue sans verbiage et des regards intenses pour parler des sentiments qui
se passent des mots et accentuer la progression vers le danger. Il a de
fréquentes références au rituel, avec des rêves de baobabs centenaires et de
troupeaux de bœufs. Un symbolisme qui met en opposition l’immobilisme et
l’usure d’un système à la fougue de jeunes prêts à foncer, même si c’est tête
baissée.
Parce que sur un sujet aussi grave, qui a fait périr près de 5000 Africains en haute mer entre 2005 et 2012, on ne peut rester neutre, Moussa Touré prend position et tire la sonnette d’alarme. Mais la sortie du film peut prêter à confusion : Rapatrié, Baye Laye rentre chez lui pour retrouver sa famille. Mais avant, il achète pour son fils un maillot du club de football Barcelone (en Espagne). Va-t-il contribuer à perpétuer le rêve d’un ailleurs doré? Fausse alerte. Moussa Touré fait une plaisanterie au spectateur : "Il y a un autre jeu de mots : "Barsak" signifie l'au-delà. Alors, on plaisante en se demandant si les embarqués des pirogues se dirigent vers le « Barsak » ou le Barça, explique-t-il.
Tourné en haute mer,
« La Pirogue » est plein de métaphores liées à la politique. Et ce
n’est pas un hasard si Moussa Toure a choisi les principales couleurs des pays
africains, vert, bleu, rouge et jaune pour décor de la pirogue. Des allusions
sont aussi faite à la politique française de l’Afrique : « La Chine
est le nouvel horizon de l‘Afrique avec l’Europe en crise », lance un des
comédiens qui n’hésite pas à se moquer des politiciens. Le réalisateur veut se
persuader que ce film ambitieux s’est imposé à lui : « je n’ai pas
choisi ce drame, c’est ce drame qui m’a choisi. Vous ouvrez votre fenêtre et
vous voyez des jeunes prendre la mer. Vous allez à l’aéroport et vous les voyez
revenir », expliquait-il sur France 3 dimanche dernier. Il sait qu’il n’a
pas inventé la poudre, mais il veut contribuer à la sensibilisation sur les
dangers qui guettent l’immigrant clandestin.
Stéphanie
Dongmo à Cannes
Fiche
technique
Titre :
La pirogue
Réalisateur : Moussa Touré
Pays : Sénégal
Année de sortie : 2012
Durée : 1h27
Histoire originale : Abasse Ndione
Scénario et dialogue
: Eric Neye, David Bouchet
Casting :
Avec : Souleymane Seye Ndiaye (Baye Laye), Laïty Fall (Lansana), Malamine Damen(Abou), Balla Diarra (Samba)…
Avec : Souleymane Seye Ndiaye (Baye Laye), Laïty Fall (Lansana), Malamine Damen(Abou), Balla Diarra (Samba)…
Montage : Josie Miljevic
Production : Les Chauves-souris
(France), Astou films (Sénégal)
VO : Ouolof
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