jeudi 31 mai 2012

Cinéma : Les petits pas du Cameroun à Cannes

Après une montée des marches, la ministre camerounaise des Arts et de la Culture a organisé une rencontre de professionnels au Pavillon des cinémas du monde le 25 mai 2012, pour présenter le projet « shoot in Cameroon » qui vise à inciter les producteurs étrangers à venir tourner leurs films dans un pays où il n’existe aucune salle de cinéma et où la censure durcit le ton.  

Cannes 2011. Ama Tutu Muna au lancement de "Shoot in Cameroon".

Le séjour cannois de la délégation camerounaise a commencé par un couac. Initialement prévue le 23 mai à 18 heures, la rencontre des professionnels organisée par le ministère des Arts et de la Culture (Minac) du Cameroun a été annulée à la dernière minute sans explication, alors même que la ministre des Arts et de la Culture, Ama Tutu Muna, était arrivée à Cannes quelques heures plus tôt. La rencontre s’est finalement tenue sans bruit le 25 mai dans la salle de conférence du Pavillon des cinémas du monde. De plus, plusieurs membres de la délégation camerounaise sont arrivés à Cannes après cette rencontre, pourtant objet de leur déplacement.

Pour la seconde année consécutive, le Cameroun est allé à Cannes présenter le projet « Shoot in Cameroon ». Initié l’année dernière dans la précipitation, ce projet a pour but de vendre la destination Cameroun comme étant un plateau de tournage, en mettant en avant ses paysages, ses sites touristiques et la diversité de sa culture, des arguments qui lui ont donné la réputation d’Afrique en miniature. D’après Ama Tutu Muna, le fait que des cinéastes étrangers viennent tourner au Cameroun aura des retombées pour tout le pays. Cela permettra aux jeunes d’avoir de l’emploi, d’apprendre les métiers du cinéma et aux hôtels d’être occupés. Dans son discours, la ministre a réaffirmé la volonté du gouvernement et du chef de l’Etat camerounais d’œuvrer pour la relance du cinéma.

Relance du cinéma

Depuis quelques années en effet, le discours officiel est celui de la relance du cinéma. Un vaste chantier qui comprend le projet « shoot in Cameroon », l’ouverture d’au moins une salle de cinéma et l’appui aux projets cinématographiques. Pour cela, le ministère des Arts et de la Culture entend créer un fonds pour le développement du cinéma camerounais. L’on se souvient qu’en 1973, le Cameroun avait déjà créé le Fonds de développement de l’industrie cinématographique (Fodic) pour soutenir les productions par un financement direct. Moribond et déficitaire, le Fodic a finalement fermé ses portes à la fin des années 80. C’est fort de cette expérience malheureuse que le secrétaire général du Minac, Manaouda Malachie, et le cinéaste Bassek ba Kobhio, délégué général du festival Ecrans noirs qui est partenaire du projet, se sont rendus au Cambodge, au Maroc, en Grande Bretagne et en Belgique du 16 au 30 mai 2012, pour des études préalables qui serviront à proposer au gouvernement la création d’une structure para-étatique qui devra remettre le cinéma camerounais sur les rails.

Bassek ba Kobhio explique que cette structure technique, qui pourra être un fonds ou une commission rattaché au Minac, devra accompagner l'appel à tournages et les tournages. Il devra aussi gérer et apprécier les projets de Camerounais pour voir comment les accompagner. Car le projet "Shoot in Cameroon" est aussi destiné aux cinéastes camerounais. Bassel ba Kobhio assure que des mesures incitatives vont suivre dans les mois à venir avec l'implication des départements ministériels concernés comme le ministère des Finances et celui du Tourisme, avec l'accord du premier ministre, Philemon Yang.

Financement des projets

Face à la pression d’un groupe de cinéastes, l’appui aux projets a été inclus dans cette volonté de réforme. Ces projets devront bénéficier du financement du volet culture du Contrat de désendettement et développement (C2D) qui s’élève à 524 millions Fcfa (800 000 euros). Mis en œuvre par l’Agence française de développement, le C2D constitue le principal volet bilatéral français d’allègement de la dette.

Destiné initialement à financer une étude sur l’économie de la culture au Cameroun, ce fonds est bloqué depuis plus d’un an à la Banque des Etats de l’Afrique centrale (Béac), le Cameroun et la France ayant eu des difficultés à s’entendre sur son affectation. En février dernier, l’Organisation camerounaise des professionnels du cinéma (Ocapac) que préside Jean-Pierre Dikongué-Pipa, a saisi cette occasion pour demander que cet argent soit destiné à financer des productions cinématographiques. L’association a pris l’initiative de créer une commission qui a sélectionné des projets de films à financer. Les projets qui ont été déposés au Minac, avec ampliation à l’ambassade de France du Cameroun.

Dikongué-Pipa explique qu’aucune relance du cinéma ne peut être envisagée sans le financement des projets pour encourager la création. Le Cameroun dispose pourtant d’un Compte d’affectation spécial dont le budget annuel s’élève à 1 milliard de Fcfa, destiné à financer des projets culturels. Depuis 2008 que la liste de ses bénéficiaires n’est plus publiée, c’est le flou absolu. En 2012, le Cameroun a contribué, à hauteur de 1 milliard de Fcfa, à l’organisation du Festival mondial des arts nègres (Fesman) au Sénégal pour une participation jugée médiocre. L'information de cette contribution avait été révélée par le ministre sénégalais de la Culture de l'époque, Mamadou Bousso Leye.

Accueil mitigé

« C’est très intéressant d’inciter les étrangers à tourner au Cameroun. Mais il faudrait qu’avant de venir à Cannes, on pense à encourager déjà les cinéastes camerounais qui ont un mal fou à tourner dans leur pays, en faisant cesser les lenteurs administratives et la censure », affirme le documentariste Jean-Marie Teno. Depuis l’interdiction du festival des films des droits de l’homme le 11 avril 2011 à Yaoundé, la censure a durcit le ton au Cameroun et plusieurs films ont été interdits de projection. En février 2012, le ministère des Arts et de la Culture a demandé aux centres culturels étrangers (Institut français, Institut Goethe, Centre culturel espagnol, Centre culturel italien) de soumettre désormais les films qu’ils diffusent à la Commission nationale de contrôle des films cinématographiques, prises de vues et enregistrements sonores, dite commission de censure, en vue de l'obtention d'un visa d'exploitation. Car, au Cameroun, l'activité cinématographique demeure soumise à un régime d'autorisation préalable.

Un véritable scandale, d’après Jean-Pierre Bekolo : « Alors que l’Etat camerounais laisse aux pays étrangers la charge de s’occuper de la culture des Camerounais, il a le culot de les soumettre à la censure alors que ni la télévision, ni les bouquets proposés par les câblo-opérateurs, ni les vidéos vendus dans la rue ne le sont ». Depuis 2008, le Cameroun ne compte aucune salle de cinéma et le Centre culturel camerounais de Yaoundé a fermé ses portes. Et depuis plusieurs années, le pays n’a produit aucun grand film de fiction. Les centres culturels étrangers sont donc devenus des lieux incontournables de diffusion du cinéma. Rappelons que jusque depuis « Muna Moto » de Dikongué-Pipa en 1976, aucun film camerounais n’a plus été distingué de l’Etalon d’or de Yennenga au festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (Fespaco). De plus, depuis le lancement du projet « Shoot in Cameroon » l’année dernière, aucune production étrangère ne s’est intéressée à notre pays.

Stéphanie Dongmo à Cannes

2 commentaires:

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  2. j'ai lu cet article, j'ai eu plaisir à le lire. Si les autorités veulent vendre la destination Cameroun "comme étant un plateau de tournage au cinéaste étrangers" pour booster le tourisme, il est intéressant de leur demander ce qu'il font pour les artistes locaux qui éprouvent milles et une difficultés pour tourner et présenter sans acros les films made in Cameroon. De même, ce pays a d'exellents comédiens et on se demande quelle réalisation culturelle sans salles de cinéma, sans théâtre. On a l'impression que le pays a peur de favoriser les artistes locaux et sa culture locale. Le Cameroun refuse-t-il de voir se dvélopper un cinéma local (ils sont loin les films POUSSE POUSSE et d'autres. Aurait-il peur de créer et exporter ses produits cinématographiques?
    Bon courage à ce Journaliste Stéphanie Dongmo qui soulève ces problèmes, chose qui doivent être entendu par les autorités et surtout, par les mécénats camerounais et les artistes qui, eux,doivent s'unir pour trouver le moyen de promouvoir le cinéma camerounais, domaine qui n'est pas moins économique que les autres secteurs.

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