Le 24 mai, la pièce Tombeau, mise en scène par Jacobin Yarro, a été représentée à l'Institut Français de Yaoundé, dans le cadre du projet Programme Mémoires libérées que dirige le Programme La Route des Chefferies.
Le texte est de Léonora Miano, tiré de "Red in Blue Trilogie, sa première œuvre pour le théâtre. La trame de la pièce : un Américain, Afrodescendant, décide de venir mourir au Mboasu, pays longtemps rêvé, fantasmé même, dont il a appris, grâce au test ADN, qu'il est originaire. Mais le Mboasu, pays de l’amnésie par essence, est-il prêt à accueillir sa dépouille? Rien n’est moins sûr.
On a souvent traité de la traite des Noirs. Le Sénégalais Moussa Touré a même réalisé récemment le docu-fiction « Bois d’ébène », qui suit à la trace des fils d’Afrique depuis l’arrachement violent à leur terre jusqu’à un pays outre atlantique où ils sont mis en esclavage, en passant par les horreurs de la cave d’un navire négrier. Mais rarement on a traité de la question des dépouilles. De tous ces morts sans sépulture dont les tourments physiques ont cédé la place à des souffrances spirituelles (qui, elles, sont pires) et qui ont besoin d’un point de chute, même symbolique.
Cet angle-là, bien plus que la mise en scène, la scénographie où le jeu des comédiens, m’a le plus intéressé. Auteure du recueil de nouvelles « Aujourd’hui, je suis mort », j’ai pleinement conscience de vivre aussi bien avec les vivants qu’avec les morts. La frontière entre l’ici et l’ailleurs peut être bien ténue.
Sur ceux qui sont partis comme sur ceux qui sont restés, la traite a laissé des séquelles profondes, irréversibles, même si la plupart des auteurs tournent davantage leurs regards du côté de ceux qui sont partis. D’où l’amer constat de cette incompréhension qui existe entre les Africains et les Afro-descendants.
Les premiers ne comprennent pas cet amour désespéré qu'ont les seconds, enviés la plupart du temps, pour un continent qui les désespèrent. Les Afro-descendants eux, ne comprennent pas l’indifférence, un accueil encore trop timide. Marginalisés souvent dans les pays qui sont devenus les leurs par la force des choses, ils construisent dans leur imaginaire une Afrique qui n’existe plus, qui n’a peut-être jamais existé. Le choc avec la réalité peut être rude.
Peur et repli sur soi
Dans la pièce, les hésitations des gens du Mboasu pour accueillir la dépouille de cet homme qui a choisi de passer la porte du non-retour en sens inverse, est présentée comme de l’égoïsme, le refus de partager des terres… Moi, je n’y vois que de la peur, un repli sur soi qui, s’il n’est pas légitime, peut tout à fait se comprendre.
La peur entraîne le repli sur soi, utilisés comme stratégies de défense lorsqu’on n’en a pas d’autres, l’oubli aussi. Chacun se protège comme il peut. S'anesthésier, effacer la douleur, annihiler le déchirement, vivre l'aujourd'hui en essayant de ne pas trop penser à l'avenir. Voilà ce à quoi nous sommes réduits. Ce faisant, la blessure ne cicatrise pas, le malaise perdure. Le processus de guérison sera long. En tout cas, je ne serai plus là pour en voir le bout. A moins que…
Nous sommes un peuple sans mémoire. Même dans nos familles, nous vivons sans mémoire. Autour de moi, je connais très peu de gens qui peuvent remonter dans leurs arbres généalogiques jusqu’à la 5ème génération. Personnellement, j’ai déjà eu beaucoup de peine à rassembler les noms de tous mes grands-parents, n’en ayant connu qu’un des quatre. Il y a quelques temps, j’ai entrepris d’établir mon arbre généalogique aussi loin que je pouvais. Inutile de vous dire que je ne suis pas allé bien loin. Ma famille me regardait poser des questions ahurie, ne comprenant pas à quoi cela me servait de connaître les noms de mes aïeuls. Elle comprenait encore moins que je m’intéresse aussi à leurs histoires : comment ils ont vécu, comment ils sont morts.
Beaucoup de mes aïeuls sont tombés dans le maquis, d’autres sont morts jeunes, ne léguant à leur descendance que la douleur, le désordre. Ces descendants ont eu à cœur de mettre de l’ordre dans le chaos dont ils avaient hérité. Ils ont ainsi vécu simplement leurs vies, au jour le jour, sans s’encombrer d’un passé trop douloureux. Ils nous ont appris à vivre essentiellement l’aujourd’hui déjà bien rempli de questionnements pour la survie. Et si nous n’y faisons attention, c’est cette amnésie-là que nous transmettrons à nos enfants.
Raviver la mémoire de la traite négrière c’est bien. Mais comment se l’approprier si déjà dans nos cellules de base, l’histoire des pères ne se transmet pas aux fils, si la fille ignore tout de la vie de sa mère, ne sait rien de ses amours, de ses déchirements intérieurs, de ses rêves échoués ? Les enjeux ne sont pas les mêmes, c’est vrai, mais la base est là. S’enraciner dans une famille, dans une communauté et dans un peuple pour accueillir son frère venu d’ailleurs. Se connaître soi-même pour s’ouvrir aux autres. Guérir de ses blessures pour mettre du baume sur celles des autres. S’aimer pour aimer l’autre. Ce n’est qu’à cette condition que le fait de franchir volontairement la porte du non-retour, va conduire à un espace de vivre-ensemble, pour qu’une nouvelle page de l’Afrique puisse enfin s’écrire, par ses enfants du continent et d'ailleurs.
Stéphanie Dongmo
Jacobin Yarro et ses comédiens. |
On a souvent traité de la traite des Noirs. Le Sénégalais Moussa Touré a même réalisé récemment le docu-fiction « Bois d’ébène », qui suit à la trace des fils d’Afrique depuis l’arrachement violent à leur terre jusqu’à un pays outre atlantique où ils sont mis en esclavage, en passant par les horreurs de la cave d’un navire négrier. Mais rarement on a traité de la question des dépouilles. De tous ces morts sans sépulture dont les tourments physiques ont cédé la place à des souffrances spirituelles (qui, elles, sont pires) et qui ont besoin d’un point de chute, même symbolique.
Cet angle-là, bien plus que la mise en scène, la scénographie où le jeu des comédiens, m’a le plus intéressé. Auteure du recueil de nouvelles « Aujourd’hui, je suis mort », j’ai pleinement conscience de vivre aussi bien avec les vivants qu’avec les morts. La frontière entre l’ici et l’ailleurs peut être bien ténue.
Sur ceux qui sont partis comme sur ceux qui sont restés, la traite a laissé des séquelles profondes, irréversibles, même si la plupart des auteurs tournent davantage leurs regards du côté de ceux qui sont partis. D’où l’amer constat de cette incompréhension qui existe entre les Africains et les Afro-descendants.
Les premiers ne comprennent pas cet amour désespéré qu'ont les seconds, enviés la plupart du temps, pour un continent qui les désespèrent. Les Afro-descendants eux, ne comprennent pas l’indifférence, un accueil encore trop timide. Marginalisés souvent dans les pays qui sont devenus les leurs par la force des choses, ils construisent dans leur imaginaire une Afrique qui n’existe plus, qui n’a peut-être jamais existé. Le choc avec la réalité peut être rude.
Peur et repli sur soi
Dans la pièce, les hésitations des gens du Mboasu pour accueillir la dépouille de cet homme qui a choisi de passer la porte du non-retour en sens inverse, est présentée comme de l’égoïsme, le refus de partager des terres… Moi, je n’y vois que de la peur, un repli sur soi qui, s’il n’est pas légitime, peut tout à fait se comprendre.
La peur entraîne le repli sur soi, utilisés comme stratégies de défense lorsqu’on n’en a pas d’autres, l’oubli aussi. Chacun se protège comme il peut. S'anesthésier, effacer la douleur, annihiler le déchirement, vivre l'aujourd'hui en essayant de ne pas trop penser à l'avenir. Voilà ce à quoi nous sommes réduits. Ce faisant, la blessure ne cicatrise pas, le malaise perdure. Le processus de guérison sera long. En tout cas, je ne serai plus là pour en voir le bout. A moins que…
Nous sommes un peuple sans mémoire. Même dans nos familles, nous vivons sans mémoire. Autour de moi, je connais très peu de gens qui peuvent remonter dans leurs arbres généalogiques jusqu’à la 5ème génération. Personnellement, j’ai déjà eu beaucoup de peine à rassembler les noms de tous mes grands-parents, n’en ayant connu qu’un des quatre. Il y a quelques temps, j’ai entrepris d’établir mon arbre généalogique aussi loin que je pouvais. Inutile de vous dire que je ne suis pas allé bien loin. Ma famille me regardait poser des questions ahurie, ne comprenant pas à quoi cela me servait de connaître les noms de mes aïeuls. Elle comprenait encore moins que je m’intéresse aussi à leurs histoires : comment ils ont vécu, comment ils sont morts.
Beaucoup de mes aïeuls sont tombés dans le maquis, d’autres sont morts jeunes, ne léguant à leur descendance que la douleur, le désordre. Ces descendants ont eu à cœur de mettre de l’ordre dans le chaos dont ils avaient hérité. Ils ont ainsi vécu simplement leurs vies, au jour le jour, sans s’encombrer d’un passé trop douloureux. Ils nous ont appris à vivre essentiellement l’aujourd’hui déjà bien rempli de questionnements pour la survie. Et si nous n’y faisons attention, c’est cette amnésie-là que nous transmettrons à nos enfants.
Raviver la mémoire de la traite négrière c’est bien. Mais comment se l’approprier si déjà dans nos cellules de base, l’histoire des pères ne se transmet pas aux fils, si la fille ignore tout de la vie de sa mère, ne sait rien de ses amours, de ses déchirements intérieurs, de ses rêves échoués ? Les enjeux ne sont pas les mêmes, c’est vrai, mais la base est là. S’enraciner dans une famille, dans une communauté et dans un peuple pour accueillir son frère venu d’ailleurs. Se connaître soi-même pour s’ouvrir aux autres. Guérir de ses blessures pour mettre du baume sur celles des autres. S’aimer pour aimer l’autre. Ce n’est qu’à cette condition que le fait de franchir volontairement la porte du non-retour, va conduire à un espace de vivre-ensemble, pour qu’une nouvelle page de l’Afrique puisse enfin s’écrire, par ses enfants du continent et d'ailleurs.
Stéphanie Dongmo
Hello mate nice posst
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