jeudi 29 mars 2012

Théâtre : La condition de l’enseignant dénoncée

Le public de l’Institut Goethe de Yaoundé a eu l’occasion de regarder « Verre cassé » le 21 mars dernier. Mise en scène par Louise Belinga, la pièce est interprétée par David Noundji. Critique de Landry Nguetsa (correspondance particulière).


David Noundji interprète Verre cassé.

« Verre cassé » est une adaptation du roman de l’écrivain congolais Alain Mabanckou, écrit en 2000. Le roman en lui-même a plus de 200 pages mais c’est à partir de la page 111 que David Noundji qui interprète le personnage « Verre Cassé » trouve son intérêt. Car, c’est la partie qui conserve toute la pertinence du livre, toute la cruauté, toutes les émotions mais surtout qui vibre en  phase avec le contexte camerounais.

Le roman est écrit en focalisation interne. L’auteur et le narrateur se confondent aisément. Le style est assez léger et digeste. La temporalité dominante est le présent, comme si l’auteur voulait dépeindre l’actualité. Alain Mabanckou soulève ici l’éternel problème de la place de l’alcool, de sa nature sémiologique en tant que boisson ou en tant que palliatif pour surmonter les dures réalités de la vie quotidienne, surtout celles des enseignants qui sont très souvent tenaillées par les injustices de toutes sortes et qui échappent très rarement au gap d’autres souffrances liées aux relations humaines.

Qui aurait été le mieux interpellé, le mieux concerné par cette thématique si ce n’est un enseignant, lecteur avisé qu’est David Noundji ? Son adaptation de « Verre cassé » semble nous interpeller en ces termes : « l’alcool sert à des fins différentes selon les besoins. Mais avant de critiquer ses effets, il vaudrait mieux interroger les causes qui poussent un tel ou un tel à boire de façon immodérée ». Le spectacle se joue finalement dans un espace dont les coordonnées ont été considérablement réduites, comme si l’on voulait faire des confidences aux spectateurs.

Diabolique

Sur la scène on aperçoit une table au dessus de laquelle se trouvent une bouteille et un plat de « poulet bicyclette ». Qui a cuisiné ce plat, est-on tenté de se demander, quand on sait que la relation entre « Verre cassé » et sa femme Angélique, pardon, Diabolique, n’est pas l’harmonie rêvée. Comment l’a-t-il obtenu ? Et toutes les bouteilles de la SOVINCO qu’il vide dans bar dénommé « le crédit a voyagé » ? L’on est informé également sur la situation de cet ancien instituteur qui a été relevé de ces fonctions. D’où lui vient l’argent ? Ah je vois, il existerait un autre moyen de se faire de l’argent en restant assit dans un bar et à ne rien faire d’autre qu’ingurgiter les bouteilles d’alcool. Ce moyen s’appelle ‘la tricherie d’Alain Mabanckou’

En dessous de la table on observe six autres bouteilles vides renversées. Si vous vous attendiez à de l’ordre de la part de cet ivrogne, c’est que vous-même en êtes un. A côté de la table, nous avons un box qui sert de support à trois autres bouteilles recouvertes d’un voile. La quantité impressionnante de ces bouteilles nous renseigne sur le penchant de notre personnage à tout ce qui est éthylique. Il dissimule difficilement son avidité en recouvrant quelques bouteilles d’un voile. C’est normal, on doit être jaloux de ce qu’on a de plus précieux.

En avant scène gauche, se trouve un tabouret qui est sensé servir de siège mais qui est utilisé plutôt pour le support des bouteilles. Louise Belinga, la metteure en scène, voudrait elle nous dire que le comédien accorde plus d’importance à une bouteille qu’à un homme ? Louise Belinga opte donc pour le mono théâtre comme si elle voulait nous faire des confidences. Mais ces confidences qui auraient pu être un moment privilégié, un moment d’intimité et de confession, se passent plutôt de tout commentaire : l’état d’ébriété de « Verre Cassé » l’explique.

Symbolisme à succès

Cette metteure en scène use de son génie pour faire jouer avec David un nombre impressionnant de personnages écrans (les oiseaux, un riverain, un lecteur indiscret, un voisin plaignant, sa belle famille, Diabolique, la tante, zéro faute, le préfet, le ministre de l’éducation et un élève). Tous ces personnages écrans sont en conflit avec le comédien ; sauf le dernier ; l’élève qui est ici représenté par une bouteille. Quel symbolisme réussi ! « Verre Cassé » serait il dans un monde incompris de tous où la seule chose à laquelle il fait confiance c’est les bouteilles de la « SOVINCO » ?       

 Aux autres personnages qui sont en conflits avec lui, « vVrre cassé » tente de les tancer vertement en leur disant qu’il s’agit d’un combat perdu d’avance. L’on ne saura jamais sur quelles forces il s’appui. « Avez-vous déjà vu un verre cassé être réparé ? » réplique-t-il. On est également très frappé par l’extraordinaire cohérence des propos de cet ivrogne au point de croire qu’il s’agit d’un « faux semblant ». Louise Belinga le fait tourner en rond autour de la table à chaque fois et dans les deux sens comme pour chercher une sorte d’harmonie. Comment donc expliquer qu’il y ait harmonie dans l’esprit et pas dans le corps ?

Pour récupérer ses chaussures qui ont été gardées chez Zéro faute, le sorcier, Louise propose à David Noundji une chanson populaire de Noël : « ma chère Diabolique/quand nous rentrerons d’ici/ avec / tes cancres par milliers/ n’oublie pas/ mes petits souliers ». « Verre cassé » serait permanemment dans l’extase, même dans les situations les plus fâcheuses. Noël serait donc ce qui reste encore de nostalgie à notre spécialiste du C2H5OH ? Il y a pourtant une chanson que propose le chanteur à la moustache avec une pipe dans le texte mais que David Noundji le dit comme s’il s’agissait d’un texte de poésie. C’est où apparait la tricherie de ce spectacle. Il aurait pu rencontrer un compositeur de musique pour ranimer et enjoliver son spectacle.

La combine Louise et David profite après tout pour proposer le débat sur la question du système éducatif. Le rapport entre l’enseignement et l’élève, le politique et l’enseignant est il aussi profond que celui d’un ivrogne et sa bouteille ? C’est quoi finalement ce machin noir ou blanc avec des lunettes rondes qu’on appelle intellectuel ? Est il cet homme de notre époque qui, lorsqu’il est sans veste ni cravate ne peut pas penser avec assurance ? Ces gens qui discutent et ne proposent rien ou alors s’il leur arrive de proposer, c’est des discussions à n’en plus finir. Mais la mise en scène ordonne à David de s’habiller de la même façon, avec l’étoffe de sa chemise sortie de l’enfilage, certainement en soulevant régulièrement son coude droit… La cravate, également mal nouée, a été desserrée pour ne pas servir de garrot lorsque s’écoulera le précieux liquide éthylique.

Le procès du français
Une autre chose intéressante est le procès de la langue française, qui n’est plus un long fleuve tranquille mais un fleuve à détourner. Le patois de Molière présenterait plus d’exceptions que de règles. Et qu’on cesse d’en vouloir aux Africains qui préfèrent contourner cette difficulté en traduisant directement leur dialecte. L’essentiel, c’est de se faire comprendre.
Dans cet espace de l’Institut Goethe qui est une forme de théâtre sous chapiteau, ouvert, l’on a vu le 4e mur résister à toutes les intempéries liées à l’alcool. Conférant à Louise Belinga le statut de metteure en scène symbolique. L’on n’aura tout de même pas compris le jeu de réserve de David Noundji, comédien camerounais qui n’a plus rien à prouver. Etant  pourtant a la 15e représentation de ce spectacle, on a le droit s’inquiéter. Car il hésitait sur les mots et pondait le texte avec un débit qui nous faisait penser à un spectacle de slam.

Le public, quant à lui, était en effervescence, mais a déploré la présence de certaines personnes qui, connaissant déjà le spectacle, disaient les textes avant le comédien, ce qui troublait les autres spectateurs. Le clou c’est que ces personnes sont elles-mêmes comédiennes. Quel bel exemple ! Le comédien David Noundji qui est à la fois instituteur et inspecteur régional des arts à Yaoundé, a l’ambitieuse de faire entendre sa voix jusqu’aux instances dirigeantes de l’enseignement, afin qu’ils soient un temps soit peu sensible à la crise que traverse le système éducatif camerounais. Un système pas adapté aux besoins du pays.

La prolifération de chômeurs, la fuite des cerveaux et bien entendu le recours à la consommation immodérée d’alcool en sont quelques conséquences. Voilà un système qui a miroité la fonction publique aux jeunes comme étant le paradis rêvé. La preuve, le récent recrutement des 25 000 jeunes diplômés à la fonction publique a fait plus de mal à certains que de bien : des gérants de photocopieuses, cyber café ou vendeur à la sauvette ont abandonné un travail qui leur rapportait pas moins de 100 000 Francs CFA par mois pour être « fonctionnaire » et toucher 35 000 Francs CFA en guise de salaire. Quel pays fier !

 Dites moi comment cette personne pourra s’empêcher de corrompre, de détourner, de voler la fortune public. Et s’il n’en est pas capable, il ne lui reste plus qu’une seule solution : l’alcool.  Qu’on me dise ce que peut faire un licencié en chimie, physique biochimie dans notre pays si ce n’est l’enseignement. Et seul le ciel sait combien de millions nous en avons dans les quartiers. C’est pour éviter que ce pays s’engouffre dans l’obscurantisme que ce spectacle a été proposé.

Landry Nguetsa



L’auteur est comédien. Il a écrit et monté le spectacle « Haïti ».

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