Alors qu'il vient de sortir son dernier film, "Miraculous weapons" (104mn, novembre 2017), le cinéaste nous parle de sa série "Our Wishes", présenté au mois de juillet 2017 à Yaoundé. Une production bâtie autour du Traité germano-douala
de 1884 qui a abouti à la colonisation du Cameroun. Il insiste sur l’intérêt
que le cinéma a à s’approprier l’Histoire.
Qu’est-ce qui vous a motivé à réaliser une série sur l’histoire du traité germano-douala signé en 1884 ?
Notre cinéma a besoin, pas
seulement d’histoires, mais surtout de l’HISTOIRE. Il s’agit malheureusement
d’un champ totalement déserté par tous. J’ai pensé que le cinéma en général et la télévision devrait s’y engouffrer afin
de rendre cette histoire qui n’est pas enseignée dans le écoles accessible à
tous, de la grand-mère aux petits enfants. La série, c’est la télévision et la
télévision se regarde en famille à la maison avec les parents, les
grands-parents et les enfants. Il s’agit de faire entrer notre histoire dans
nos maisons qui sont envahies par les histoires des autres. L’histoire du
traité est un sujet qui, non seulement nous concerne, mais surtout qui est le
fondement même de notre identité en tant que peuple et en tant que nation.
Pouvez-vous nous restituer le contexte de la signature de ce traité,
comment comprendre que des rois aient librement décidé de céder leurs
territoires à deux commerçants Blancs ?
Il faut regarder la série
pour comprendre. Le grand commerçant de Hamburg, Woerman qui a un comptoir au
Cameroun, veut pousser son ami Bismarck à avoir une colonie en Afrique en prélude
à la conférence de Berlin qui va partager l’Afrique. Il charge donc son
représentant local, le jeune Edouard Schmidt qui n’a que 24 ans d’obtenir,
moyennant une forte somme (corruption), un traité avec les chefs Douala qui
confient leur territoire aux Allemands. Ce dernier va s’appuyer sur le roi Bell
(grand-père de Manga Bell qui sera pendu par les Allemands; ici il n’a que 7 ans).
Sauf que les chefs ont déja écrit une lettre à la reine d’Angleterre pour qu’elle
vienne les aider à résoudre les conflits dans la région.
Le traité signé par les rois douala concernait un espace se limitant à la
côte, au littoral. Mais la colonisation allemande s’est étendue bien au-delà de
ce territoire. Pourquoi ?
Justement, les Allemands
signent avec les chef Dualas qui veulent garder le contrôle du commerce avec
les peuples de l’intérieur du pays; mais les Allemands ne respectent rien de
leurs désirs et profitent de ce traité pour poursuivre l’expansion de leur
territoire en soumettant par la force les autres chefs. C’est cela même la
nature du projet allemand qui va échapper aux chefs Douala dont ils se sont
servis.
Le document des souhaits
existe, vous pouvez le consulter. Si nous avons intitulé la série "Our
Wishes“, c’est justement pour mettre en valeur que ces chefs avaient une vision
des relations qu’ils auraient souhaités avoir avec les Allemands.
Que représente le traité germano-douala et comment a-t-il influencé
l’histoire du Cameroun jusqu’à nos jours ?
Ce traité n’a pas influencé le
Cameroun, il a créé le Kamerun. Les contours de cette signature ont défini la
relation que les familles Doualas ont entre elles jusqu’aujourd’hui. Mais ce
qui est important c’est que nous semblons ne pas tirer de leçons des tensions
générées par ce traité entre-nous car notre Etat continue de signer d’autres
traités avec les mêmes effets. Savez-vous par exemple que les Allemands ont
offert de l‘argent au chefs, qu’est-ce que c’est si ce n’est pas la corruption?
Ils sont dévalué l’huile de palme et usé de la dette pour faire céder les gens
de Hickory Town (Bonaberi), etc. Toutes ces choses nous sont familières
aujourd’hui dans les relations que nos pays entretiennent avec les Occidentaux.
Il y a, chez beaucoup de Camerounais, une certaine nostalgie de la
colonisation allemande, qui est généralement préférée à la colonisation
française. Cette série va-t-elle contribuer à la renforcer ou à la démolir?
Ni l’un ni l’autre à mon
avis. “Our Wishes“ raconte avant tout une histoire de notre perspective… Donc
avant tout une histoire entre nous et nous-mêmes. Maintenant, la posture qui
est la mienne est celle de celui qui à qui on demande de choisir entre la peste
et le choléra. Se retrouver à débattre sur qui était le moins pire entre les
Allemands et les Français, tous deux colonisateurs du Cameroun, est certes une
façon d’affirmer notre point de vue sur une histoire où on ne nous a jamais
demandé notre avis, mais elle devrait surtout être une critique du colonialisme
quel qu’il fût.
Le Goethe Institut du Cameroun est le partenaire principal de cette série
qui met à jour les trahisons des Allemands. Est-ce un mea culpa ?
Les Allemands nous donnent
une grande leçon a soutenant cette initiative. Nous avons un pays qui a peur de
sa propre histoire et qui a fait le choix de ne pas la raconter à ses enfants
afin d’éviter de heurter certaines sensibilités coloniales. Quelle est la conséquence
de cette posture pour un pays comme le nôtre? Les Allemands qui acceptent de
regarder cette histoire en face nous donnent de l’espoir pour l’avenir,
contrairement à ceux qui refusent d’en parler.
Le scénario a été écrit par Karin Gertrud Oyono qui est ingénieure.
Avez-vous fait appel à un historien pour le valider afin que la série colle au
plus près de l’histoire?
Valider… en quoi
consisterait cette validation? Le diplôme que Mme Oyono a obtenu à l’école ne
la condamne pas d’emblée. Où est donc le scénario des historiens? Mme Oyono a
fait un travail d’historien pour produire ces 2000 pages, elle a une
bibliographie qu’elle a publié. Mais moi, je ne suis pas historien, je suis
cinéaste. Et un cinéaste invente, il créé car quand bien même vous auriez les
faits, l’émotion entourant ces faits n’est pas toujours prise en compte en
histoire. Or le cinéaste raconte avec les émotions. Et je tiens beaucoup au rôle
de la fiction, donc de l’invention dans le récit historique.
En réalisant une série historique, on est forcément amené à combler
certains vides de l’histoire. Quelles précautions prenez-vous dans cet
exercice ?
Aucune. Notre série n’est
pas une thèse de doctorat. Nous faisons notre travail de cinéaste, nous
construisons le récit avec des personnages et une intrigue. Le cinéma a ses
outils, c’est de ces outils dont nous nous servons, et le fait que ce soit
l’histoire ne change rien. Comme je l’ai deja dit, la fiction a son rôle dans
le récit historique… et dans fiction , il y a invention; ce qui veut dire que
quand il y a un vide on invente.
Depuis la sortie de la série, y a-t-il de bonnes nouvelles du côté des
diffuseurs ? Vers quelles chaînes vous tournez-vous en priorité?
Depuis le tournage, nous
avons été en relation avec les chaînes de télévision et principalement la chaîne
nationale CRTV afin qu’elle assume le leadership de ce contenu patrimonial.
Assumer le leadership ne veut pas dire être le seul à le diffuser, un peu comme
le défilé du 20 mai ou un match des Lions. L’histoire est une affaire de tous
les Camerounais. Nous travaillons pour fédérer les diffuseurs, et aussi fédérer
les ressources, les talents autour d’un projet-locomotive comme “Our Wishes“,
voila notre vision. Nous constatons que tout le monde s’est accommodé à un
modele de cinéma de la débrouille, très individuel et éclaté; il s’agit de
proposer un autre modèle plus ambitieux et fédérateur.
La première saison de la série compte dix épisodes. Combien de saisons
comptez-vous tourner, sur combien de générations de protagonistes?
Nous lançons bientôt le
tournage des 20 épisodes suivants, soit deux saisons. Vous savez, nous avons
2000 pages d’histoire qui va du traité jusqu’au départ des Allemands en 1916.
Et rien ne nous empêche de continuer à écrire.
Propos
recueillis par Stéphanie Dongmo
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