Une scène du film Les chevaux de Dieu. Les jeunes prêts au sacrifice suprême. |
Le 16 mai 2003,
Casablanca est la cible d’une série d’attentats-suicides. Bilan de ce qui
est devenu le plus grand acte terroriste au Maroc : 45 morts, dont 12
kamikazes. Des jeunes issus du bidonville de Sidi Moumen à Casablanca et
membres de Salafia, un groupe terroriste affilié à Al-Qaïda. Le réalisateur Nabil
Ayouch s’est emparé de ce fait d’actualité pour construire une fiction poignante
de réalisme. Il raconte de l’intérieur comment on devient un kamikaze, et met
en scène les facteurs qui ont contribué à faire de musulmans non pratiquants
des extrémistes capables du pire.
Le long métrage est
construit en trois parties : l’enrôlement, l’adolescence et l’enfance. Une
enfance qu’une bande de copains vit dans la rue, ou presque. Leur quotidien est
fait de pauvreté, de privation, de violence et de dépravation. Mais aussi de
crime, de racket, de viol et de prostitution. Ainsi, Nabil Ayouch prend le
spectateur par les sentiments, une recette qui a déjà fait le succès de son
précédent film « Ali Zaoua, prince de la rue » (Etalon de Yennenga au
Fespaco 2000). Le réalisateur a d’ailleurs tourné quelques séquences de ce film
dans le même bidonville de Sidi Moumen.
Dans le récit, deux
personnages se dégagent. Hamid et Yachine sont frères. Ils vivent excluent, à
quelques kilomètres de la grande ville dont ils ne découvriront la splendeur et
les richesses qu’au moment de la faire sauter. La caméra les suit pour raconter
les mille et une déceptions de leur vie dans un pays où le riche exploite
impunément le pauvre. Ici, chacun essaie de fuir sa réalité comme il peut :
une mère laisse sa vie s’écouler devant les séries télévisées dont elle se
saoule à longueur de journée ; une autre vend ses charmes et abandonne son
fils pour survivre ; tandis que d’autres se tournent vers la religion
(politisée) pour trouver un certain réconfort.
Le film de Nabil
Ayouch, né d’une mère française juive et d’un père marocain musulman, ne prend
pas partie mais essaie d’expliquer comment et pourquoi. Se faisant, il met
chaque acteur devant ses responsabilités : de l’Etat indifférent à la
misère du peuple aux parents irresponsables, en passant par les groupes
religieux qui en profitent pour enrôler de jeunes éclopés de la vie. « Mon envie, c'était de raconter dans ce film, la
complexité des raisons qui font qu'à un moment, un gamin de 10 ans, au fur et à
mesure que son histoire se déroule, peut en arriver à devenir kamikaze et à se
faire sauter au milieu de victimes innocentes », a expliqué Nabil Ayouch
au cours d’une conférence de presse lundi à Cannes. Car pour lui, ces
jeunes kamikazes sont surtout des victimes. Victimes du bidonville (où l’on se
réjouit des attentats du 11 septembre aux Etats-Unis), un terreau fertile pour
l’extrémisme religieux, victimes d’un lavage de cerveau qui leur fait croire
qu’Allah ouvre les portes du paradis aux martyrs et que c’est un honneur
d’avoir été choisi.
Ces jeunes, qui ne sont
pas des monstres, ne rêvent pourtant que d’être heureux. Sur terre comme au
paradis. Il n’y a qu’à voir le regard joyeux de Yachine lorsque, sur la moto, il
court vers la femme dont il est amoureux. Le plan est gros pour filmer ce
bonheur furtif. Et large pour balayer la misère du quartier, perceptible à
travers les cailloux posés sur les toitures pour les soutenir. Même les
antennes paraboliques qui essaiment sur ces mêmes toitures semblent contribuer
à isoler davantage de bidonville. Le frère autiste de Hamid et Yachine le dit
avec une lucidité déconcertante : « on capte de centaine de chaînes
sans en comprendre une ».
« Les Chevaux de
Dieu » est un film à forts relents politiques d’une actualité brûlante. Il
arrive au moment où les révolutions arabes ont laissé la place à des partis
islamistes, et où des mouvements islamistes intégristes accentuent la
répression au Nord du Mali. Le film est bien documenté et frôle souvent le
réel. Le jeu des acteurs non professionnels, qui font une entrée remarquable au
cinéma, lui donne beaucoup d’humanisme. Pour en ajouter, le réalisateur a
choisi deux véritables frères issus du bidonville pour tenir les rôles
principaux de Hamid et Yachine. « Je ne voulais pas d’acteurs
professionnels pour faire ce film, car je voulais cette part de réalisme, de
naturalisme et de vérité chez chacun de ces comédiens ». Mais Dieu n’a pas
besoin de ces montures humaines pour aller à la conquête du monde. Comme la
balle qui, jetée par des enfants dans la dernière scène roule, vers un lieu
inconnu, ainsi roule le destin des jeunes des bidonvilles, et il appartient à
l’Etat et aux adultes de les orienter vers un destin fait de modération et de
tolérance.
Stéphanie
Dongmo à Cannes
Fiche
technique :
Titre :
Les Chevaux de Dieu
Réalisateur :
Nabil Ayouch
VO : arabe
Scénario et
dialogue : Jamal Belmahi
Photo : Hichame
Alaouie
Montage : Damien
Keyeux
Son : Zacharie
Naciri
Casting :
Abdelhakim Rachid (Yachine), Abdelilah Rachid (Hamid), Hamza Souidek (Nabil),
Ahmed El Idrissi el Amrani (Fouad).
Production : Les
films du nouveau monde (France), Ali N’ production (Maroc), YC Aligator
(Belgique)…
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