C’est connu, le cinéma comme institution culturelle
en Afrique est né avec les jeunes États après les indépendances. Avec les
grands enthousiasmes suscités par l’avènement à une certaine autodétermination,
les multiples ministères de la culture, dont la mission était souvent d’exalter
les nouveaux autoritarismes, ouvraient des directions du cinéma dont la
fonction principale était de financer la production locale. Selon Olivier
Barlet (Cinémas d’Afrique noire, 1997),
pendant les années d’explosion économique, la Côte
d’Ivoire avait bien plus de 70 salles de cinéma. Le Mali en avait 20, le Congo
14, une trentaine au Cameroun, 7 en Namibie et 15 en Guinée Bissau. Dans ces contextes de monopartisme, les gestions
frauduleuses et désordonnées ont non seulement donné lieu à la production d’un
certain « cinéma politique » exaltant les missions des partis uniques
et des guides providentiels de pacotille, mais aussi rapidement montré les
limites d’un système où, en l’absence d’une politique culturelle pensée et
cohérente, le cinéma ne pouvait survivre. Le Cinéma camerounais en crise (Paris,
L’Harmattan, 1987) de Guy Jérémie Ngansop ou Production cinématographique et parti unique. L’exemple du Congo (Paris,
L’Harmattan, 1992) de Sébastien Kamba montrent bien les limites et les dangers
des « États-cinéastes ».
Avec
la crise économique des années 80, les États s’appauvrissent brutalement, et
les institutions culturelles mal pensées et tenues sous perfusion sont les
premières à être victimes des ajustements structurels. Au Cameroun, le Fond de développement de l’industrie cinématographique (FODIC) et, au Congo, l’Office national du cinéma font
brutalement faillite. Sur le continent, les salles ferment les unes après les
autres. Selon Olivier Barlet (Les
cinémas d’Afrique des années 2000. Perspectives critiques Paris,
L’Harmattan, 2012), l’Afrique subsaharienne compte à peine une vingtaine de
salle. Le chiffre inclut le Burkina Faso qui a lui seul en comptait 12 en 2013.
Avec la construction des salles Canal Olympia au Cameroun et au Burkina Faso
depuis quelques années, le groupe français Bolloré a pris l’option rare
d’intervenir dans un secteur où ne s’impliquent pas souvent les grandes
multinationales installées sur le continent. Si quelques salles ont été rouvertes
dans certains pays, on ne peut vraiment dire qu’il existe une
véritable infrastructure comparable à ce qui existait avant les difficultés
économiques. Voilà dans quelles conditions après quelques décennies de
productions diverses, l’industrie cinématographique en Afrique subsaharienne est
marquée par une singularité: du fait des nouvelles facilités technologiques, il
se produit en masse des
séries télévisuelles, des films et des documentaires dans pays ne
disposant d’aucune salle. Joli paradoxe. Et c’est dans ce contexte qu’on peut
mieux situer l’émergence et le rôle du CNA.
Depuis
presque vingt ans, le CNA s’est assigné une mission culturelle autrefois
dévolue à l’État : rapprocher les populations rurales du grand écran. Cela
arrive dans un contexte où, il faut le dire, la télévision et, désormais, les
tablettes et autres téléphones intelligents ont envahi les ménages. Et où les
téléséries sont non seulement les genres les plus populaires, mais aussi les
plus produits par les télévisions locales. Bien plus, beaucoup d’entre elles
sont disponibles gratuitement sur YouTube. C’est donc dire que l’offre du CNA,
qui a commencé dans un contexte de vide cinématographique, est désormais
concurrencée par d’autres acteurs culturels. Mais au vu de son mode
d’opération, comment ne pas rapprocher les projections du CNA du contexte
colonial?
L’emploi du cinématographe par l’explorateur peut produire sur l’indigène
d’Afrique Noire et de bien d’autres contrées à faciès moins foncés des effets
d’impression escomptés par Viator. A condition toutefois que les films soient
soigneusement choisis pour l’amuser et non pour le terrifier. Il n’est qu’une façon sûre de désarmer le
primitif : le faire rire...[…] (Pierre Haffner, 1995 : 83. Je
souligne)[1]
Mais
ce « retour à l’écran » dans les contrées lointaines est la seule
proximité entre le cinéma colonial et le CNA. Il faut le rappeler, avant
l’invasion des petits écrans dont il reste difficile de mesurer l’impact, les
contrées reculées des pays africains étaient devenues de véritables déserts
cinématographiques. Mais depuis quinze ans, le CNA a réconcilié de nombreuses
populations rurales non seulement avec les images, mais plus spécifiquement,
avec leurs propres images. Contrairement au cinéma colonial psychologiquement
toxique, les films projetés par le CNA
au Bénin, au Burkina Faso, au Cameroun, en France, au
Mali, au Niger, au Sénégal, au Togo et, depuis peu, en République centrafricaine,
sont des films produits par les Africains au sujet des Africains et, on
pourrait aussi le dire, pour les Africains. Or, c’est connu, pour les raisons
infrastructurelles mais, aussi, de ce qui est souvent perçu comme une piètre
qualité technique et, aussi, du fait de son militantisme agressif
potentiellement aliénant, les cinéphiles africains voyaient très peu des films
de réalisateurs du continent. On se souvient très bien de cette réaction
d’Essomba Tourneur dans Le Complot
d’Aristote de Jean-Pierre Bekolo qui dit qu’il ne regarde pas les films
africains « because they are all shit
– parce que c’est de la merde ». On peut aussi rappeler Caramel, ce film de Henri Duparc qui met
en scène un responsable de salle contraint de fermer parce que personne ne
vient regarder des films ennuyeux. Dépité, il écrit sur son véhicule :
« le cinéma c’est le rêve »
Le CNA,
diffuseur majeur en Afrique
C’est donc cette capacité, ce droit, ce
retour au rêve que permettent les équipes du CNA dans une quinzaine de pays du
continent depuis presque vingt ans. Ils le font depuis lors suivant un modèle
unique : négocier des accords de partenariat avec divers organismes qui
leur permettaient de diffuser les films commandés par leurs sponsors. En
contrepartie, le CNA en profite pour montrer aux populations rurales des films
qu’autrement ils n’auraient jamais eu l’opportunité de regarder. Lorsque le
cinéma « revient en brousse » avec le CNA, contrairement au cinéma
colonial, c’est pour montrer aux populations rurales des images dans lesquelles
elles se reconnaissent. À voir les résultats de leurs descentes sur le terrain,
il est évident que les résultats sont probants. Sur l’ensemble des réseaux CNA
du continent, leurs rapports indiquent une moyenne annuelle de 1200
séances de projection, des centaines de localités visitées, des centaines de
films diffusés, pour un public estimé à plus de 300 000 spectateurs. Depuis
2001, si on fait un calcul simple, il est évident que cette mesure de
l’engouement cinéphilique est de loin mieux que tout ce qui est imaginable dans
un contexte où l’État a abandonné le cinéma et la production d’images. Il
serait d’ailleurs intéressant, à ce titre, d’effectuer une sociologie des
publics que le CNA réussit à atteindre. Si on peut à juste titre penser que
l’association est le « diffuseur des pauvres » dans les villages sans
importantes ressources matérielles et où les besoins les plus élémentaires
restent liés à la survie quotidienne, on peut se demander si le public urbain,
souvent plus éduqué et ayant un meilleur accès aux réseaux téléphoniques et
internet, a la même réception et la même perception des activités du CNA.
En plus des projections dans les zones
rurales, le CNA a mis sur pied d’autres activités qui rompent avec la routine des
projections rurales. Certains CNA ont créé des festivals : au Sénégal Casa
ciné et au Cameroun, la Semaine du cinéma brésilien, en partenariat avec l’ambassade
du Brésil. Une initiative qui permet aux cinéphiles de découvre ce cinéma.
Notons d’ailleurs que lors du FESPACO 2017, le CNA a organisé une soirée
consacrée au cinéma noir brésilien avec des projections de films de
réalisateurs afro-brésiliens, et un débat sur les rapports entre les cinémas
afrodiasporiques et les cinémas d'Afrique, en partenariat avec l’Association
brésilienne des professionnels de l’audiovisuel noir et le Forum itinérant du
cinéma noir. Si on y ajoute le Festival des identités culturelles, une autre
initiative récente tenu en novembre 2018 à Ouagadougou et, avant cela, le
colloque organisé en 2017 à l’occasion des Trophées francophones du cinéma à
Yaoundé sur la diffusion des films en Afrique, il devient clair qu’en plus
d’occuper un espace tout-à-fait unique, le CNA explore d’autres avenues pour
promouvoir le cinéma africain. Il n’y a donc pas de doute, il s’est imposé
comme un acteur majeur dans la diffusion de la culture cinématographique.
La survie en
question
Toutefois, il faut le dire, la démarche du CNA est une promotion par
délégation. C’est-à-dire que pour montrer les films africains, l’association
doit montrer autre chose. Mais il faut également indiquer que dans ses
démarches, le CNA s’est aussi pleinement engagé dans les protocoles de
sensibilisation. Autrement dit, l’association aide ses sponsors et partenaires
à assumer leurs missions qui sont sans cesse variables : on montre des
films sur les problèmes de santé, sur l’environnement, l’éducation et sur des
problèmes de société. Cela rappelle un peu, sans que cela soit exactement la
même chose, les projections coloniales qui permettaient d’initier les colonisés
à l’agriculture ou de les sensibiliser contre divers fléaux.
Si le CNA ne survit que par ce modèle budgétaire qui consiste à rester à
l’affût des financements et de toutes sortes de projets, c’est parce que le
cinéma se révèle un utile instrument de contact, mais aussi, peut-être de
contrôle. Mais si l’association ne tient son existence qu’à cette mission civile,
c’est parce que le continent est fertile en besoins de toutes sortes. Les
nécessités quotidiennes, l’urgence d’une éducation civile en Afrique légitime
l’existence du CNA qui a le mérite d’une connaissance, voire d’une maîtrise
exceptionnelle du terrain. C’est, en soi, un véritable atout. Aller à la
conquête des spectateurs à qui on montre des films d’éducation et, ensuite, des
films africains, est en soi une véritable révolution dans la consommation
culturelle en Afrique. Mais ce modèle est-il fiable sur le long terme?
Le modèle de fonctionnement actuel du CNA dépend exclusivement des
partenaires comme Africalia, la Communauté européenne, l’Union économique et
monétaire ouest africaine, l’UNICEF, et les nombreux partenaires multilatéraux
dans divers pays. Autrement dit, comme le cinéma à ses débuts, la viabilité de
cette association dépend exclusivement des subsides d’institutions qui ont des
projets. Il faut craindre que cette structure ne tienne pas plus longtemps. Voilà
pourquoi une certaine frilosité quitte rarement les divers responsables dont le
dévouement et l’implication dans les activités n’est pas toujours uniforme. On
peut aussi s’interroger sur leur formation en gestion de projets culturels. Nul
doute que l’association apporte énormément chez des cinéphiles abandonnés par
leurs dirigeants qui ne croient pas à la culture. Il serait peut-être utile de
réfléchir à des stratégies plus durables de financement et, surtout, aux
rudiments du management.
Biographie d'Alexie Tcheuyap
Directeur du Département d’études françaises à l’Université
de Toronto au Canada, Alexie Tcheuyap est par ailleurs
critique de cinéma. Il a enseigné au Cameroun et a été professeur invité en
Afrique du Sud, aux États-Unis, en Allemagne et en France. Il est titulaire
d'un doctorat de troisième cycle en littérature de l'Université de Yaoundé et
d'un doctorat en études françaises de l'Université Queen's. Auteur de plusieurs
essais, ses principaux domaines de recherche sont les études sur les médias,
les littératures africaines francophones et les cinémas africains francophones.
cinéma et de
l’Afrique noire. » dans FEPACI, L’Afrique
et le centenaire du Cinéma, Paris:
Présence Africaine, 1995 : 82-91.
aussi, peut-être de contrôle. Mais si l’association
RépondreSupprimeret le choix n'est pas tous les programmes https://telecharger.onl/audio-musique/ sont probablement nécessaires
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