Co-fondateur,
avec Laurence Vendroux du Cinéma Numérique Ambulant en 2001, ce technicien français du cinéma raconte
l’aventure CNA, fait le bilan des 18 années d’existence en 2019 et évalue les forces et
faiblesses de ce réseau d’associations de cinéma mobile.
Racontez-nous
d’où vous êtes venu l’idée de créer une structure de diffusion de films en
plein air ?
J’ai toujours été attiré par le
cirque, le théâtre ambulant, la fête foraine. Faire du cinéma ambulant en
Afrique est devenu une évidence lorsque j’ai travaillé sur le tournage d’un
long métrage au Bénin en 1999 (Barbecue
Pejo de Jean Odoutan). Les gens chez qui on tournait ne verraient jamais le
film si on ne venait pas le projeter chez eux. Il fallait donc imaginer comment
c’était possible, le véhicule, le groupe électrogène pas trop bruyant, l’écran;
la sono, le projecteur…
Comment
et pourquoi l’appellation Cinéma Numérique Ambulant ?
Pourquoi pas… On a démarré au moment
où les vidéoprojecteurs et le DVD se démocratisaient sur le marché… C’était un
cinéma ambulant qui diffusait en numérique. Et puis j’aimais bien l’acronyme
CNA.
A
18 ans d’existence, quel bilan pouvez-vous faire du CNA ?
18 ans, c’est presque l'âge adulte.
C’est l'âge légal de la majorité en France... L’idée n’était pas si mauvaise.
En fait je pense qu’il y a plusieurs bilans à faire. Il y a des échecs et des
réussites. La réussite, c’est le CNA Afrique, son développement, son
importance. C’est le fait que si un réalisateur souhaite vraiment que son film
soit vu en Afrique, le CNA peut être un
interlocuteur réel… Mais cette réussite est en soit un échec aussi. Même
si on sent frémir un renouveau des salles, on est quand même très loin d’un
réseau de salle bien implantées qui
pourrait offrir une offre culturelle à l’ensemble des populations.
Lorsque
vous regardez le CNA aujourd’hui, quelle est votre plus grande fierté et
quelle est votre plus grande déception ?
La plus grande fierté... c’est difficile à dire.
Sans doute le modèle économique. Qui même s’il n’est pas parfait, porte en lui
les germes d’un cercle vertueux. Mais le fait que le CNA ait 18 ans, qu’il se
soit, par exemple, installé tout seul, comme un grand, en Centrafrique, c’est
pas mal aussi comme fierté.
La plus grande déception? C’est
pareil, difficile à dire. Il y a bien sûr de la déception vis à vis des pays où
le CNA ne décolle pas, mais sinon il n’y a pas de déception, au contraire.
En revanche, il y a chez moi une
inquiétude, accompagnée du sentiment de ne pas réussir à me faire comprendre.
Pour moi, ce qui fait la spécificité du CNA c’est la culture, et le cinéma. Le
CNA est un outil culturel. Je crains que son modèle économique ne pousse le CNA
à ne devenir qu’un outil de sensibilisation et du coup, à en perdre son
originalité.
La structuration du réseau
repose en grande partie sur l’appui d’un seul partenaire, quels garanties pour
le futur ?
La réponse est dans la question… Ce
qui est vraiment structurant, c’est le CNA Afrique. Cette association qui
fédère l’ensemble des CNA peut être très forte et très autonome si l’ensemble
des CNA Pays se porte bien et que les cotisations sont payées. Et que tout le
monde ait bien conscience que plutôt que de baisser la cotisation des pays au
CNA Afrique, il vaudrait mieux tenter de l’augmenter, parce que l’avenir de
chaque pays passe par l’existence et la réussite du CNA Afrique.
Alors bien sûr que c’est un équilibre
subtil, difficile à trouver, entre l’autonomie des pays et le pouvoir du CNA
Afrique, mais si les responsables des
CNA ont bien conscience que avant leur propre intérêt, l'intérêt du CNA c’est
le cinéma, ils ne peuvent que souhaiter
un CNA Afrique fort et pérenne. C’est ce qui sera le mieux pour le cinéma
africain. C’est proche de l’économie et
du marché.
Sans parler des réalisateurs, quels
producteurs peuvent se satisfaire que leurs films ne soient pas ou mal
distribués ? Plus le marché sera vaste mieux le cinéma africain se portera et
par ricochet, le CNA aussi. Pour finir, le CNA Afrique n’a pas un seul
partenaire. Il en a autant que de pays ou le CNA est présent.
Le
CNA France, qui menait nombre d’activités par le passé, semble aujourd’hui s’être
essoufflé. Pensez-vous lui donner un nouveau souffle ?
Je ne pense pas du tout ça. Il y a
eu deux directions dans les actions du CNA France. Des actions en Afrique et
des actions en France. Le CNA Afrique a été créé en 2009 pour justement être la
structure qui à terme remplacerait le CNA France et son “expertise” pour son
action en Afrique. Donc là on ne peut
pas vraiment parler d'essoufflement mais plutôt de transfert de flambeau.
En ce qui concerne les activités en
France, elles sont effectivement très ralenties voires inexistantes. Il y a de
très nombreuses raisons qui seraient trop longues à détailler, mais rapidement
on peut citer l’usure du bénévolat et
juste dire que la situation de l’industrie du cinéma et son exploitation n’ont strictement rien à
voir avec la situation en Afrique. Il ne manque pas de salle de cinéma en
France. L’utilité de la structure de projection du CNA est beaucoup moins
évidente en France qu’en Afrique. A l’origine, les activités du CNA en France
étaient censées médiatiser les activités en Afrique. Aujourd’hui les outils de
la communication, les réseaux sociaux, le site web sont gérés par le CNA
Afrique.
D’autre part, pour un projet
enthousiasmant, la tournée du CNA dans les villages de Corse, par exemple, ou
le partenariat avec Attention Chantier pour le Festival de films dans les
foyers de travailleurs migrants, combien d’animations, d’activités
socio-culturelles un peu plates qui sont certes très bien et très louables mais
qui ne sont pas du tout “mon truc”. Ceci dit, si quelqu’un se présentait au CNA
France avec un projet réellement motivant, pourquoi pas… Enfin ce qui
me motive, à titre individuel, c’est de travailler à la création de
structures CNA dans de nouveaux pays. La Mauritanie, la Côte d’Ivoire, la
Guinée, le Congo et bien d’autres nous tendent les bras.
18
ans après, certaines associations Cna sont très fortes et d’autres, très
faibles. D’après le bilan de votre action publié en janvier 2019, on constate
qu’un Cna comme celui du Burkina a réalisé près de 430 séances de cinéma alors
qu’un autre, le Togo en l’occurrence, n’en a fait qu’une dizaine. Comment
expliquer cette grande disparité ?
C’est extrêmement simple. Ce sont des
problèmes de personnes. Quand l’association est dirigée de manière dynamique et
avec compétence, le CNA va bien. Quand ce n’est pas le cas, il va mal… Le
principe du cinéma ambulant peut fonctionner partout. Au Togo comme au Bénin,
comme au Mali ou au Niger.
L’avantage de l’association, c’est
que si les dirigeants sont incompétents, l’AG peut les débarquer. C’est pour ça
qu’on peut toujours avoir de l’espoir pour les CNA en difficulté. Sous
l’impulsion de Joël Tchedre, s'il ne se fait pas tirer dans le dos, je sais que le Togo redémarrera.
Quel est aujourd’hui l’apport du Cna dans le développement des
cinématographies d’Afrique ?
Le CNA apporte une possibilité de
voir les œuvres des réalisateurs à des millions de spectateurs. Ce n’est pas
encore bien percuté par tout le monde. Mais le jour où un producteur
distributeur décidera de travailler avec le CNA Afrique pour que son film sorte
partout, le même jour sur tous les écrans du CNA, avec la campagne médiatique
qui va bien autour, cela fera un énorme buzz, dont tout le monde retirera les
bénéfices.
Pendant
longtemps, il y a eu des débats sur le modèle économique du Cna. Beaucoup de
cinéaste ont critiqué le fait que le Cna offre un cinéma non payant, dans un
contexte où il faut éduquer le grand public à devenir co-producteur des films.
Aujourd’hui, avez-vous le sentiment qu’ils vous ont compris ?
Sincèrement, je ne sais pas. Je
l’espère. Ça fait longtemps que je n’ai pas eu de conversation à ce sujet. Ce
dont je suis sûr, c’est que le cinéma est en danger. Si le public potentiel
continue à ne pas voir de cinéma de manière collective, dans des conditions
techniques qui cherchent l’excellence, le cinéma disparaîtra, remplacé par le
visionnage de séries ou de clip plus ou
moins médiocres et vite faits sur des téléphones portables. Ce sera autre
chose. Ce ne sera pas du cinéma. D’ailleurs, ça deviendra peut-être
inéluctable. C’est un choix politique à
faire. Le choix et la responsabilité sont politiques, au sens noble du terme.
Je ne crois pas que dans un avenir proche, la réouverture des salles puisse
créer rapidement un réseau fiable et efficace de distribution et dans cette
attente, le cinéma ambulant permet d’entretenir la flamme, à moindre coût. Il
faut que l’ensemble des acteurs concernés (le public, les cinéastes, les hommes
et femmes politiques) le veuille.
Quel
avenir rêvez-vous pour le CNA ?
Tout est imaginable. Je rêve
évidemment que le CNA grandisse et s’installe partout, là où les salles de
cinéma manquent. Et que l’ensemble des acteurs concernés recherche
inlassablement les moyens de renforcer le réseau de cinéma ambulant qui
pourrait devenir ainsi un vrai réseau de distribution.
Propos
recueillis par Stéphanie Dongmo
ça deviendra peut-être inéluctable?
RépondreSupprimerLes films https://libertyland.live/ de cette catégorie seront davantage salués par la critique.
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