Des conférenciers autour de la table. |
« 60 ans après les
indépendances, l’édition en Afrique n’arrive pas à prendre son essor. Le nombre
de titres édités ne cesse de diminuer depuis les années 60. Le livre y est trop
souvent encore un objet de luxe ». C’est en ces termes que Luc Pinhas, maître
de conférences à l’université de Paris 3 et vice-président de l’Alliance
internationale des éditeurs indépendants, a brossé le portrait de l’édition en
Afrique francophone. Il ouvrait ainsi une série d’exposés sur le thème
« Le livre en Afrique francophone », à l’occasion d’un atelier au
petit auditorium de la Bibliothèque nationale de France (BnF), le 15 mai 2012 à
Paris.
Car avec 1,4% de la
production éditoriale mondiale, le secteur du livre peine à prendre son essor
en Afrique francophone. Les problèmes sont énormes, que les conférenciers ont
énumérés volontiers : le prix élevé du livre, l’absence de politique
publique active en faveur du livre, l’exigüité du marché, la faiblesse du taux
d’alphabétisation, le multilinguisme, la pauvreté et la vétusté des collections,
l’amateurisme des professionnels du secteur, l’absence de circuit de
distribution, la cherté des entrants, le manque de communication autour des ouvrages
publiés, l’absence des éditeurs locaux à l’étranger et la concurrence des éditeurs
étrangers. Luc Pinhas l’affirme, la grande masse de livres vendus en Afrique
francophone viennent de l’étranger. Et même des maisons d’édition historiques
comme Clé à Yaoundé « se sont enfoncées dans une longue crise à partir des
années 80 ». Mais l’on peut se réjouir : de nombreuses jeunes
structures sont nées entre les années 90 et 2000. Un bémol cependant :
malgré l’engagement de leurs promoteurs, elles restent très fragiles.
La
qualité ou la quantité ?
Parmi ces maisons nées
il y a moins de 15 ans, on peut citer Les Nouvelles éditions ivoiriennes (NEI),
Ifrikiya et Presses universitaires d’Afrique au Cameroun, Le ruisseau d’Afrique
au Niger, Le Figuier au Mali… « Ces nouveaux éditeurs portent l’espoir de
l’édition en Afrique », soutient Luc Pinhas. Un espoir qui risque d’être
vain si elles ne sont pas soutenues bientôt. Aussi propose-t-il la co-édition
comme une solution idéale pour contourner les problèmes du livre dans cette
partie du monde. Et justement, depuis 2007, l’Alliance internationale des éditeurs
indépendants dont il est le vice-président, a entreprise des coéditions
solidaires à travers la collection « Terres solidaires » (huit titres
jusqu’ici). Ces coéditions reposent sur un principe de restitution au Sud de
textes littéraires des auteurs africains publiés initialement au Nord, pour un
coût réduit au final.
Mais tous les éditeurs ne
traversent pas les mêmes difficultés. Méliane Kouakou Yao a ainsi présenté le
succès de la collection Adoras (trois livres par trimestre) qu’elle dirige au
sein des éditions NEI. Un succès qu’elle explique par le fait que « cette
collection épouse les évolutions de la société africaine ». Alors, Adoras,
un modèle à copier ? Bernard Magnier, le directeur de la collection
« Terre africaine » aux éditions Actes sud, tempère cet enthousiasme.
Parlant des publications de Adoras, présenté par Méliane Kouakou Yao comme un
moyen de susciter le goût de la lecture chez le public africain, il prévient :
« on va vers un populisme dommageable pour l’art » avec ces romans
aux histoires populaires et à l’écriture peu élaborée.
L’enfant,
l’espoir de l’homme
Pour
Viviana Quinones, bibliothécaire spécialiste de la littérature de jeunesse
d’Afrique et des Caraïbes à la BnF, promouvoir le livre de jeunesse est une
solution pour l’édition en Afrique francophone. Malheureusement, assène Mamadou
Aliou Sow, le directeur général du Soprodiff spécialisé dans l’édition et la
distribution en Guinée, « l’école ne prépare pas les gens à la lecture. Il
manque à l’Afrique francophone cette perspective de former des lecteurs de
demain ». Pour lui, l’avenir du livre, même en Afrique, passe par
l’édition électronique qui pourrait combler le vide du papier et régler du coup
le problème des stocks d’invendus. Autres solutions proposées : que les
auteurs nationaux figurent dans les programmes scolaires, qu’ils occupent enfin
la première place dans les librairies africaines.
Les ateliers du livre
de la BnF, qui se déclinent sous forme de journée d’études, sont un rendez-vous
régulier sur le livre et son univers contemporain. L’atelier du 15 mai est le
premier qui, depuis 2002, s’intéresse à l’Afrique. S’il a le mérite d’avoir mis
le sujet sur la table, il est malheureusement resté sur des sentiers battus. Ce
d’autant plus que les intervenants, qui vivent en France pour la plupart, ont
restitué beaucoup de lieux communs et de clichés du fait de leur méconnaissance
du terrain. A leur décharge, l’inexistence des statistiques fiables et la rareté
de l’information, en l’absence de catalogues sur les publications. Et c’est de
justesse que l’atelier a évité de s’enliser dans le débat « qu’est-ce
que la littérature africaine ? »
Stéphanie Dongmo à Paris
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